8 août 2017

[FSSPX Actualités] Que deviennent les dubia des quatre cardinaux?

SOURCE - FSSPX Actualités - 8 août 2017

Le 22 juillet 2017, l’agence romaine I.Media revenait sur les dubia des quatre cardinaux Walter Brandmüller, Raymond Burke, Carlo Caffarra et Joachim Meisner, demandant des éclaircissements sur Amoris lætitia, depuis le 19 septembre 2016, au pape François. Demande restée sans réponse, à ce jour.

Au début du mois de juillet, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, lui aussi destinataire des dubia, n’était pas reconduit dans sa charge de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (1er juillet), et le cardinal Meisner, un des quatre auteurs, décédait (5 juillet).

I.Media rappelle que « ces dubia ont suscité des réactions contrastées. Par exemple, pour le père Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite Civiltà Cattolica et réputé proche du pape, le débat n’aurait pas lieu d’être puisque les réponses auraient été apportées lors des synodes pour la famille de 2014 et 2015. Pour le doyen de la Rote romaine, Mgr Pio Vito Pinto, une telle publicité aurait pu – en d’autres temps – faire perdre leur barrette cardinalice aux quatre auteurs.

« A l’inverse, des laïcs, des membres du clergé et même quelques cardinaux soutiennent la démarche des dubia et s’associent aux interrogations. Ainsi, pour le cardinal Paul Josef Cordes, président émérite du Conseil pontifical Cor Unum, les doutes sont légitimes et les réactions ont été “disproportionnées”. Pour le cardinal Renato Martino, ancien président du Conseil pontifical Justice et Paix, il n’y a “rien de mal” à ces dubia, et “il est légitime en matière de doctrine d’adresser au pape une opinion et il est juste aussi qu’il y réponde.” »

Le 25 avril 2017, soit sept mois après la rédaction des dubia, les quatre cardinaux ont demandé une audience au souverain pontife qui ne la leur a pas encore accordée. Le vaticaniste Sandro Magister qui avait publié ces dubia le 14 novembre 2016, a fait connaître le texte de la demande d’audience, toujours refusée. On peut y lire la légitime inquiétude des cardinaux :

« Une année s’est déjà écoulée depuis la publication d’Amoris lætitia. Pendant cette période, plusieurs interprétations de certains passages objectivement ambigus de l’exhortation post-synodale ont été données publiquement, non pas divergentes mais contraires au Magistère de l’Eglise. Bien que le Préfet de la Doctrine de la foi ait à plusieurs reprises affirmé que la doctrine de l’Eglise n’a pas changé, plusieurs déclarations d’évêques individuels, de cardinaux et même de conférences épiscopales ont été faites, et elles approuvent ce que le Magistère de l’Eglise n’a jamais approuvé. Non seulement l’accès à la Sainte Eucharistie de ceux qui vivent objectivement et publiquement dans une situation de péché grave et entendent y demeurer, mais également une conception de la conscience morale contraire à la Tradition de l’Eglise. Et c’est ainsi – comme il est douloureux de le constater ! – que ce qui est péché en Pologne est bon en Allemagne, ce qui est interdit dans l’archidiocèse de Philadelphie est licite à Malte. Et ainsi de suite. L’amère constat de Blaise Pascal nous vient à l’esprit : “Justice au-deçà des Pyrénées, injustice au-delà ; justice sur la rive gauche du fleuve, injustice sur la rive droite”.

« De nombreux laïcs compétents, aimant profondément l’Eglise et fermement loyaux envers le Siège Apostolique se sont adressés à leurs pasteurs et à Votre Sainteté afin d’être confirmés dans la sainte Doctrine concernant les trois sacrements du mariage, de la pénitence et de l’Eucharistie. Et justement ces derniers jours à Rome, six laïcs provenant de chaque continent ont organisé un colloque d’études qui a été très fréquenté, intitulé significativement : Faire la clarté. (Voir plus bas l’intervention de l’universitaire Anna M. Silva, lors de ce colloque. NDLR)

« Face à cette situation grave dans laquelle de nombreuses communautés chrétiennes sont en train de se diviser, nous sentons le poids de notre responsabilité et notre conscience nous pousse à demander humblement et respectueusement audience ».

Le silence opiniâtre que le pape François oppose à cette demande, ne laisse pas de surprendre les observateurs romains. Ainsi dans la Nuova Bussola quotidiana du 20 juin, Riccardo Cascioli, sous le titre « Le silence, une attitude incompréhensible » écrivait : « Le pape qui ne daigne pas accorder un signe aux cardinaux, qui ne répond pas aux lettres et demandes d’audience : je crois qu’il n’y a pas de précédent, au moins dans l’histoire de l’Eglise au cours des derniers siècles. Ce silence est d’autant plus lourd quand l’on pense aux coups de téléphone, aux lettres, aux audiences que François accorde en grande quantité à une multitude de gens, de toutes sortes. Il est difficile de ne pas voir cette attitude comme un désir de mortifier, d’humilier les cardinaux qui sont perçus comme un obstacle à un plan de réforme.

« La raison de cette attitude est incompréhensible : le pape peut bien sûr être en désaccord avec les quatre cardinaux, il peut même avoir du mal à digérer leur insistance à signaler les incohérences d’Amoris lætitia et plusieurs de ses interprétations ; mais pourquoi ne pas le leur dire ouvertement, pourquoi ignorer totalement leur existence ? Un cardinal, n’importe quel cardinal, ne peut-il pas nourrir de la perplexité sur certains actes du pape ? Et pour cette raison, n’a-t-il pas même droit à une réponse à sa requête de rencontrer le pape ? »

Et le journaliste italien de rappeler : « De plus, pour augmenter le sentiment de malaise, il y a le fait que cette attitude méprisante du pape envers ceux qui ont signé les dubia est contraire à toute sa prédication. Prenons par exemple sa récente audience à la Congrégation pour le Clergé (1er juin. NDLR), lorsqu’il a recommandé la proximité des évêques à l’égard de leurs prêtres : “Combien de fois ai-je entendu les plaintes de prêtres… J’ai souvent dit cela (peut-être l’aurez-vous déjà entendu) : j’ai appelé l’évêque, il n’était pas là et la secrétaire m’a dit qu’il n’était pas là ; j’ai demandé un rendez-vous : tout est plein pour trois mois… Et ce prêtre reste éloigné de son évêque. Mais si toi, évêque, tu sais que dans la liste des appels que te laisse ton secrétaire ou ta secrétaire, un prêtre a appelé et que ton agenda est plein, ce même jour, le soir ou le lendemain – pas plus tard –, rappelle-le au téléphone et explique-lui la situation, évaluez ensemble, si c’est urgent, pas urgent… Mais l’important est que ce prêtre sente qu’il a un père, un père proche. Proximité. Proximité à l’égard des prêtres. On ne peut pas gouverner un diocèse sans proximité, on ne peut pas faire grandir et sanctifier un prêtre sans la proximité paternelle de l’évêque” ».

Riccardo Cascioli conclut sur une interrogation : « Si la proximité est un devoir des évêques à l’égard les prêtres, cela ne s’applique-t-il pas aussi au pape à l’égard des cardinaux et des évêques ? »

Le même jour, 20 juin, l’historien Roberto de Mattei dénonçait « le scandale du silence » dans Correspondance européenne : « Il n’y a ni scandale ni rébellion dans le fait que des collaborateurs du pape lui demandent une audience privée et qu’ils décrivent dans cette requête, ouvertement mais avec objectivité, la division qui s’étend chaque jour davantage dans l’Eglise. Le scandale réside plutôt dans le refus du Successeur de Pierre d’écouter ceux qui demandent à être reçus.

« D’autant plus que le pape François a voulu faire de l’ “accueil” la marque de fabrique de son pontificat en affirmant, dans l’une de ses premières homélies à Sainte-Marthe (25 mai 2013) que “les chrétiens qui demandent ne doivent jamais trouver portes closes”. Pourquoi refuser d’accorder une audience à quatre cardinaux qui ne font que leur devoir de conseillers du pape ?

« Les propos des cardinaux sont filiaux et respectueux. On peut penser que leur intention ait été de chercher à mieux “discerner”, lors d’une audience privée, les intentions et les plans du pape François et éventuellement d’adresser au souverain pontife une correction filiale in camera caritatis (« uniquement entre eux ». NDLR).

« Le silence du pape François à leur égard est tenace et irrespectueux, mais sa persistance exprime la position de qui avance avec détermination dans la voie qu’il s’est tracée. Puisqu’une correction privée n’est pas envisageable du fait de ce refus déconcertant d’audience, les cardinaux devront eux aussi avancer résolument dans leur voie, s’ils veulent éviter que, dans l’Eglise, le silence ne l’emporte sur leurs paroles ».

Le 15 juillet, le pape émérite Benoît XVI a fait lire un message au cours des obsèques du cardinal Joachim Meisner, décédé le 5 juillet, signataire des dubia de 2016 et de la demande d’audience de 2017. Il y faisait allusion à la situation de l’Eglise aujourd’hui, en évoquant l’image de la « barque prenant l’eau de toute part » qu’il avait déjà utilisée, en 2005, un peu avant son élévation au souverain pontificat : « Nous savons que cela a été difficile pour un pasteur et un meneur d’âmes tel que lui d’abandonner sa charge (d’archevêque de Cologne en 2014. NDLR), précisément au moment où l’Eglise a un besoin urgent de pasteurs capables de s’opposer à la dictature de l’esprit du temps et pleinement déterminés à vivre et à penser selon la foi. Mais ce qui m’a le plus impressionné c’est que dans la dernière période de sa vie, il avait appris à laisser faire les choses et à vivre toujours plus avec la certitude profonde que le Seigneur n’abandonne pas son Eglise, même si parfois la barque est presque sur le point de chavirer ».

Des propos comme « s’opposer à la dictature de l’esprit du temps », « déterminés à vivre et à penser selon la foi », et « le Seigneur n’abandonne pas son Eglise, même si parfois la barque est presque sur le point de chavirer », ont fait penser à certains que Benoît XVI apportait un soutien indirect et discret à la démarche des auteurs des dubia.

Trois mois auparavant, une universitaire australienne appelait à une réaction plus forte contre les erreurs d’Amoris lætitia. En effet, le 22 avril, se tenait à Rome un congrès international dont le thème était : « Faire la clarté sur Amoris lætitia ». L’un des exposés fut prononcé par le professeur Anna M. Silvas, Senior Research Fellow de l’Australian Academy of the Humanities University of New England (Australie). Elle y invitait vivement les cardinaux à ne pas appuyer leur démarche sur la prudence humaine, mais bien sur la prudence surnaturelle : « La proposition du cardinal Burke de publier une correction fraternelle au pape est-elle encore d’actualité ? Nous en avons entendu parler en novembre dernier, et elle a certainement conforté nos esprits troublés.

« Mais nous sommes déjà à la fin avril, et il ne s’est rien passé. Je ne peux m’empêcher de penser aux mots de Shakespeare : “There is a tide in the affairs of men” (Il y a une marée dans les affaires des hommes) [Jules César, acte IV] ... et je me demande si la marée est venue et s’est déjà retirée, et si nous, fidèles laïcs, sommes à nouveau restés abandonnés sur la plage.

« Pourtant, le cardinal Burke a récemment déclaré : “Tant qu’il n’y aura pas une réponse à ces questions, une confusion très dangereuse continuera à se répandre dans l’Eglise, et l’une des questions fondamentales est celle qui a à voir avec la vérité selon laquelle il y a des actes qui sont toujours et à tout moment erronés, que nous appelons des actes intrinsèquement mauvais, et ainsi, nous, cardinaux, nous continuerons à insister pour avoir une réponse à ces questions honnêtes”.

« Eh bien, chers cardinaux, je l’espère ! Je l’espère vraiment. Nous, fidèles, nous vous supplions : cessez de calculer les résultats prudents. La vraie prudence suggère quand il est temps de donner un témoignage audacieux, autrement connu sous le nom de martyre ».