13 décembre 2016

[Paix Liturgique] De Rennes à Quimper, la Bretagne à l'heure traditionnelle

SOURCE - Paix Liturgique - lettre N°573 - 13 décembre 2016

À quelques jours d’intervalle, deux articles consacrés à la diffusion de la liturgie traditionnelle en Bretagne ont attiré notre attention : le premier, dû au site de réinformation Breizh-Info, le second au quotidien local Le Télégramme. Alors que le premier annonçait « quatre nouveaux lieux de culte » pour « la messe en latin » dans la région, le second s’inquiétait de voir « les traditionalistes de retour à Quimper ». Deux articles à la tonalité fort différente, donc, mais illustrant un même phénomène : le réel développement de l’offre liturgique « extraordinaire » dans une région où, comme l’avait mesuré le sondage réalisé en mai 2011 par le cabinet JLM Études pour Paix liturgique, la demande est particulièrement forte.

I – ENFIN UNE MESSE À QUIMPER !

« Depuis le mois de septembre, un prêtre traditionaliste est autorisé à dire la messe en latin à l’église Saint-Mathieu de Quimper. Les fidèles sont quelques dizaines. Faut-il y voir une percée des opposants à la modernisation de l’Église ? » s’inquiète Ronan Larvor dans l’article qu’il signe pour l’édition finistérienne du Télégramme du 23 novembre 2016. Bien que jouant la carte du sensationnalisme, l’auteur a le mérite de se demander si « l’arrivée de prêtres traditionalistes » est une réponse « à la faiblesse des ordinations dans l’Église actuelle », reprenant les informations contenues dans notre lettre sur les statistiques des ordinations 2016 en France.

Bien entendu, le chargé de communication du diocèse s’empresse de rejeter cette hypothèse mais reconnaît toutefois qu’existait localement « une petite demande pour une messe traditionaliste », précisant que, désormais, « une soixantaine de personnes y assiste chaque dimanche ».

C’est à un prêtre de la Fraternité Saint-Pierre, l’abbé Loïc Courtois, que Mgr Dognin a confié la célébration de la forme extraordinaire du rite romain en l’église Saint-Mathieu de Quimper, chaque dimanche matin, à 10h30. L’abbé Courtois, que Mgr Dognin avait connu lorsqu’il était auxiliaire du cardinal Ricard à Bordeaux, est en outre chargé d’une célébration à Saint-Pol-de-Léon, le dimanche à 18 heures, jusqu’ici assurée par un chanoine de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre.

II – 41 LIEUX DE CULTE EN BRETAGNE

Selon Louis-Benoît Greffe, du site Breizh-Info, la Bretagne historique – Loire-Atlantique comprise, donc – compte désormais 41 lieux de culte offrant la « messe en latin ». Ce décompte inclut non seulement les lieux relevant de la Fraternité Saint-Pie X (18) et ceux s’inscrivant dans un contexte diocésain (15) mais aussi ceux dépendant de groupes indépendants (8).

Entre l’été 2015 et l’été 2016, la messe traditionnelle a gagné 4 nouveaux lieux de culte. Un essor qui s’explique selon Louis-Benoît Greffe par « un important développement démographique » des fidèles attachés à la messe traditionnelle. Son étude fait apparaître que « les lieux de culte "tradi" sont essentiellement concentrés sur les côtes et près des grandes villes », à quelques exceptions près.

Parmi les derniers lieux de culte, outre Quimper, l’auteur cite la célébration estivale en l’église du Clion-sur-Mer, près de Pornic, où se relaient les curés de Pornic et de Saint-Père-en-Retz qui « ont appris tous deux la messe en latin afin de la dire l’été, à la suite de demandes insistantes depuis 2012 de paroissiens réguliers ou en vacances ».

Il s’intéresse aussi au cas de la chapelle Notre-Dame de Cîteaux, aux confins de la Loire-Atlantique, de l’Anjou et de la Mayenne, récemment reprise par la FSSPX. Sise à 16 km à l’est de Châteaubriant, cette chapelle a accueilli le 13 novembre une première messe dite par un prêtre venu du prieuré de Nantes et pourrait devenir un lieu de célébration mensuelle « suite à des demandes de fidèles traditionnels installés dans le Castelbriantais ».

III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Siège épiscopal et préfecture du Finistère, Quimper n’offrait jusqu’à cette rentrée 2016 aucune messe traditionnelle« officielle ». Le lieu de messe le plus proche – 40 minutes de route toutefois – était le monastère des Petites Sœurs de saint François d’Assise au Trévoux, desservi par les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. La forte présence de la FSSPX dans le diocèse – elle y offre 6 messes dominicales hebdomadaires en 4 lieux (Brest, Morlaix, Plouigneau et Le Trévoux) a longtemps servi de prétexte à la hiérarchie ecclésiastique pour se montrer au mieux indifférente, au pire franchement hostile, à l’octroi de messes Ecclesia Dei puis Summorum Pontificum en dehors de Brest (église Saint-Martin). L’arrivée de la FSSP à Quimper met donc fin à une longue attente pour les fidèles locaux et rééquilibre un peu la situation diocésaine.

2) Comme l’illustre bien l’article de Breizh-Info, la Bretagne est une terre où l’offre traditionnelle est forte. Toutefois, seulement 15 des 41 lieux de culte recensés par l’auteur sont érigés canoniquement, les autres relevant soit de la FSSPX soit de groupes indépendants. Il n’est donc pas exagéré d’écrire que l’offre diocésaine est en retard par rapport à la demande locale. Tout cela remonte bien évidemment à la façon brutale dont le clergé breton avait embrassé la réforme liturgique, rompant du jour au lendemain avec la piété qui caractérisait jusque-là la pratique religieuse des Bretons. Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique, rappelait cet été, alors que les fidèles de Rennes se mobilisaient pour sauver leur messe menacée par Mgr d’Ornellas, que c’était « par la violence, en quelques mois, [qu’avait] été imposée, en 1969, la célébration du nouvel Ordo de la messe » donnant l’exemple du « Père Gagneux, dominicain du couvent de la rue de Brizeux à Rennes [qui] avait obtenu l’autorisation de célébrer la messe selon l’antique rite dominicain à condition que cette célébration ait lieu à 5 heures du matin et sine populo » !

3) Le sondage que nous avons fait réaliser en mai 2011 par l’institut indépendant JLM Études dans le diocèse de Rennes indiquait que seulement 55,3% des catholiques avaient eu connaissance du motu proprio de Benoît XVI. Il révélait toutefois que 62,7% des pratiquants déclarés (ceux qui assistent à la messe au moins un dimanche par mois) assisteraient volontiers au moins une fois par mois – c’est-à-dire à chacune de leur pratique pour la majorité d'entre-eux – à la célébration de la forme extraordinaire si celle-ci était célébrée dans leur paroisse. Ces résultats, conformes à ceux enregistrés dans nos autres sondages diocésains, prouvaient l’existence dans le diocèse et, partant, en Bretagne, comme partout ailleurs, d’un vaste peuple de silencieux qui participe ordinairement de la liturgie diocésaine mais est prêt à goûter aux richesses du missel de saint Jean XXIII. En fait, tout indique, au regard du potentiel de fidèles locaux, que le nombre de lieux diocésains dédiés à la forme extraordinaire pourrait facilement doubler sans que les bancs ne soient clairsemés.

4) De la Bretagne catholique, le Finistère était la pointe avancée, sauf Brest la ville des arsenaux avec sa banlieue rouge. Ainsi, dans le Léon, région appelée la terre des prêtres, la pratique dominicale, selon l’enquête du chanoine Boulard, en 1957, y atteignait des records (jusqu’à 94% dans le canton de Plabennec). Dans certaines paroisses, la proportion de communions pascales était de 100%, peu de temps encore avant le Concile. En effet, alors que, presque partout en France la séparation de l’Église et de l’État, au début du XXème siècle, avait marqué le commencement d’un long reflux religieux, spécialement par la chute du nombre des vocations (sans commune mesure tout de même avec celle qui a suivi Vatican II), la Bretagne s’était quant à elle constituée en chrétienté provinciale, avec un clergé dont le nombre avait continué à croître jusque dans les années 50, avec un réseau serré d’associations, coopératives, mutuelles catholiques, et avec une couverture complète des paroisses par des écoles catholiques. Mais cette reconquête s’est heurtée à des obstacles de plus en plus grands, puis a été balayée par les grands vents des années 60, concile Vatican II puis mai 68. Pour autant ce capital ne s’est pas totalement dissipé et pourrait être partiellement réactivé.

5) D’ailleurs, dans l’introduction du Directoire sur la piété populaire et la liturgie publié en décembre 2001 par la Congrégation du Culte divin, il était écrit que « l’abandon manifeste et hâtif de formes de piété héritées du passé [a] pour effet de laisser des vides qu’il est souvent impossible de combler ». Nous serions tentés d’écrire, dans le même registre et en pensant à la Bretagne que « l’abandon manifeste et hâtif de la liturgie héritée du passé a eu pour effet de laisser des vides qu’il a souvent été impossible de combler... sauf à ressusciter la piété populaire » ! La Bretagne a en effet connu, depuis une trentaine d’années, un grand renouveau, qui ne se dément pas, de ses pardons et de ses troménies, manifestations d’une piété populaire publique qui a disparu dans la plupart des autres régions françaises. Certes ce mouvement à tonalité folklorique est loin encore de correspondre à un grand « retour » antimoderne. Mais, porté par les laïcs, ce mouvement – qui correspond aussi, tout de même, à un fort élan identitaire manifesté dans la culture comme dans l’économie – ne trouve-t-il pas en partie sa source dans la réaction du sensus fidei des catholiques bretons à la platitude et à la misère des liturgies dominicales qu’ils ont dû subir du jour au lendemain à l’issue de la réforme conciliaire ? Sensus fidei qui explique aujourd’hui le développement, lent mais continu, de la liturgie traditionnelle dans la région.