1 janvier 1970

9 septembre 1965 [Mgr Lefebvre] Dixième intervention au concile (sur l'Église dans le monde d'aujourd'hui)

SOURCE - Mgr Lefebvre - 9 septembre 1965

Vénérables Pères,

De cette constitution pastorale, comme l’ont déjà déclaré quelques Pères, on peut affirmer, me semble-t-il, que :

La doctrine pastorale présentée dans cette constitution ne concorde pas avec la doctrine de la théologie pastorale enseignée par l’Eglise jusqu’à présent.
  
Et c’est vrai : soit au sujet de l’homme et de sa condition, soit au sujet du monde et des sociétés familiale et civile, soit au sujet de l’Eglise, la doctrine de cette constitution est une doctrine nouvelle dans l’Eglise, bien qu’elle soit déjà ancienne chez beaucoup de non-catholiques ou chez les catholiques libéraux.

Une nouvelle doctrine :
  1. En divers endroits, certains principes sont affirmés en contradiction flagrante avec la doctrine traditionnelle de l’Eglise.
  2. En bien des endroits sont affirmées des propositions ambiguës très dangereuses.
  3. Sur des points essentiels en cette matière, bien des omissions rendent impossibles les vraies réponses à ces questions.
1. En divers endroits, certaines affirmations contredisent la doctrine de l’Eglise.
  • Par exemple : toujours l’Eglise a enseigné et enseigne l’obligation, pour tous les hommes, d’obéir à Dieu et aux autorités constituées par Dieu, afin qu’ils reviennent à l’ordre fondamental de leur vocation et recouvrent ainsi leur dignité.
    Le schéma dit au contraire : « La dignité de l’homme est dans sa liberté de conscience, telle qu’il agisse personnellement, persuadé et mû par le dedans, à savoir de bon gré et non sous la simple impulsion d’une cause externe ou de la contrainte » (page 15, lignes 15 et suivantes ; page 22, N° 24).
    Cette fausse notion de la liberté et de la dignité de l’homme porte aux pires conséquences ; elle conduit notamment à la ruine de l’autorité, par exemple chez le père de famille ; elle ruine la valeur de la vie religieuse.
  • Page 18, § 19, il s’agit du communisme sous le seul aspect de l’athéisme, sans aucune mention explicite du communisme. De ce texte on peut déduire que le communisme est condamné uniquement pour son athéisme, ce qui est évidemment contraire à la doctrine enseignée constamment par l’Eglise.
    Il vaut donc mieux un texte, semble-t-il, ou qui ne mentionne point, même indirectement, le communisme, ou qui en parle au contraire, explicitement, pour en montrer la perversité intrinsèque.
  • Page 39, lignes 19 et suivantes, il est dit : « Par son incarnation, le Verbe de Dieu le Père, a assumé tout l’homme, corps et âme (ceci est vrai, certes) ; par là, Il a sanctifié toute la nature créée par Dieu, la matière y comprise, de telle sorte que tout ce qui existe appelle, à sa propre manière, son Rédempteur. »
    Cela contredit évidemment, non seulement la doctrine traditionnelle, mais également la pratique universelle de l’Eglise. Si cela était vrai, en effet, à quoi bon les exorcisme pour tout ce qui sert à l’usage des chrétiens ? Et si toute la nature est sanctifiée, pourquoi la nature humaine ne l’est-elle pas ?
  • Le chapitre du mariage, page 47, lignes 16 et suivantes, présente l’amour conjugal comme l’élément primaire du mariage, dont procède l’élément secondaire, la procréation ; tout au long du chapitre, amour conjugal et mariage sont identifiés, comme à la page 49, lignes 24 et 25.
    Cela aussi est contraire à la doctrine traditionnelle de l’Eglise et, si on l’admettait, il s’en suivrait les pires conséquences. On pourrait dire, en effet : « Pas d’amour conjugal, donc pas de mariage ! » Or, combien de mariages sans amour conjugal ! Ce sont pourtant d’authentiques mariages.
2. En bien des endroits sont affirmées des propositions ambiguës et, partant, dangereuses.
  • Page 5, lignes 10 et suivantes : « Aujourd’hui, du reste, plus que jadis, tous les habitants de la terre, de toute race, couleur, opinion, origine sociale ou religion,doivent reconnaître que tous les hommes ont un sort commun, dans la prospérité comme dans l’adversité ; que tous doivent prendre un même chemin vers un but entrevu seulement, jusqu’ici, à travers des ombres. »
    Qu’est-ce à dire ?
    Et la même proposition revient à la fin du schéma, page 83, lignes 35 et suivantes :
    « Ce faisant, nous amènerons tout le genre humain à une vive espérance, don du Saint-Esprit, qu’un jour enfin il sera admis, pour la gloire du Seigneur, dans un monde sans fin, dans une paix et une béatitude parfaites. »
    De telles propositions requièrent, c’est le moins qu’on puisse dire, une plus grande clarté, pour en éviter de fausses interprétations.
    Le caractère social de l’homme est manifestement exagéré ; d’où, bien des propositions erronées d’une façon ou d’une autre.
  • Page 21, lignes 23 et 24 : « A sa mort, l’homme laisse dans le monde un changement, soit pour le bonheur, soit pour le malheur de ses frères… »
    Et les innombrables enfants morts avant l’âge de raison ?
  • Page 28, ligne 16 : « Personne n’est sauvé seul ou pour lui seul ! » Telle quelle, cette proposition ne peut tout simplement pas être admise.
    Là où l’on parle de l’égalité entre les hommes, à savoir page 25 § 30 et § 31, bien des formules exigent une explication pour être admissibles. « L’homme a besoin, non seulement de pain, mais aussi du respect de sa dignité, de liberté et d’amour ! » Une telle formule est-elle digne d’un Concile ? Elle se prête à bien des interprétations.
  • Page 38, lignes 22 et 23, l’Eglise est ainsi définie : « L’Eglise est comme le sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain… » Cette conception demande des explications : l’unité de l’Eglise n’est pas l’unité du genre humain.
D’innombrables propositions contiennent des ambiguïtés parce que, en réalité, la doctrine de leurs rédacteurs n’est pas la doctrine catholique traditionnelle, mais une doctrine nouvelle, mélangée de nominalisme, de modernisme, de libéralisme et de teilhardisme.

3. Beaucoup d’omissions graves donnent au schéma un caractère d’irréalisme.
  • Dans l’exposition introductive, pages 6 à 10, comment peut-on taire continuellement le péché originel avec ses suites et le péché personnel, alors que nulle explication valide de l’histoire du monde et du monde actuel ne peut être donnée sans référence à ce fait historique et à ce fait actuel ?
  • Au chapitre sur la vocation de la personne humaine, pages 13 et suivantes, comment peut-on concevoir l’homme sans la loi morale ? Comment peut-on parler de la vocation de l’homme, sans parler du baptême et de la justification par la grâce surnaturelle ? Ces omissions sont des plus graves. La doctrine du catéchisme doit être alors modifiée de fond en comble.
  • Page 22, ligne 30 ; page 48, lignes 12 et 13, page 44, lignes 19 et 20 : l’Eglise n’est nullement présentée comme une société parfaite, dans laquelle tous les hommes sont obligés d’entrer pour être sauvés. Elle n’est plus une « bergerie », car il n’existe plus de mercenaire, plus de voleurs, plus de brigands ; on la définit « le ferment évangélique de toute la masse humaine».
    Quelle peut donc bien être une telle justification de toute l’humanité? Externe? Interne? Tout cela sent le protestantisme.
  • A propos de la dignité du mariage, on parle à peine du sacrement de mariage, dont découlent des grâces innombrables pour les époux et la famille.
      
    Et encore, l’allusion au sacrement est déficiente: « … ainsi, maintenant, le Sauveur des hommes, Époux de l’Eglise, vient à la rencontre des époux chrétiens, par le sacrement de mariage.» Qu’est-ce à dire?!
      
    Pourquoi tant de laconisme à propos d’une réalité si sacrée, si noble, source de sainteté pour toute la société ?
En conclusion : Cette constitution pastorale n’est ni pastorale, ni émanée de l’Eglise catholique : elle ne paît pas les hommes et les chrétiens de la vérité évangélique et apostolique et, d’autre part, jamais l’Eglise n’a parlé ainsi. Cette voix, nous ne pouvons l’écouter, parce qu’elle n’est pas la voix de l’Epouse du Christ. Cette voix n’est pas la voix de l’Esprit du Christ. La voix du Christ, notre Berger, nous la connaissons. Celle-ci, nous l’ignorons. Le vêtement est celui des brebis ; la voix n’est pas celle du Berger, mais peut-être celle du loup.

J’ai dit.

(Texte non lu publiquement, déposé au Secrétariat général du concile)