4 avril 2018

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Qui a peur des autruches ?

SOURCE - Le Seignadou - avril 2018

« Nous sommes enfants des saints, et nous attendons cette vie que Dieu doit donner à ceux qui ne lui retirent jamais leur fidélité. » (Tobie II, 18) Le grand Tobie exprimait ainsi sa fierté d’être le descendant des patriarches d’Israël, et son fils évoquait la même fierté à son épouse Sara : « Car nous sommes enfants des saints, et nous ne pouvons pas nous unir comme les nations qui ne connaissent pas Dieu. » (ibidem VIII, 5).

Sans prétention aucune, ne serions-nous pas en droit de proclamer la même chose ? Nous sommes enfants des saints, et nos pères se nomment Claude-François Poullart des Places, le P. Liberman, saint Pie X, le P. Le Floch, et Mgr Lefebvre… et nous pourrions ajouter à la liste de nos pères vénérés saint Dominique, le P. Calmel et le P. de Chivré, et pourquoi pas Mère Hélène et Mère Anne-Marie !

Alors, au nom des saints dont nous sommes les enfants, nous devons nous aussi être fiers de nos pères, et être fiers de notre fidélité à leur mémoire et à leurs enseignements ! Fiers et confiants dans la grâce qui nous a permis de recevoir leur esprit… confiants parce que la même grâce assurera notre fidélité à leur mémoire et à leurs enseignements. Et, pour continuer dans les images qui ont guidé nos réflexions passées, je dirai encore que, si nous ne sommes pas des aigles, nous sommes quand même leurs enfants… des aiglons peut-être ? Et voici pourquoi nous n’avons pas peur des autruches ! Les aigles, familiers des hauteurs, n’ont pas peur ! Nous n’avons pas peur d’être dévorés par les autruches conciliaires car il est bien connu que les autruches ne mangent pas les aigles ! Il peut leur arriver d’être méchantes et de se disputer entre elles, mais le plus souvent elles s’enfuient, et il serait vraiment inconvenant que les aigles se mettent à faire l’autruche !

La vraie question, en fait, est de savoir si nous avons des raisons d’avoir des peurs d’autruche, d’avoir peur de l’avenir, peur de ne pas tenir et de déchoir, peur d’être trahis ou conduits vers des malheurs ou des trahisons, peur de devenir complices des autruches… toutes chose absurdes et sans aucun fondement ! Et pourtant, certains sont inquiets !

Dom Gérard écrivait dans Demain la Chrétienté ces réflexions si sages : « Le corps a besoin de vertus. Nous pensons principalement à ces vertus militaires qui sont des vertus de l'âme avant d'être des vertus de guerre. Et l'on voudrait qu'elles soient également des vertus religieuses, qu'elles fleurissent dans un univers religieux. Quelles sont-elles ? Le courage, la patience, le sens de la justice, le sens de l'honneur, le goût du sacrifice. Or, quel sentiment voit-on dominer si souvent parmi ceux qui doivent être l'élite d'une nation ? La peur. La peur de déplaire, la peur d'être désavoué, la peur d'être seul. Un religieux de grand mérite, mort il y a quelques années, nous disait : « Il aura fallu que j'arrive vers la fin de ma vie pour comprendre le rôle que joue la peur dans la vie des hommes. » (Il s’agissait du R.P. Calmel)

Contre cette peur qui étreint et qui paralyse, il y a la prière et il y a l'exemple des saints. Il y faut en plus un amour tendre et viril pour le Christ Jésus, une mystique simple et forte comme la terre de Palestine où elle prit naissance, quelque chose de crucifié et de vainqueur qui pénètre dans le fond de l’âme et la soulève, si besoin est, jusqu’aux extrémités de la terre. »

Faute de courage, de patience, de confiance et peut-être d’humilité, certains ont peur et sont inquiets ! Ils craignent que la Fraternité soit infidèle à ses pères, qu’elle ne soit pas assez forte, et se laisse séduire par les autruches conciliaires… alors qu’elle a tenu avant eux et sans eux pendant des années, et le fera encore avec ou sans eux… Je lisais il y a peu de temps des lignes désolantes au sujet du « prochain Chapitre général qui se déroulera en juillet 2018, source de grandes inquiétudes ».

Je me demande vraiment quels sont les faits objectifs réels qui peuvent susciter de telles grandes inquiétudes ! Que certains soient tentés par un accord pratique, cela est possible, mais je crois aussi que d’autres sont tentés par la rupture avec Rome !

Quant à moi qui ne suis qu’un aiglon timide, je ne suis pas assez intelligent pour voir des dangers où ils ne sont pas, et je persiste à croire et à me réfugier dans la grâce de la Fraternité et de ses supérieurs, à faire confiance au Saint-Esprit qui saura guider les travaux de notre chapitre général dans la fidélité à nos pères, bien mieux qu’il n’a pu guider ceux de ce concile où il n’a pu se faire entendre à cause des caquetages des autruches !

J’ajoute, en outre, que j’essaie de me souvenir de mon catéchisme qui enseigne que dans l’Église il y a trois pouvoirs : celui d’enseigner, celui de gouverner et celui de sanctifier, et que l’exercice défectueux de l’un d’entre eux n’annule pas la possibilité d’un exercice normal des autres !

Il serait bon de nous entendre : quand nous parlons d’Église conciliaire, de quoi parlons-nous ? Non d’une Église nouvelle mais des promoteurs d’un enseignement infidèle et de moyens de sanctification dénaturés ! Et nous refusons cela ! Mais pouvons-nous dire, penser, imaginer, prétendre que le pouvoir de gouverner soit devenu conciliaire ? Cela n’aurait pas de sens ! Qu’est-ce que cela signifie quand il s’agit de l’autorité et de la juridiction ? Quelle que soit l’intention de ses détenteurs, le pouvoir de gouverner les âmes en tant que tel, dans sa substance, a-t-il été entaché par les erreurs du concile ? Le pape, les évêques, les curés ont-ils donc perdu l’autorité et le pouvoir d’être témoins des mariages qui se célèbrent dans leurs paroisses ? Ont-ils perdu celui de déléguer ce pouvoir aux prêtres de leur choix ? Et pour ces prêtres, accepter d’être délégués revient-il à adhérer aux erreurs du concile, ou même au nouveau droit canon ? Il y a là une confusion, effet d’un esprit univoque, qui me semble très dangereuse, car refuser de reconnaître ce pouvoir comme nous refusons les erreurs conciliaires, reviendrait à nier que le pape et les évêques le possèdent encore ! Il est malheureusement possible d’être sédévacantiste sans le savoir !

Monseigneur Lefebvre, et nous tous avec lui, nous avons contesté la validité des sanctions de 1976 - 1988, mais non la légitimité de l’autorité « conciliaire » qui les a portées.

Et je n’ai jamais su que « Mgr Lefebvre avait refusé la juridiction conciliaire en ce qui concerne le sacre des quatre évêques ». Qu’est-ce donc que cette « juridiction conciliaire » ? Cela n’a pas de sens. Et en quoi accepter l’autorité et la juridiction des évêques entraînerait-il que nos mariages se célèbrent « dans le cadre du nouveau code », ou que nous prêchions la « théologie du corps » comme le font certains « ralliés » ?

Le plus ahurissant est que nous avons toujours, et ce dès le début de la Fraternité, accepté de célébrer des sacrements dans les paroisses : baptêmes, obsèques et même mariages ! Cela sous-entendait que, au moins implicitement, nous admettions l’autorité des curés ou des évêques qui nous accueillaient ! Les dispositions nouvelles font que cette reconnaissance implicite devient explicite, rien de plus ! Alors, où est la trahison ? Quand nous admettions la pratique, cela ne pouvait se faire sans admettre implicitement le principe ! C’est ce même principe que certains refusent aujourd’hui parce que son acceptation est devenue explicite !

J’irai même jusqu’à dire que nous ne pouvons pas nous placer sous une autorité « conciliaire » car nous y sommes déjà, comme tout un chacun dans l’Église, et plus encore la Fraternité elle-même est placée sous cette autorité depuis le 1er novembre 1970 ! (A moins de nier l’autorité « conciliaire » de Mgr Charrière, ou d’admettre la légitimité de l’acte posé contre la Fraternité par l’autorité « conciliaire » de Mgr Mamie en 1975 ! Mais alors, où est la logique ?) « Omnis potestas a Deo » dans l’Eglise comme dans la cité. L’autorité reçue par le pape, les évêques et les curés a sa source en Jésus-Christ. Pouvoir, autorité, juridiction en tant que tels sont donnés par Dieu pour le gouvernement de l’Église, et tout membre de l’Église est nécessairement sujet de cette autorité, quels que soient les défauts de ses détenteurs. Si ceux-ci sont infidèles à leur charge, ou refusent de reconnaître ses sujets et de leur donner ce qu’ils demandent légitimement et qu’elle doit leur donner, alors seulement intervient ce que l’on nomme la juridiction de suppléance, par laquelle c’est l’autorité même de Jésus-Christ confiée à Pierre qui est sollicitée.

En fait, pour nous, rien n’a changé depuis le 1er novembre 1970, sinon le regard de Rome, qui considère enfin que nos actes sont légitimes ! Et je suis heureux qu’un de nos supérieurs ait pensé à rappeler à tous le vœu que notre fondateur avait inscrit au chapitre IV de nos statuts, et qu’il n’a jamais démenti : « La Fraternité, en ses débuts, dépendra de l’évêque du lieu qui l’a érigé en “pieuse union” et en a agréé les statuts, en conformité avec les prescriptions du droit canon. En conséquence, tant que la Fraternité est de statut diocésain, les membres qui se destinent au sacerdoce devront avant l’engagement définitif être incardinés dans un diocèse, à moins qu’un indult spécial accordé par la S. Congrégation des religieux les autorise à être incardinés dans la Fraternité. Dès que la Fraternité aura des maisons dans divers diocèses, elle fera les démarches nécessaires pour devenir de droit pontifical. »

En fait, ce qui inspire ceux qui refusent ce pouvoir, est la peur que cela soit le premier pas vers un ralliement aux erreurs conciliaires, la première étape vers un accord pratique qui ferait litière de ces erreurs… Or, j’ai beaucoup scruter les propos, les écrits (mais non les secrets des cœurs, que nul ne connaît !) de nos supérieurs, je ne trouve nulle trace de complaisance envers les erreurs du concile ou les actes qui en sont la traduction publique et officielle, et je persiste dans la confiance à leur prudence.

Certaines craintes peuvent être légitimes. Qui peut dire que l’avenir ne lui inspire pas quelque inquiétude ? Que ce soit dans le monde, dans l’Eglise ou dans la société, tout se dégrade de jour en jour, et nous pouvons tout craindre, même le pire. Nous pouvons penser que nous allons vivre des heures terribles – et ce n’est sans doute pas le moment de nous déchirer et de nous diviser – mais… nous avons l’espérance et la confiance en la grâce de Dieu qui veille à tout et sur tous.

Avant d’être notre victoire, que cette grâce soit notre refuge lorsqu’elle nous invite à vivre des situations crucifiantes.

Crux mihi certa salus, Crux est quam semper adoro ;
Crux Domini mecum, Crux mihi refugium.

O Croix, de mon salut l’espérance assurée ;
Croix sainte, sois toujours de mon cœur adorée !
Croix du Seigneur, reste avec moi ;

O Croix, mon refuge est en toi !