2 mai 2018

[Paix Liturgique] En Italie à la recherche de la liturgie perdue: table de communion et l'orientation du célébrant

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 642 - 2 mai 2018

Depuis 20 ans vaticaniste de la télévision publique italienne, Aldo Maria Valli tient un blog personnel dans lequel il partage avec style et clarté ses réflexions sur la vie de l’Église. À l’occasion de la publication de deux livres de don Enrico Finotti, prêtre du diocèse de Trente (Italie), il s’est arrêté sur la question liturgique, livrant des réflexions que nous partageons et commentons volontiers à notre tour.

I – IL ÉTAIT UNE FOIS LA TABLE DE COMMUNION

(13 février 2018 : source)

« L’une des aberrations les plus répandues de l’après-concile a été l’élimination de la table de communion. Une erreur considérable sur le plan historique, liturgique, doctrinal, artistique et pastoral.»
Ainsi écrit don Enrico Finotti en page 19 de son livre Il mio e il vostro sacrificio. Il liturgista risponde (1), une œuvre précieuse à recommander à tous ceux qui ont à cœur une juste compréhension et exécution du culte à rendre à Dieu.
   
Cela peut sembler étrange de partir d’un détail comme celui de la table de communion mais la liturgie est faite de détails et chaque fois que l’on en néglige un c’est l’ensemble qui en souffre (il est bien connu que le diable est dans les détails). En outre, l’observation de don Finotti fait comprendre de quelle trempe est ce prêtre qui n’a pas peur des mots et va droit au but. Voyons donc quelle était la fonction de la table de communion et ce qui a motivé sa suppression.
    
Outre à permettre aux fidèles de s’agenouiller pour recevoir le Saint-Sacrement avec toute la révérence due, la table de communion servait à marquer la séparation entre la nef, où se rassemblent les fidèles, et l’espace sacré de l’autel, où s’accomplit le sacrifice. Cette séparation est une constante de la tradition liturgique, en Orient comme en Occident. Sa raison liturgique est la protection de l’accès à l’autel, afin d’en garantir la sacralité. Sa raison théologique est la mise en évidence de la hiérarchie des rôles au cours de la célébration, celui du ministre ordonné, agissant in persona Christi Capitis, étant bien entendu différent de celui de l’assemblée des fidèles.
    
On comprend bien, alors, qu’éliminer la table de communion signifie donc à la fois banaliser l’espace du sacrifice eucharistique, parce qu’on en affaiblit le caractère sacré, et abolir la distinction hiérarchique présente dans la liturgie, sous le prétexte « démocratique » d’en rendre tous les acteurs égaux. Ce qui a des conséquences négatives sur le plan historique et artistique parce que l’élimination de la table de communion équivaut aussi bien à l’élimination d’un témoignage liturgique enraciné dans la tradition qu’à une grave altération de l’espace architectural. (…)

II – POUR UNE LITURGIE BIEN ORIENTÉE

(26 avril 2018 : source)

« Il semble qu’’une grande partie de la liturgie, du moins telle qu’elle est célébrée aujourd’hui, se réduise aux seules dimensions kérygmatique-catéchétique et épiclétique-communicative, laissant de côté voire ignorant toute dimension latreutique-comtemplative.»
    
À première lecture, ces mots de don Enrico Finotti, dans l’une des réponses sur la liturgie contenues dans son nouveau livre Se tu conoscessi il dono di Dio. Il liturgista risponde (« Si tu connaissais le don de Dieu. Le liturgiste répond », ChoraBooks), semblent réservés aux initiés. Sauf que l’auteur ne laisse jamais ses lecteurs sans explication. Toujours attentif aux observations des fidèles, don Enrico explique avoir été marqué par la réaction d’une femme étonnée de voir un prêtre en prière lors d’une cérémonie : « Si la dimension de la prière n’apparaît plus centrale aux fidèles au cours de l’action liturgique, écrit-il, c’est qu’alors il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans la liturgie. » Parce que la liturgie est, par nature, prière publique.
     
Voici donc l’explication que don Finotti donne de sa constatation: aujourd’hui la liturgie privilégie les moments où le prêtre s’adresse au peuple pour lui annoncer la parole de Dieu (position kérygmatique) et ceux où il se tourne vers lui pour reproduire les gestes mêmes de Jésus (position épiclétique), mais délaisse ceux où le prêtre, représentant le Seigneur guidant Son peuple (position latreutique), devrait guider les fidèles dans la louange et l’adoration en se tournant, comme eux, vers Dieu.
     
Il y a dans la liturgie actuelle comme un déséquilibre, un manque, et il est évident que cela est lié à la position du prêtre lors de la célébration. Une position qui, dans la liturgie réformée après le concile Vatican II, est adaptée à la vision de la Messe comme repas mais pas de la Messe comme sacrifice.
     
Qui défend la réforme conciliaire taxe volontiers celui qui se pose la question de la position du prêtre durant la Messe de « traditionalisme ». Mais il n’y a là ni nostalgie ni fixation. Il s’agit simplement d’entrer dans la signification profonde de l’action liturgique. Et, dès lors que ce pas est franchi, la question de l’orientation ad Dominum ne peut qu’apparaître décisive. Comme l’écrit don Finotti, « il faut reconnaître que célébrer la partie sacrificielle de la Messe (de l’offertoire à la communion) tourné dans la direction que contemplent les fidèles, selon la tradition constante de l’Église, suscite de manière immédiate et efficace ce regard communad Deum du prêtre et de l’assemblée qui est constitutif de la liturgie ».

III – LES RÉFLEXIONS D'OREMUS - PAIX LITURGIQUE

1) Biographe du très moderniste cardinal Martini, jésuite et archevêque de Milan, auquel il s’était lié lorsqu’il était le correspondant du quotidien des évêques italiens dans la cité de saint Ambroise et de saint Charles Borromée, Aldo Maria Valli est un vaticaniste qui compte en Italie. Il est en effet la voix – il n’aime pas se montrer à l’écran – de tous les reportages en direct de la place Saint-Pierre de Rome lors des grands événements de la papauté. Attaché à la vérité, ce qui est de plus en plus rare chez les professionnels des médias, qui se contentent bien souvent de slogans et d'approximations, il a été très sensible au pontificat de Benoît XVI, dont il appréciait l’acuité de la réflexion, tout en souhaitant vivement, comme c’est arrivé avec l’élection du pape François, du changement à la tête de l’Église. Aujourd’hui, il avoue volontiers être déboussolé par la superficialité de nombreuses prises de position du Saint-Père et consacre une part toujours plus grande de son temps à l’écriture, désirant approfondir les nombreux sujets que la télévision l’autorise seulement à survoler.

2) L’évolution d’Aldo Maria Valli est celle de nombreux catholiques italiens qui, pendant longtemps, n’ont pas ressenti la crise de l’Église car, très attachés à leur paroisse, ils étaient d'autant plus convaincus d'y trouver toujours tout ce qui servait à nourrir leur foi que l'application de Vatican II s'y est globalement produite sans excès de brutalité. Mais aujourd’hui, alors que les virtualités de la réforme liturgique sont visibles à tous, plus aucun fidèle italien ne peut faire comme si la crise de l’Église ne le concernait pas. D’où un phénomène nouveau pour l'Italie, que Valli a lui-même commenté l'an dernier : l’apparition de « catholiques errants » – errant d’une paroisse, à l’autre en quête d’une liturgie digne, d’une catéchèse solide et d’une pastorale classique. C’est notamment ce lien paroissial qui tend à se diluer voire à se rompre qui pousse Aldo Maria Valli à accorder plus d’attention aux changements, grands et petits, qui ont conduit à la situation actuelle.

3) De l’orientation de la célébration vers Dieu, nous avons souvent parlé. Quant à la traditionnelle table de communion (ou rampe de communion), elle a deux fonctions : 
  • la première, comme l'indique Valli citant don Finotti, est en effet de séparation entre la nef et le chœur ou le sanctuaire. Les plus anciens témoignages archéologiques montrent que cette distinction entre clercs et fidèles a toujours été marquée dans la construction des édifices sacrés. L’orientation de la célébration est attestée, mais la distinction entre la partie réservée aux fidèles et celle réservée au clergé l’est encore plus,
     
  • la seconde est, en conséquence, de rapprochement. La table de communion permet aux laïcs, qui n’ont pas accès au sanctuaire de communier à genoux. On doit pouvoir étendre sur elle une nappe, qui a historiquement précédé le plateau pour la distribution de la communion. Avec sa nappe, la table de communion prolonge symboliquement la table d’autel à laquelle accèdent les communiants.
4) Il est vrai qu’en théorie aucun texte n’oblige formellement à supprimer la table de communion ou à célébrer face au peuple. Mais la suppression de la table de communion avec sa nappe est dans la logique parfaite de la communion dans la main. Quant à la célébration face au peuple, elle est tellement intégrée à l’esprit des promoteurs de la réforme que toute tentative insitutionnelle pour l’inverser – comme le cardinal Sarah et ses prédécesseurs au Culte divin en ont fait la triste expérience – se heurte immédiatement à des réactions violentes et à des mises au point au plus haut niveau. En s’arrêtant donc sur ces deux aspects de la nouvelle liturgie de la messe, Valli et don Finotti, qui nourrit sa réflexion, pointent du doigt deux des manifestations les plus visibles de cette mutation de la lex orandi qui aboutit, fatalement, à la modification de la lex credendi (amoindrissement du respect pour la présence réelle ; banalisation du mystère eucharistique par la célébration face au peuple). 

5) Dans la suite de son second texte, qui est en fait la préface au livre de don Finotti, Aldo Maria Valli souligne l’incapacité de nombreux catholiques à « distinguer le sacré du profane » dont la liturgie fait immanquablement les frais car, en matière liturgique, « la forme est la substance ». En pratique, le profane s’est introduit dans la liturgie, qui devient une réception conviviale entre amis, une fête où l’on se retrouve joyeusement pour « partager ». D'où les difficultés concrètes qui émergent aussi « à la base » quand il s'agit de réformer la nouvelle messe dans les paroisses.
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(1) « Mon sacrifice qui est aussi le vôtre. Le liturgiste répond », publié chez ChoraBooks. Le titre renvoie àl’Orate fratres : « Priez mes frères, afin que mon sacrifice qui est aussi le vôtre… »