15 décembre 2017

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX (France)] Le prêtre au service des âmes - Le sacerdoce d’après le cardinal Mercier

SOURCE - Lettre A Nos Frères Prêtres (FSSPX) - Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France - décembre 2017

Ayant manifesté la dépendance essentielle du prêtre ministériel vis-à-vis du Prêtre au sens plénier, le Cardinal Mercier expose comment son ministère vis-à-vis des âmes doit se réaliser.
Coopérateurs de notre ministère
L’unique sacerdoce de Jésus-Christ est participé d’une manière parfaite par les Apôtres et par leurs successeurs, les évêques ; il est participé d’une manière moins parfaite par les prêtres du second ordre, qui sont les coopérateurs des évêques. Leur mission est d’étendre à toute la communauté diocésaine l’action pastorale de l’évêque, incapable d’être présent partout et d’assurer partout les fonctions sacerdotales.
     
Appelé par l’évêque, ordonné par l’imposition des mains de l’évêque, le prêtre ne s’appartient plus: il partage avec son évêque la mission de médiateur entre Dieu et le peuple chrétien, dans l’union avec le Médiateur divin, Jésus-Christ.
     
Le statut du prêtre dans l’Église est donc celui d’auxiliaire attitré de l’évêque. Aux yeux du Cardinal, cette situation entraîne des conséquences très claires au plan moral: sans être établi, comme l’évêque, dans un «état de perfection» au sens canonique, le prêtre est tenu devant Dieu d’imiter la charité pastorale, qui est la forme spécifique de la perfection chrétienne requise de l’évêque.
     
Tel est le sens profond de la promesse qui clôt l’ordination presbytérale. «Lorsque vous promettiez respect et obéissance au chef spirituel de votre diocèse, n’est-il pas vrai que vous entendiez vous mettre à sa disposition jusqu’à l’épuisement de vos forces physiques ? Vous aviez donc au cœur toute la générosité de l’amour du prochain, dont la profession solennelle est la caractéristique de la perfection épiscopale» (La vie intérieure, p. 170).
   
Que si, pour progresser plus sûrement dans la charité, le prêtre cherche des moyens de perfection plus efficaces, il ne choisira pas ceux qui caractérisent l’état religieux, mais ceux qui s’attachent à la fonction épiscopale. «Regardez votre évêque, dont vous êtes devenu le coopérateur ; ayez pitié de sa faiblesse et de la disproportion de sa charge avec ses capacités. Appliquez l’ardeur de votre zèle à lui venir de plus en plus efficacement en aide. Là est à la fois pour vous la perfection et la forme spécifique de votre perfection» (La vie intérieure, p. 182).
Le modèle du troupeau
Comme l’évêque, le prêtre doit, par la sainteté de sa vie, donner l’exemple d’une éminente charité et de toutes les autres vertus. Pasteur, il doit être un modèle pour son troupeau. Cette vertu éminente n’est pas possible sans vie intérieure profonde, alimentée par la prière. C’est là le thème de prédilection du cardinal Mercier, il traverse toute son œuvre et commande tout l’effort qu’il n’a cessé de déployer pour l’élévation morale de son clergé.
     
Dans Retraite pastorale, après avoir longuement étudié la personne du Christ comme exemple de toute sainteté, et notre devoir de le prendre pour modèle, le Cardinal met sur les lèvres du prêtre une prière fervente au Seigneur Jésus: «Je m’appliquerai à vous ressembler, afin de pouvoir entraîner mes ouailles à l’imitation de votre vie, et d’avoir le droit de leur dire avec sincérité: “Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ”» (Retraite pastorale, p. 210).
     
On trouve plus loin la même doctrine: «Le prêtre est par état une manifestation, que sa vie doit rendre de plus en plus lumineuse, de la sainteté de Dieu. Le peuple chrétien, dans sa foi profonde, nous regarde (…) comme des ministres du Seigneur» (Retraite pastorale, pp. 269-270). Et il rappelle l’adage classique: «Donnez-moi un prêtre saint, ses ouailles seront ferventes ; est-il vertueux, ses ouailles seront bonnes ; n’est-il que bon, les fidèles seront médiocres ; et lorsque le pasteur lui-même n’est que médiocre, les âmes qu’il devait conduire à la sainteté ne sont, pour la plupart, que tièdes ou relâchées» (Retraite pastorale, p. 282).
     
Commentant les mots du Pontifical: «Il faut que le prêtre préside», le Cardinal y voit avant tout le devoir de précéder les fidèles dans les voies de la perfection: «Notre-Seigneur est la Voie, la Vérité et la Vie, nous le représentons parmi les hommes et nous sommes, par conséquent, inférieurs à notre tâche si nous n’avons pas la sainte hardiesse de dire aux plus parfaits comme aux débutants: Prenez modèle sur moi, comme je prends modèle moi-même sur le Christ» (Retraite pastorale, p. 305).
     
C’est dans La vie intérieure que l’appel à la sainteté retentit en les termes les plus émouvants. Après avoir brossé le tableau de la «déchristianisation de la société», le Cardinal déclare que deux moyens essentiels doivent être mis en œuvre pour la conversion du monde contemporain: la prédication du message chrétien et «la propagande du christianisme par l’exemple de la sainteté évangélique, à l’imitation des Apôtres et de leurs premiers disciples» (La vie intérieure, p. 72).
     
C’est l’exemple de la vie des premiers chrétiens qui a conquis l’élite de la société païenne. «Les mêmes exemples produiraient, aujourd’hui encore, les mêmes effets (…) ; si nous, du moins, chargés par état de propager l’Évangile, nous menions tous une vie qui représentât l’Évangile en action» (La vie intérieure, pp. 74-75).
Transmettre ce que l’on a contemplé
La «vie apostolique» est la forme la plus parfaite de la vie chrétienne ici-bas, parce qu’elle est synthèse de contemplation et d’action. Elle consiste à répandre sur les hommes la surabondance de la charité puisée dans l’oraison: «Transmettre aux autres ce que l’on a contemplé».
     
Cet idéal de la «vie apostolique», directement inspiré de l’exemple du Christ lui-même et de celui des Apôtres, a été mis en valeur par saint Thomas. Il est présent partout dans la liturgie des ordinations comme dans la vie des saints évêques et des saints prêtres qui ont illustré l’histoire de l’Église.
     
Dans Retraite pastorale, le cardinal Mercier, après avoir rappelé la haute mission du prêtre, condamne la «conception bourgeoise» de la vie sacerdotale, à laquelle il oppose la conception surnaturelle, éclairée par l’esprit de foi. Dans cette juste perspective, la première obligation du prêtre est d’aimer Dieu et de le faire aimer. C’est aussi le secret de son efficacité apostolique, comme le montre l’exemple du Curé d’Ars. En conséquence, le prêtre doit être un homme de prière.
     
Il souligne la nécessité de la prière dans la préparation de la prédication. Avant de commencer un sermon, «recueillez-vous, méditez devant Dieu votre sujet, considérez-le avec foi, croyez-y vousmême, éprouvez-en en premier l’action bienfaisante ; et alors, lorsque l’amour de la vérité que vous vous préparez à prêcher vous montera au cœur, lorsque, sous la poussée de votre zèle pour la gloire de Dieu, pour la sanctification de son saint Nom, pour l’extension de son règne, pour l’accomplissement de sa volonté trois fois sainte, vous vous sentirez heureux de pouvoir communiquer à autrui les sentiments qui vibrent en vous, alors, mais alors seulement, écrivez votre
sermon» (Retraite pastorale, pp. 312-313).
     
Et lorsqu’il aborde les «conditions de succès du ministère pastoral», il met en tête la «sagesse céleste» nourrie par l’oraison. Plus loin, il revient sur la nécessité de la prière pour demander le secours indispensable de la grâce, et à l’exercice quotidien de l’oraison lorsqu’il traite des «moyens de la persévérance».
     
La vie intérieure (le titre l’indique suffisamment) a pour thème central la participation à la vie divine par la grâce et l’union des hommes avec Dieu, leur Père, par la charité. La forme la plus parfaite de cette vie de charité est la «vie apostolique».
     
Celle-ci consiste à communiquer aux hommes, par toutes les formes de l’action pastorale, la charité reçue de l’Esprit-Saint. Mais cette action pastorale n’est pleinement efficace que si elle s’exerce au plan de l’activité personnelle consciente, c’est-à-dire si elle est vivifiée par la contemplation ou vie d’oraison.
Au prêtre il revient d’offrir 
On ne peut traiter de la spiritualité sacerdotale du cardinal Mercier sans dire la place qu’il réservait au sacrifice eucharistique dans la vie du prêtre. Ici encore, il puise aux meilleures sources, et sa doctrine est inspirée tout entière par sa foi profonde dans le mystère de la Rédemption par le sacrifice de la Croix, acte suprême de la vie du Verbe incarné, prêtre et victime de la nouvelle Alliance. L’Eucharistie étant le renouvellement non sanglant, mais réel, du sacrifice de la Croix, la fonction primordiale du prêtre est l’offrande du sacrifice de l’autel.
     
La messe est la première fonction du ministère pastoral, en même temps que le premier moyen d’entretenir en lui l’esprit sacerdotal. Le prêtre doit célébrer pour le peuple qui lui est confié, d’où l’importance notamment de la messe paroissiale dominicale.
     
Dans La vie intérieure, c’est le pouvoir de consacrer qui marque la place du prêtre dans le corps mystique du Christ: «Votre sacerdoce vous unit au Christ ; l’exercice du sacerdoce vous identifie à lui» ; et il s’arrête sur la consécration, dans laquelle le prêtre est l’instrument vivant du souverain Prêtre.
     
Selon l’enseignement de saint Thomas, la mission de célébrer l’Eucharistie est, pour le prêtre, le principal fondement de l’exigence d’une sainteté supérieure à celle des simples fidèles, même s’ils sont religieux.
     
Le Cardinal écrit ainsi: «La raison la plus impérieuse de l’obligation du prêtre à une vie sainte et immaculée réside dans ses relations avec le mystère sublime de la très sainte Eucharistie. La célébration du saint sacrifice de la messe nous associe à l’acte le plus parfait de l’ordre moral, à l’événement par excellence de l’ordre universel. En vérité, s’il avait plu à Notre-Seigneur de nous conférer l’Ordre sacerdotal pour nous permettre de renouveler, en son nom, une unique fois, au terme de notre vie, son acte du Calvaire, ce n’eût pas été trop de toute notre carrière terrestre pour nous préparer à ce drame final».
     
Cinq jours avant sa mort, il dicte une lettre à ses prêtres, où il déclare: «Vous êtes devenus prêtres en vue de célébrer le saint sacrifice de la messe. Vivre de votre sacerdoce, c’est avant tout célébrer saintement la messe et administrer saintement les sacrements qui s’y rattachent».
Le prêtre doit marcher en tête de son troupeau
Le Pontifical déclare, au cours de l’ordination: «Sacerdotem oportet praeesse», «au prêtre il revient de présider, de commander». Le Cardinal traduit, pour sa part: «Le prêtre doit marcher en tête de son troupeau».
     
Et il commente: «Le pasteur est le guide naturel de son troupeau. Il doit le conduire dans les voies du salut. (…) Il le doit par sa parole, il le doit surtout par son exemple» (Retraite pastorale, p. 301). Il aborde ensuite le problème de l’autorité: «Prenez autorité sur vos ouailles. Et, à cet effet, soyez les premiers à avoir foi à l’autorité dont vous êtes investis (…), au mandat que l’Église, au nom de Dieu lui-même, vous a confié» (Retraite pastorale, p. 307).
    
Mais le pouvoir de commander doit être conçu comme un service, conformément à l’enseignement du Seigneur (Lc 22, 26). Le Cardinal termine son exposé en proposant à ses prêtres l’exemple du Pape Pie X, en qui ils trouveront les qualités maîtresses de l’homme d’autorité.
     
Dans La vie intérieure, le cardinal Mercier rappelle la nature de l’autorité dans l’Église. L’évocation du lavement des pieds sert de préambule. Le rôle du pasteur est un rôle de dévouement, inspiré par la charité. «Ainsi, rien de plus contraire à la conception évangélique de l’autorité, que l’autoritarisme, c’est-à-dire la prétention de faire prévaloir, coûte que coûte, à tort ou à raison, sa volonté personnelle» (La vie intérieure, p. 247).
     
Le Cardinal décrit les méfaits de cet abus de l’autorité et y oppose l’enseignement des Apôtres Pierre et Paul. Il note, en particulier, que les prêtres exercent leur mission comme délégués de l’évêque, dont saint Paul disait qu’il se doit à ses ouailles: «Je me dois aux Grecs et aux Barbares, aux savants et aux ignorants» (Rm 1, 14).