30 mai 2016

[Bertrand Y. (blog)] Les distinctions d'un pape

SOURCE - Bertrand Y. (blog) - 30 mai 2016

« Les illusions d'un pape » est le titre de la recension, dans un hebdomadaire dit de « droite » de ce mois de mai, sur une parution récente revenant sur la question du « ralliement » à la République, en tant que régime, et accablant, une nouvelle fois, à son sujet le pape Léon XIII. L'auteur de l'article nous paraît en général mieux inspiré. Sans vindicte à son égard, nous allons néanmoins défendre un autre point de vue...                
               
En 1892, ce pape publie l'encyclique « Au milieu des sollicitudes » à l'intention des catholiques de France. Identifier, alors, la résistance à son message, prônant la reconnaissance du nouveau régime, avec l'ensemble des fidèles de la Fille aînée de l'Eglise est certainement une erreur. Elle est, en réalité, le fait d'une minorité. Pour preuve, l'effondrement, d'après ce papier lui même, du parti monarchiste français après l'encyclique papale. Il ne jouissait donc plus, déjà avant, de l'appui solide de la majorité des catholiques. Celle ci se rallia, non d'abord à la république, mais à ce qui lui parut une politique sage laquelle ne condamnait nullement la monarchie en elle même mais l'exagération pratique de certains de ses défenseurs. En effet, il ne s'agissait pas pour le pape de convaincre les catholiques « d'abandonner leur attachement à la monarchie » mais de faire preuve d'un vrai souci du bien commun qui de façon réaliste devait passer, à ce moment, par un renoncement provisoire à cette forme de gouvernement, étant donné qu'elle n'a rien d'absolument nécessaire pour un Etat aux yeux de la doctrine on ne peut plus traditionnelle de l'Eglise (cf. St Thomas d'Aquin).
                    
Cette minorité avait sans doute de bonnes raisons de détester ce gouvernement républicain, persécuteur de l'Eglise. Mais c'était alors le devoir du pape d'éclairer celle la afin de bien distinguer celui ci du régime qui n'est en soi pas mauvais. Ce en quoi, loin d'empiéter dans le domaine temporel de façon indue en imposant son choix (monarchie ou république), il ne faisait qu’entériner celui déjà accepté (plus de 20 ans après son avènement) par la majorité de la population et avait avant tout en vue le bien de l'Eglise ou des âmes ; mais ni la seule survie d'un ancien régime en soi caduc, ni même celle des propres Etats de l'Eglise qui, en l’occurrence, passait au second plan. C'est le manque de docilité, voire plus, à la voix autorisée du successeur de Pierre qui a pu valoir à des monarchistes les foudres de certains confesseurs ; autrement dit, leur attachement désordonné et non celui tout court à la royauté.
                    
Que Léon XIII n'ait pas obtenu l'apaisement espéré montre surtout la détermination sectaire de ses adversaires que charitablement il n'avait pas prise à sa juste mesure. Fort de l'expérience son successeur en tiendra compte et ne transigera plus. Mais avec une grande différence car autant on pouvait transiger sur un changement de régime, autant on ne le pouvait sur la place prééminente et exclusive qui devait revenir à l'Eglise de France dans une société civile encore majoritairement et profondément catholique. En cela St Pie X fut, certes, le seul qui ait vu clair mais par rapport à l'épiscopat français et non par rapport à son prédécesseur (cf. notre article « Le Cardinal Baudrillart et Monseigneur Lefebvre, fils éminents de France et de l’Eglise »).
                    
Il n'y a de paradoxe dans l'attitude de ce souverain pontife que pour ceux qui ne l'ont pas comprise ou qui n'ont pas voulu la comprendre, par un attachement non raisonnable mais passionnel à un régime plutôt qu'à un autre, ou qui ne possèdent pas l'art de la distinction propre à tout vrai disciple de St Thomas qu'il était : ici entre le régime républicain bon en soi (comme la monarchie) et le gouvernement en place évidemment mauvais (qui aurait pu être monarchiste comme cela s'est vu dans d'autres pays). Ne pas faire cette distinction reviendrait aujourd'hui à ne pas faire, par ex., celle entre nazisme et Allemagne ! Distinguer ainsi n'est nullement en contradiction avec sa condamnation claire et vigoureuse du libéralisme car il fait aussi partie de la pratique traditionnelle de l'Eglise de tolérer, parfois, ce qu'elle condamne. Cela n'a rien d'une attitude libérale sauf pour ceux qui de nouveau ne savent pas distinguer la tolérance vraiment catholique de la soi-disant telle des libéraux qui n'en est pas une car elle n’existe qu’envers ce qui est mal à ses yeux alors que soit ce qui est mal pour nous est bien pour les libéraux, soit ce qui leur paraît tel ne doit plutôt pas être permis selon eux: « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » (cf. le génocide vendéen sous la Révolution, par ex., d'esprit libéral en dépit des apparences...). Car ils ne connaissent pas davantage la charité mais n'ont que haine envers leurs adversaires.
                    
Le vrai paradoxe est qu'une telle attaque contre ce pape accusé d'être libéral trouve sa place dans un hebdomadaire qui, bien que réputé « de droite », ne fait de l'antilibéralisme (philosophique - celui condamné par Léon XIII – à ne pas confondre avec l'économique) ni son fond de commerce, ni son cheval de bataille, bien au contraire. En fait, il n'existe, aujourd'hui en France, aucun grand media antilibéral comme il en existait à l’époque de ce pape (« L'Univers » de L. Veuillot, par ex.). Comme il n’existe aucun grand parti politique antilibéral à l'instar du parti légitimiste d'alors, vrai et seul parti de « droite » contre tous les autres issus de la Révolution, plus ou moins de « gauche » ou se réclamant tous du principe libéral par excellence qu'est la liberté de conscience ou la primauté de celle ci sur la vérité, donc sur Dieu ; et par conséquent celle des fameux « droits de l'homme » sur ceux de Dieu : autant d'erreurs graves condamnées sans concession par le grand pape Pecci, entre autres. Il est donc pour le moins cocasse que ces libéraux se croient autorisés à lui donner une leçon d’antilibéralisme ! 
                    
Quant à l'auteur du livre, nous distinguons l’historien du philosophe ! L’historien qui apporte les matériaux que sont les documents et témoignages ; et le philosophe qui en affine l’interprétation. Or les jugements nous paraissent ici manquer singulièrement de nuances donc de justesse (comme dans l’interview donnée ce 21 mai dans un quotidien plutôt bien pensant). Que Pie IX ne fusse pas d’une nature portée à la diplomatie, peut être ? Mais en tant que pape, il était entouré d’une curie dont la réputation en la matière est universellement reconnue depuis des siècles et dont la pratique comporte nécessairement certains compromis comme, par exemple, tous les concordats. Que Léon XIII fut d’un naturel plus diplomate, sans doute. Mais user du compromis n’est donc pas le propre d’un esprit libéral ou manquant de surnaturel, bien au contraire. Car c’est la charité, l’âme de l’Eglise depuis toujours, qui est la cause de son art bien à elle de la concession qu’on appelle aussi tolérance (la vraie, la catholique) et qui parfois fait éviter concrètement « la lutte ouverte contre l’ennemi » dont en théorie on condamne pourtant sans ambages les faux principes. Telle est aussi l’attitude pastorale, c’est-à-dire à l’image de celle du Bon Pasteur et du Sacré Cœur, qui consiste à ne pas appliquer brutalement ou avec rigorisme la doctrine mais avec une patience inlassable, au risque de paraître peut être incohérent ou de ne pas être compris (scandale des faibles). De plus, avant d’opposer ces deux papes sur une même question, il faut avoir la connaissance parfaite de toutes les circonstances en lesquelles chacun a agi et qui ont fort peu de chances d’être identiques. Et il est un peu trop facile de reprocher au dernier, plus d’un siècle après les évènements, de ne pas avoir bien su prévoir le degré des mauvaises dispositions des ennemis de l’Eglise face à lui ! Enfin établir un parallèle, voire un rapport de cause à effet, entre le ralliement de Léon XIII et celui de Vatican II (à l’esprit du monde), c’est ne pas voir plus loin que le mot lui-même (ralliement) car il y a, en réalité, au moins une différence essentielle : d’un côté, une seule concession pratique et aucune quant à la doctrine de l’Eglise ; de l’autre, de multiples concessions d’abord doctrinales puis pratiques. Cette thèse ne s’en prend en définitive qu’à une chimère!