18 octobre 2017

[FSSPX Actualités] Amoris lætitia, une exhortation thomiste?

SOURCE - FSSPX Actualités - 18 octobre 2017

Les propos du pape François sur Amoris lætitia, le 10 septembre 2017, lors de son voyage en Colombie, et rapportés par la revue des jésuites Civiltà Cattolica, le 28 septembre, ont suscité plusieurs réactions de la part de philosophes et de théologiens. Le pape avait alors affirmé à un groupe de jésuites : « Certains soutiennent que derrière Amoris lætitia, il n’y a pas de morale catholique, ou, tout du moins, que ce n’est pas une morale sûre. Je veux rappeler de manière claire que la morale d’Amoris lætitia est une morale thomiste, celle du grand Thomas ». 
     
Déjà le 24 octobre 2016, lors de la 36e Congrégation générale des jésuites à Rome, le pape avait tenu des propos similaires. A l’époque, le dominicain Basil Cole, professeur de théologie dogmatique et morale à la Dominican House of Studies de Washington (USA), avait répondu au « thomisme » revendiqué par François. Voici quelques extraits particulièrement éclairants de cette étude intitulée « Amoris lætitia réellement thomiste ? », parue le 16 décembre 2016 sur le blogue du vaticaniste Edward Pentin du New Catholic Register :

« (...) Il y a un autre nœud que l’on peut rencontrer en citant Thomas d’Aquin au hasard ou sans être pleinement averti de son œuvre théologique. Saint Thomas était par excellence un penseur complet et cohérent. Le fait de faire son marché parmi ses affirmations sans considérer leur contexte et leur relation à ses autres points de vue pertinents, aurait des effets aussi désastreux que le “proof texting” de l’Ecriture sainte (la citation de courts passages de la Bible en renfort d’une croyance particulière).

« On pourrait supposer que l’Aquinate soutient une éthique situationniste, lorsqu’il écrit : “Bien que dans les principes généraux, il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances […]. Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières, mais uniquement dans les principes généraux ; et chez ceux pour lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres, elle n’est pas également connue de tous […]. Plus on entre dans les détails, plus les exceptions se multiplient.” (Somme Théologique, I-II, q. 94, a. 4 ; cité dans Amoris lætitia n. 304). Si on isole cela par rapport aux autres assertions de Thomas d’Aquin, cela pourrait paraître vouloir dire que le Docteur de l’Eglise affirme qu’aucune loi morale n’est absolue, mais qu’il faut un discernement dans chaque situation pour savoir si oui ou non un principe moral général s’applique à une situation particulière. Cependant, il ne s’agit pas là d’un authentique thomisme.

« L’éthique de situation contredit la ferme affirmation selon laquelle certaines normes morales valent toujours pour tous : ce sont les préceptes du Décalogue (ST I-II, q. 100, a. 8), et des préceptes universels négatifs du même ordre, car Thomas condamne des actes qui sont “mauvais en eux-mêmes et ne peuvent devenir bons” (ST II-II, q. 33, a. 2). Il dit expressément que “l’on ne peut commettre l’adultère en vue de quelque fin bonne” (De Malo, q. 15, a. 1, ad 5).

« Dans la même veine, Thomas d’Aquin tient que certains actes “comportent une difformité qui leur est inséparablement attachée, tels la fornication, l’adultère et d’autres actes de ce type, qui ne peuvent d’aucune manière être accomplis d’une manière moralement bonne” (Quodlibet 9, q. 7, a. 2). La raison d’être de ces normes sans exception est que la nature humaine ne change pas, pas plus que l’Evangile ou le mandat de l’Eglise, chargée de le transmettre sans souillure à travers les siècles. Certaines normes positives doivent être adaptées au temps, telle la relation d’une personne à certaines circonstances ; en de tels cas, l’enseignement magistériel s’adapte à des conditions qui changent – mais toujours sans contredire la raison, ni les vérités déjà énoncées par l’Eglise.

« Pour finir, avec une théologie morale thomiste, on peut embrasser une position authentique de Thomas et bénéficier des connaissances qu’il offre en vue d’éclairer les vérités de la foi, gardées de manière pérenne par l’Eglise. Par exemple, Thomas d’Aquin explique la relation entre la sainte Eucharistie et le sacrement de pénitence. Il s’appuie sur l’enseignement de saint Paul et l’explicite : “C’est pourquoi quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur.” (1 Cor 11, 27). “Aux pécheurs publics, on ne doit pas, même s’ils la demandent, donner la sainte communion. (…) Cependant, le prêtre qui a connaissance d’un crime peut avertir en secret le pécheur occulte, ou avertir en public tous les fidèles d’une façon générale, de ne pas s’approcher de la table du Seigneur avant de s’être repentis et de s’être réconciliés avec l’Eglise.” (ST III, q. 80, a. 6).

« En outre, Thomas d’Aquin affirme que, quelles que soient les raisons que puisse avoir une personne pour avoir des relations sexuelles hors mariage, “les actions faites en vue du plaisir sont purement et simplement volontaires”, de telle sorte que l’on ne peut soutenir à bon droit que des pressions extérieures sont causes de son péché (ST II-II, q. 142, a. 3). Dès lors qu’une personne pèche régulièrement contre le mariage de cette manière et développe le vice d’intempérance, sa raison est obscurcie et elle devient esclave de ses passions (ST II-II, q. 142, a. 4). Une telle personne n’est pas capable de recevoir les sacrements avec fruit tant qu’elle ne s’est pas repentie de tout son péché, ni décidée à un effort délibéré afin d’éviter les occasions prochaines de péché : “C’est le propre de la pénitence de détester ses péchés passés, et d’avoir la ferme intention, en même temps, d’amender sa vie” (ST III, q. 90, a. 4). L’enseignement de Thomas d’Aquin est clair : une personne ne devrait pas recevoir la sainte communion ni l’absolution de ses péchés si elle n’a pas l’intention d’amender sa vie et de renoncer au péché public – y compris celui d’être sexuellement actif avec une autre personne qui n’est pas son époux sacramentel –, un péché de scandale par lequel on conduit d’autres à pécher (ST II-II, q. 43, a. 1) ».