4 septembre 2016

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Considérations sur la papauté

SOURCE - Le Seignadou - septembre 2016
Le pape François a vraiment de quoi scandaliser les esprits les mieux disposés, surtout lorsqu’il s’exprime en avion ! Sans doute est-il argentin, et ceci peut expliquer cela ! Il semble (en bon jésuite) plus attaché à la pratique conciliaire qu’à sa théorie (à la différence de Benoit XVI, théologien du concile). Mais il est quand même difficile de savoir ce qu’il est et ce qu’il pense vraiment. Cela dit, tant qu’il proclamera le Credo, je suis tenu de le tenir pour catholique ! Conclure diversement serait présomptueux et très imprudent ! Sans vouloir m’attarder sur ce point, s’il n’était pas catholique, il ne pourrait pas être le vicaire de Jésus-Christ, l’Église catholique ne serait plus qu’un petit nuage sans réalité humaine, et la Rome éternelle vivrait effectivement dans l’éternité, hors du temps ! Sans son vicaire, Jésus-Christ ne peut plus gouverner visiblement son Église, qui ne serait donc plus son Église. Sans vicaire, l’Église peut cheminer pendant un certain temps, comme après la mort du pape. Mais si cela devait durer, nous devrions nous en remettre au régime des grâces actuelles, qui ne manqueront jamais, à celui de la suppléance mais… tout cela demeurerait indiscernable, incertain, et ce serait là une situation pleine de risques ! Je ne vois pas pour quel motif Dieu renierait ses promesses d’assistance et permettrait que son Église soit ainsi livrée aux égarements humains ! Les promesses faites à Pierre font partie de notre Credo et pour cette simple raison, il me paraît périlleux de vouloir imaginer un pape qu'il faudrait rejeter en bloc. Penser une foi intégrale en excluant le principe même du vicaire du Christ, est-ce bien raisonnable ? N'a-t-on pas dans ces conditions commencé à exclure un élément constitutif de notre foi?

Mais il est aussi trop facile de dire que l’on n’est pas sédévacantiste et que l’on reconnaît l’autorité du pape, tout en refusant tout ce qui vient de lui, parce qu’il est « néo-moderniste », par crainte d’une contamination conciliaire, etc. Cela me paraît bien sommaire comme théologie, et j’affirme que tout ce qui vient de Rome n’est pas nécessairement « conciliaire » ! L’Église catholique vit toujours à Rome avec un pape, vicaire de Jésus-Christ, même si ce vicaire semble par moment infidèle à sa charge. N’oublions pas que l’Église catholique n’est pas « le corps mystique du pape » (P. Calmel) et que l’Église conciliaire n’est rien d’autre que l’Église catholique encombrée d’une pensée qui lui est étrangère, affligée d’une liturgie et d’une théologie qui lui sont imposées, et si nous l’appelons Église « conciliaire », c’est parce qu’il est d’usage de nommer une réalité d’après ce qui est le plus visible en elle, comme nous disons d’un homme qu’il est un vaurien. Cela ne signifie pas que tout en lui soit sans aucune valeur ! Et s’il est vrai que l’Église catholique n’est plus très visible aujourd’hui, muselée par ceux qui parlent au nom du concile, ce n’est pas pour autant qu’elle ne subsiste pas sous ces oripeaux conciliaires.

Quant au pape François, il est vrai qu’il est déroutant, inquiétant. Je ne sais pas, par exemple, s’il sait encore distinguer la grâce actuelle (secours passager donné par Dieu qui n’établit pas en état de grâce permanent) de la grâce habituelle, ou sanctifiante (donnée par les sacrements de l’Église), mais il semble penser que tous les non-chrétiens, et même les pécheurs publics, sont en état de grâce. Ses propos et ses comportements laisseraient entendre que tous les infidèles sont vertueux et dignes de considération, que les pécheurs publics sont en état de grâce; quant aux fidèles d’aujourd’hui, bien peu semblent trouver grâce à ses yeux. Cela serait gravissime et proprement scandaleux, et il est évident que certains de ses propos peuvent nous scandaliser, au sens propre du mot.

Cela dit, on ne combat pas une erreur au moyen d’une autre erreur, en proclamant, par exemple que tout ce qui provient de la « Rome néo-moderniste » est nécessairement mauvais, voire péché, que rien de bon ne peut venir de Rome et que tout doit être rejeté.

St Thomas d’Aquin a parfaitement élucidé la question en parlant de l’infidélité (II-II, 10, a. 4) : 
« Le péché mortel ôte la grâce sanctifiante, mais ne gâte pas totalement le bien de la nature. Aussi, puisque l'infidélité est un péché mortel, assurément les infidèles sont dépourvus de la grâce; cependant il reste en eux un certain bien de la nature. Il s'ensuit évidemment qu'ils ne peuvent faire les œuvres  bonnes qui découlent de la grâce, c'est-à-dire des œuvres  méritoires; cependant, les œuvres  bonnes pour lesquelles suffit le bien de la nature, ils peuvent quelque peu les faire. Par suite, il n'est pas fatal qu'ils pèchent en tout ce qu'ils font; mais ils pèchent chaque fois qu'ils entreprennent une œuvre  procédant de l'infidélité. De même, en effet, qu'en ayant la foi on peut commettre un péché dans un acte qu'on ne rapporte pas aux fins de la foi, en péchant soit véniellement, soit même mortellement, de même l'infidèle peut aussi faire une bonne action dans ce qu'il ne rapporte pas à l'infidélité comme à une fin. » 
Et le R.P. Bernard commente ainsi cet article: 
Le grand mal de l’infidélité ne va pourtant pas jusqu’à faire que toutes les actions de l’infidèle soient des péchés ni toute sa vie une suite de fautes… Le bon sens dit bien que, si le fidèle n’est malheureusement pas exempt de tout péché, l’infidèle n’est pas fatalement la proie de tout péché. L’article se termine sur ce rapprochement et en a dit la raison. – 1° L’infidélité positive et consommée, étant à coup sûr un péché très mortel, prive l’âme de la grâce et des richesses qui en découlent : ainsi empêche-t-elle l’infidèle de mériter pour le ciel, d’éviter beaucoup de péchés ou de s’en évader s’il y est tombé. – 2° Cependant, l’infidélité ne détruit pas la nature ni ce qu’il peut y avoir de bon dans la nature. Ainsi l’infidèle peut avoir dans sa raison naturelle assez de lumière pour diriger son intention vers le bien, surtout s’il s’agit d’une fin assez immédiate et d’un bien assez tangible qui soit pour ainsi dire connaturel à l’homme. L’infidèle peut être bon fils, bon époux, bon père, aimable en société, probe en affaires. Il peut même nourrir en son esprit de plus hautes pensées, former le dessein de concourir à l’œuvre universelle et, à travers sa conception de l’univers et de la vie, s’orienter vers Dieu d’une manière au moins implicite.
Ainsi verrons-nous de temps en temps des infidèles notoires se dévouer à leur patrie, servir généreusement l’humanité, et par là obscurément servir et aimer la divinité. Telle est du moins l’idée de Cajetan dans le beau commentaire qu’il a sur cet article – Il reste pourtant, dit le texte, ceci : tout ce que l’infidèle pensera ou fera sous l’inspiration de son infidélité et pour des fins qui sont celles de l’infidélité, participera évidemment quelque chose du péché d’infidélité ; ce n’est qu’en échappant à ses préoccupations d’infidélité que l’infidèle peut se rallier au bien ; aussi arrive-t-il à certaines infidélités de prendre tant d’empire sur une vie qu’elles en vicieront tous les actes en les inspirant tous. C’est cependant là un cas extrême. Gardons-nous de penser que rien de bon ne peut sortir des infidèles. Souvenons-nous que la sainte Eglise a condamné cette sévérité. Au nombre des propositions de Baïus, que saint Pie V a réprouvées comme hérétiques, la 25e dit : « Toutes les œuvres des infidèles sont des péchés et les vertus des philosophes sont des vices », et la 35e dit : « Tout ce que fait le pécheur ou l’esclave du péché, c’est un péché ». (Denzinger, 1025 - Bulle "Ex omnibus afflictionibus" 1e octobre 1567).
Tout cela est limpide, admis par tous les théologiens sérieux, mais nous pouvons ajouter peut-être le plus important, la clé de tout en cette matière, que « L’homme, sans la grâce sanctifiante, peut opérer de bonnes œuvres, non seulement de l’ordre naturel, mais encore de l’ordre surnaturel, avec le secours de la grâce actuelle. » Il est certain que Dieu peut accorder quelque grâce actuelle à tout homme, qu’il soit en état de grâce ou dans l’état de péché, pour lui permettre d’accomplir des actes bons et vertueux. Même dans l’hypothèse d’un pape infidèle, qui pècherait contre la foi et la morale, Dieu peut lui accorder des grâces actuelles pour opérer de bonnes œuvres.

C’est un principe universel, qui s’applique dans tous domaines de la vie spirituelle et morale, car il relève de la charité la plus élémentaire, qui veut que face à un pécheur, quel que soit son péché et aussi mauvais soit-il, il convient de favoriser le bien qui demeure en lui, aussi caché soit-il, sans pour autant approuver le mal qui domine peut-être en lui.

Alors peut-on encore dire « adhérer de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique » tout en refusant tout ce que propose la « Rome néo-moderniste », même lorsque l’objet de ces propositions « ne procède pas de l’infidélité et ne se rapporte pas à l’infidélité comme à une fin », quelle que soit l’intention secrète du donateur ? Et comment pouvons-nous espérer aider l’Église à se débarrasser de ses oripeaux conciliaires, et à retrouver toute sa vigueur catholique si nous demeurons continuellement sur la touche, en spectateurs critiques, caustiques et méprisants ?

Et quand je pense à la clarté et à la simplicité des déclarations de Monseigneur Lefebvre qui savait dire les choses les plus essentielles en termes accessibles à tous, je me dis que ceux qui ne comprennent pas cela, et qui ont besoin d’articles et d’études interminables pour exprimer leur pensée, n’ont pas encore acquis son esprit, même s’ils prétendent sauver l’esprit de la « vraie Fraternité » ! La position de Mgr Lefebvre a toujours été claire : Ce qui est bon chez les papes, nous le prenons. Il n’a jamais dit qu'il condamnait et rejetait tout ce qui a été produit par eux depuis le 11 octobre 1962. Il disait plus simplement refuser l'esprit des réformes et non ce qui résultait légitimement des 2000 ans de Chrétienté.

Je devine les objections que l’on me fera, et je les examinerai en son temps.

D’ici là, que Notre-Dame de la Sagesse nous garde dans la lumière qui est la parole de son Fils.