11 mai 2014

[Abbé Jean-Baptiste Moreau, fssp - FSSP Besançon] Sermon de la solennité de Sainte Jeanne d'Arc

SOURCE - Abbé Jean-Baptiste Moreau, fssp - FSSP Besançon - 11 mai 2014

Qu'est-ce qu'un saint canonisé ? La question mérite d'être posée en ce jour où nous célébrons la solennité de sainte Jeanne d'Arc, dont la canonisation – c'est-à-dire la déclaration de sainteté par l'Eglise – suivit un long, tortueux et difficile parcours de près de cinq siècles. La question mérite également d'être posée à la suite de la canonisation des Papes Jean XXIII et Jean-Paul II - qui n'a pas manqué de susciter, chez les uns une immense allégresse, chez d'autres un étonnement intéressé, chez d'autres encore une virulente contestation. Le contraire eût d'ailleurs été étonnant dans la mesure où ces deux personnalités hors du commun ont été de très près liées à un événement qui déclencha et déclenche encore les réactions les plus passionnées : le Concile « Vatican II».

Mais revenons à notre propos initial : qu'est-ce qu'un saint ? Un saint est un(e) chrétien(ne) qui a pleinement épanoui dans son quotidien le germe de Vie divine reçu au jour de son baptême. Que cela ait été le fruit d'une longue et progressive maturation ou, à l'opposé d'une soudaine conversion, notre baptisé(e) en route vers la sainteté a pleinement fait entrer le Christ dans sa vie : le contemplant dans la prière, il l'a pris dans son cœur et l'a fait rayonner dans toute son existence. Il ne s'agit là nullement de je ne sais quelle condition privilégiée qui le placerait au-dessus du commun des mortels, de ne je ne sais quelle perfection magique réservée à un petit nombre d'élus. L'appel à la sainteté est lancé à tout chrétien et chaque saint y a humblement répondu, dans les circonstances concrètes qui l'ont ciselé petit à petit : au cœur d'une époque et d'une culture, enraciné dans une famille et dans une terre, pourvu de qualités et de talents, marqué aussi par les défauts et les misères de notre condition de pécheur. C'est dans cette belle et bien imparfaite pâte humaine que la grâce divine a été semée, a germé, a fleuri, s'est épanouie pour, finalement, éclore définitivement dans le Ciel.

Là-haut, dans le Paradis, innombrables sont les saints qui ont le bonheur immense de contempler, d'adorer et d'aimer Dieu pour toute l'éternité. La plupart – la grande majorité - nous est inconnue ; d'autres, à l'opposé, nous sont proposés par l'Eglise comme des modèles sûrs et authentiques de vie chrétienne. Ce sont les saints canonisés. En effet, après qu'un groupe de fidèles a pris l'initiative d'en faire la demande, l'Eglise, à la suite d'une minutieuse enquête, décide de s'engager solennellement et d'affirmer que tel baptisé se trouve désormais pour toujours dans la Gloire de Dieu et qu'il est, à ce titre, pour le peuple chrétien, un authentique témoin du Christ, un modèle sûr que l'on peut suivre et un intercesseur pour nous dans le Ciel. Telle est la canonisation.

La question vient alors : mais cette déclaration de sainteté que l'Eglise proclame en la personne du Souverain Pontife, cette canonisation nous engage-t-elle – nous, catholiques, fils de la Sainte Eglise ? Après tout, le Pape n'est pas infaillible en tout ; ainsi lorsqu'il se prononce sur des sujets de politique ou d'économie, son avis mérite d'être entendu avec révérence, prudence, sagesse mais il peut aussi être discuté et contesté. En est-il de même pour les canonisations ? Quelle importance leur accorder ? Quel engagement de foi demandent-elles de notre part ? Je laisse répondre à cette question le Pape Benoît XIV:
" Quiconque oserait prétendre que le Pape s'est trompé dans telle ou telle canonisation, ou que tel ou tel saint canonisé par le Pape ne doit pas être honoré par un culte de vénération, celui-là, disons-nous, s'il n'est pas déjà hérétique, soutient une proposition erronée et mérite les plus graves censures".
Dans la déclaration de canonisation, en effet, le Pape est tout spécialement assisté de ce don spécial de l'Esprit-Saint que l'on nomme « infaillibilité pontificale » qui permet au successeur de Pierre de ne pas se tromper lorsqu'il enseigne l'Eglise en vertu de son autorité suprême.

La formule très solennelle que le Pape François a employée pour la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II est, d'ailleurs, à ce sujet, extrêmement claire : le Souverain Pontife a engagé dans cette proclamation son infaillibilité pontificale. Le nier revient tout simplement à remettre en cause une doctrine que saint Thomas d'Aquin, déjà, tenait pour acquise et qui n'a jamais été remise en question. Saint Jean XXIII et saint Jean-Paul II sont au Ciel. Il n'y a, pour aucun fils de l'Eglise, à revenir sur cette affirmation.

Pour autant, canoniser un Pape, ce n'est pas canoniser un pontificat. Je vous le disais : la sainteté n'a rien d'une perfection magique et aucun saint n'est le Christ lui-même, Vrai Dieu et homme parfait. Lorsque l'Eglise canonisa saint Louis, elle n'entendit jamais proclamer que l'ensemble de son gouvernement royal avait été en tout point parfait et adéquat. Lorsque l'Eglise canonisa Jeanne d'Arc, elle n'entendit jamais proclamer que toute son épopée militaire, que le moindre de ses faits d'armes était en tout point exempt d'erreur et de maladresse. Il en va de même pour saint Jean XXIII et saint Jean-Paul II : en les canonisant, l'Eglise n'entend pas jeter une chape de plomb sur ces cinquante dernières années en proclamant que tout a été merveilleux dans et entre le règne de ces deux Papes et qu'il n'y aurait, pour les théologiens ou les historiens, rien à discuter, à investiguer ou à éclairer. Elle proclame avant tout la sainteté de deux hommes, nés Angelo Roncalli et Karol Wojtyla, devenus enfants de Dieu par le baptême, prêtres et évêques par l'ordination et, enfin, choisis - par la Providence de Dieu et le vœu des cardinaux – pour assumer l'immense et rude mission d'être les successeurs de Pierre, à la tête de la barque de l'Eglise. Cette destinée et cette mission, ils les ont traversées et portées avec leur tempérament et leur histoire personnelle, leurs talents et leurs misères, leurs limites et leur grandeur…mais toujours en s'efforçant de mettre leurs pas dans les pas du Christ Seigneur, en disciples amoureux – quotidiennement, héroïquement amoureux - de Jésus. Telle est le sens de leur canonisation.

Je terminerai – vous en serez heureux – ce long sermon par trois derniers points:

- tout d'abord, lorsque l'Eglise pose un acte, écoutons toujours attentivement l'explication qu'elle nous en donne. En effet, en la personne du Saint-Père, l'Eglise nous a clairement donné le sens de cette double canonisation : dans son homélie, en effet, le Souverain Pontife n'a pas dit : « je canonise en Jean XIII le Pape de l'ouverture au monde et j'applaudis des deux mains aux excès et aux scandales qui ont été commis au nom – au prétexte – du Concile Vatican II que le Bon Pape Jean avait initié ». Non, le Pape nous a présenté en saint Jean XXIII, un modèle de vie spirituelle : le Pape de la docilité à l'Esprit-Saint. De même, pour saint Jean-Paul II, le Pape François n'a pas proclamé : « je canonise le Pape d'Assise et de tous les conclusions plus ou moins hasardeuses que l'on a tirées de cette réunion ». Non, il nous a dit : « je canonise le Pape de la famille qui a apporté à l'Eglise et au monde, avec audace et courage, une lumière nouvelle sur la beauté de la sexualité, sur la sainteté du mariage, sur la grandeur de la famille »…Voilà ce qu'il faut entendre!

- Ensuite, nous qui, aujourd'hui, célébrons et prenons part à la Messe selon la forme extraordinaire, rappelons-nous que cette liturgie si chère à notre cœur peut à juste titre être appelée « Messe de saint Jean XXIII » puisque c'est ce Pape qui, si je puis dire, lui a apposé son ultime retouche en faisant ajouter le nom de saint Joseph dans le Canon. Sans doute, cette liturgie est le fruit d'une longue et belle et multiséculaire maturation : elle est la Messe de saint Léon et de saint Pie V, de saint Grégoire et de saint Pie X mais aussi de saint Jean XXIII (« le rite de 1962 »). De même, rappelons-nous avec reconnaissance que le saint Pape Jean-Paul II est directement à l'origine de la Fraternité Saint-Pierre. Sans doute y a-t-il eu d'autres acteurs qui, par leur esprit de fidélité et de courage, y ont contribué ; mais qui a lancé, le 2 juillet 1988, l'appel du Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta ? Qui a invité tous les catholiques désireux de vivre « l'expérience de la Tradition » à le faire dans le sein de l'Eglise ? Qui a accueilli et aidé les prêtres et diacres qui sont à l'origine de la Fraternité Saint-Pierre ? Saint Jean-Paul II. Ne l'oublions pas trop vite.

- enfin, et j'en terminerai là, je vous ai donné la position de l'Eglise : Jean XXIII et Jean-Paul II sont au Ciel. Le Pape François l'a déclaré infailliblement. Pour autant, il reste ensuite à chacun d'entre nous de tisser – ou non – avec eux des liens d'amitié et de ferveur. Certains diront : « Vive Saint Jean-Paul II ! Je m'en sens proche et il m'aide et j'ai déjà dans mon oratoire une image de lui ! » ; D'autres diront : « Pour ma part, saint Jean XXIII ne me parle pas et je ne me sens avec lui aucune accointance… » Et alors ? Où est le problème ? C'est la « glorieuse liberté des enfants de Dieu » dont nous parle saint Paul et il y a assez de saints canonisés dans l'Eglise pour que chacun s'y retrouve. Pour ma part, la petite Thérèse est ma sainte préférée ; d'aucuns diront, en revanche : « quand j'ouvre L'Histoire d'une âme le livre me tombe des mains, tant le style est doucereux et mièvre »…Et alors ? Vais-je pleurer, me battre, les convaincre à grands cris ? Non, à chacun ses amis…Ne tombons pas dans l'erreur des Corinthiens que dénonçait saint Paul – eux qui se déchiraient en proclamant « moi, je suis de Pierre ; et moi de Paul ; et moi d'Apollos ! ». Vivons tous ces événements dans une grande paix et un grand respect, nous souvenant de la parole du grand saint Benoît (encore un saint que j'aime beaucoup !) : «Ne rien préférer à l'Amour du Christ (car c'est lui qu'il faut suivre avant tout…), afin qu'il nous mène tous ensemble à la Vie éternelle»!