14 mai 2014

[Paix Liturgique] Trèves : de la « liturgie des classeurs » à la célébration de la forme extraordinaire chaque dimanche ou de nouvelles raisons de persévérer dans nos demandes auprès de nos pasteurs !

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 439 - 13 mai 2014

Récemment remis en lumière par le magazine Regina dans un dossier sur l’Allemagne catholique, le récit du retour de la messe traditionnelle à Trèves ne manque pas d’intérêt. C’est en fait en 2009 que le docteur Stefan Schilling a raconté sa découverte de la messe traditionnelle, et les longues et infatigables démarches accomplies pour en obtenir la célébration dans la ville qui partage, avec Argenteuil (Val-d'Oise, le privilège d’accueillir une relique de la Sainte Tunique du Christ.

Pour rendre ce témoignage plus vivant, nous vous le présentons sous forme d’entretien et le faisons suivre, comme à notre habitude, de nos réflexions.


I – LE TÉMOIGNAGE DU DOCTEUR SCHILLING (mai 2009)

Docteur Schilling, quand avez-vous connu la messe traditionnelle?
Dr. S. : J’ai grandi dans une famille catholique, dans les environs de Mayence. Comme je suis né en 1963, pendant le concile Vatican II, je crois n'avoir eu aucune expérience de la liturgie traditionnelle dans mon enfance. Mes souvenirs remontent à la nouvelle liturgie de Paul VI, que nous suivions en famille dans la paroisse locale.

Comme notre quartier avait été construit après-guerre, il n’y avait pas d’église et nous utilisions un local public pour les cérémonies. Il n’y avait que des chaises et, bien entendu, rien pour s’agenouiller. On nous disait qu’il n’y avait pas d’argent disponible pour construire des églises dans le diocèse de Mayence (certains considéraient même qu’une église était inutile et qu’il valait mieux consacrer l’argent qu’elle coûterait au Tiers-Monde).

Vers la fin des années 70, après les cours, je fréquentais les scouts catholiques et c’est là que j’ai été confronté pour la première fois à une activité post-conciliaire typiquement allemande que j’appelle "la liturgie des classeurs". La créativité liturgique était à l’ordre du jour et les classeurs servaient à recueillir toutes les idées susceptibles d’épicer la liturgie. Le principe était, j’imagine, d’encourager la participation des laïcs et de rendre la messe plus "pertinente". Je n’ai jamais entendu qui que ce soit, ni dans ma famille ni dans mon entourage, critiquer ces expériences. Il n’y avait tout simplement pas de notion de normes liturgiques, tout n’était que créativité et j'ai commencé à douter de la pertinence de ces manières de faire…
Comment s’est produit votre "déclic"?
Dr. S. : Peu à peu, j’ai commencé à m’interroger sur cette liturgie avec laquelle j’avais grandi. Il me semblait que les messes auxquelles je participais mettaient trop l’accent sur le prêtre et les laïcs impliqués dans la liturgie, et pas assez sur l’adoration. Comme si l’attention était détournée des principaux éléments de la Sainte Messe. On ne nous accordait qu’avec peine un moment de prière silencieuse pour exciter cette paix intérieure si importante au culte, alors que chaque instant du nouveau rite devait être rempli d’actions confinant même, parfois, à de l'activisme…

Pire encore, nul ne savait ce qui l’attendait à la messe. Si un catholique avait choisi de suivre cinq ou six messes le dimanche dans l'une ou l'autre paroisse de Mayence, il y aurait trouvé autant de liturgies différentes que de paroisses où elles étaient célébrées.
La créativité avait clairement apporté le chaos.

Du coup, avec d’autres étudiants, je devins de plus en plus désireux d’un "vrai" culte reléguant les actions des personnes au second plan et ramenant Dieu au centre de l’action liturgique, à sa place légitime.

De temps en temps, entre étudiants, nous nous rendions à Kiedrich-in-Rheingau, une paroisse rurale qui avait depuis plus de 400 ans sa propre schola cantorum. Le prêtre y célébrait la messe selon le Novus Ordo mais avec une précision et une révérence qui la rendait tout à fait différente de tout ce que j'avais connu jusqu'alors.

À la même époque, je pris la décision de ne plus recevoir la communion dans les mains. Ma foi en la Présence réelle était devenue trop forte pour que je m’associe encore aux nombreux abus que j’observais dans la pratique de la communion dans la main. Il n’était pas rare que certains empochent l’hostie après l'avoir reçue dans la main. Que faisaient-ils du Corps du Christ ? J’en frissonne à l’idée.

En 1986, sur le conseil d’un ami, j’ai finalement assisté pour la première fois à la messe traditionnelle, dans une paroisse près de Francfort. Avec joie, j’y ai vu le célébrant manipuler le Corps du Christ avec révérence, cohérence et conviction. L’utilisation soigneuse du corporal, la ferme étreinte de l’hostie durant la Consécration et la distribution de la communion sur les lèvres ôtaient tout besoin d’explication quant à la Présence réelle. Par les nombreux gestes et signes du prêtre, il était clair pour tous les fidèles que le Corps du Christ était véritablement et substantiellement présent dans l’hostie : c'était un peu comme si j'assistais à « une nouvelle messe ».

J’ai le souvenir de m’être fait la réflexion que toutes ces actions exprimaient parfaitement la forme et le contenu de notre foi. Ce n’est seulement que bien plus tard que je pris connaissance du concept de lex orandi, lex credendi ; du fait que la loi de la prière détermine la loi de la foi, et que nos actions extérieures modèlent notre attitude intérieure.

Si j’ajoute à cela l’orientation commune du prêtre et des fidèles, et le silence poussant à l’adoration, alors je peux dire que je me sentais enfin spirituellement à ma place.

Petit à petit, j’en suis venu à aimer de plus en plus cette liturgie, même s’il était à l’époque très difficile de trouver une messe traditionnelle en Allemagne ! Cette liturgie a changé ma vie intérieure. C’est quelque chose qu’il est difficile de décrire avec des mots. Peut-être est-ce tout simplement ce qu’on appelle la grâce.
Quand vous est venue l’idée de demander la célébration de la messe traditionnelle?
Dr. S. : Au fil des ans, je me suis souvent demandé pourquoi les catholiques n’étaient pas autorisés à assister aux deux liturgies. L’interdiction de facto du rite traditionnel m’irritait, et ce d’autant plus que quasiment toutes les fantaisies liturgiques étaient permises, voire encouragées. Liturgiquement parlant, tout semblait possible. La seule et unique exception à cette règle était la liturgie traditionnelle. 

J’en fis l’expérience après avoir obtenu mon diplôme de médecine et m’être établi à Trèves en 1993 avec ma famille. Pour la première fois, je pris contact avec l’évêque de l’époque pour lui demander d’établir une messe selon l’indult de 1984. Il me répondit qu’il n’en voyait pas le besoin.

Grâce à Dieu, de bons prêtres d’une paroisse de Trèves offraient une messe "ordinaire" célébrée avec révérence. Nous fréquentâmes donc cette paroisse, où mes trois filles furent baptisées. Pendant ces années, nous avons vécu avec les deux formes du rite romain, faisant de nombreux kilomètres pour bénéficier aussi de la forme que l'on appelle désormais « extraordinaire ».

En 2002, à l’arrivée du nouvel évêque de Trèves, Mgr Marx, je renouvelai ma demande de célébration diocésaine de la Sainte Messe selon le rite traditionnel. Au fil des échanges avec l’évêque, je parvins à rassembler plus de 300 signatures de familles appuyant ma demande. Après deux ans de minutieuse correspondance, nous obtînmes fin 2004 la permission pour une messe les dimanches et jours de fêtes à Trèves. Cette messe était toutefois soumise à de nombreuses restrictions d’horaire et de lieu.

Malgré tout, onze ans après ma première demande, notre requête était enfin satisfaite. 
Et depuis?
Dr. S. : En dépit des restrictions établies, je suis heureux de dire que l’affluence à la messe a été telle que le diocèse a depuis accepté de détacher un prêtre pour la cure pastorale spécifique des fidèles du diocèse liés à la forme extraordinaire du rite romain.

Bien entendu, en 2007, nous nous sommes réjouis du très longtemps attendu Motu Proprio de Benoît XVI. Au niveau diocésain, nous espérons et prévoyons un futur de "normalité" pour l’usus antiquior de l’unique rite romain. Nous prions aussi afin que cette messe serve à nouveau d’étalon pour toutes les autres messes. De telles références sont essentielles dans un monde civilisé.

En 1850, Sir George Biddell, astronome de la reine Victoria, fixa le premier méridien à l’Observatoire de Greenwich. Depuis, ce méridien a utilement servi de base pour la mesure des longitudes et des latitudes sur toute la planète. Même à l’heure du GPS, nul ne pourrait imaginer un monde sans ces références géographiques précises.

Il en va de même pour la messe traditionnelle. C’est l’étalon à partir duquel l’Église peut mesurer sa liturgie. Grâce au courage et à la vision du Saint-Père Benoît XVI, le bien-aimé et séculaire rite romain traditionnel est enfin de nouveau parmi nous. Reconnue à nouveau après plus de 35 ans d’interdiction de facto, la Sainte Messe a retrouvé sa pleine citoyenneté dans l’Église. Deo Gratias !


II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE 

1) Depuis 2007, c’est un prêtre de l’Institut Saint-Philippe-Néri, petite société de vie apostolique de droit pontifical située à Berlin, qui est chargé de la messe à Trèves. La messe est célébrée à 9 heures les dimanches et jours fériés dans une chapelle du centre-ville. En 2012, à l’occasion de l’ostension de la Sainte Tunique et à l’invitation de la Fraternité Saint-Pierre et de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, le cardinal Brandmuller a célébré une messe solennelle pontificale traditionnelle en l’abbaye Saint-Maximin, devant près de 1500 pèlerins.

2) Onze ans pour obtenir la messe ! Bien entendu, c’était avant Summorum Pontificum. Toutefois, cela démontre bien que la persévérance porte des fruits. Bien entendu – et c’est ce qu’il y a de plus intéressant dans le récit du docteur Schilling –, une telle persévérance doit être nourrie par une foi profonde et un désir ardent de bénéficier des richesses de la liturgie traditionnelle. Ce témoignage est exemplaire. Il montre aux nombreux demandeurs qui n'ont toujours pas obtenu de réponse positive, que ce n'est qu'une question de temps. Les arguments pour refuser l'application du Motu Proprio sont nombreux, et souvent de parfaite mauvaise foi, mais le temps finira toujours par donner satisfaction aux fidèles qui défendent avant tout le bien de l’Église, de leurs familles et de leurs enfants.

3) La Présence réelle du Christ et la centralité du culte divin : voici les deux raisons qui ont poussé un catholique né pendant le Concile, n'ayant jamais connu l'usus antiquior et ayant grandi en plein chaos liturgique, à se rapprocher de la liturgie traditionnelle. Des raisons simples, des raisons essentielles, des raisons de foi. C’est ce qu’expliquait le professeur don Roberto Spataro dans notre lettre 432 en nous confiant que Summorum Pontificum lui avait permis de découvrir « la richesse doctrinale » de l’ancienne messe. Leur cheminement se rapproche fortement de celui effectué par un ami du pape Benoît XVI, le professeur Robert Spaemann : « J'ai fait moi-même l'expérience suivante : la messe nouvelle, au début, ne m'a pas tellement choqué ; puis, d'une année sur l'autre, elle m'a déplu de plus en plus. Tandis que pour la messe traditionnelle, c'est exactement l'inverse ». 

4) Lorsque nos sondages ou les enquêtes de sociologie, comme celle de Fribourg sur laquelle nous nous sommes penchés dans notre lettre 437, indiquent que jusqu’à deux pratiquants sur trois assisteraient à la messe traditionnelle si celle-ci leur était proposée chaque dimanche, dans leur paroisse et à un horaire familial, les sceptiques ne manquent pas d’objections. Pourtant, combien de docteur Schilling en puissance y a-t-il le dimanche dans les paroisses ordinaires ? Combien de jeunes mal à l’aise avec les perpétuelles improvisations de leur curé ? Combien d’adultes prenant leur mal en patience en attendant que leur curé vieillissant laisse sa place à un jeune prêtre tout à la fois empli de révérence pour le Saint-Sacrement et charitable, ouvert et bienveillant pour ses paroissiens ?

5) Alors que les déclarations du docteur Schilling datent de 2009 (cinq ans déjà), on voit bien qu’elles sont toujours valables et universelles, à l’instar du missel de saint Pie V et de saint Jean XXIII. Ceci pour une raison toute simple, que le docteur Schilling exprime avec une image forte et claire : la messe traditionnelle latine est l’étalon de la liturgie catholique latine. On peut même écrire, sans risque de se tromper, que c’est bien là ce qui a motivé le pape Benoît XVI à publier son Motu Proprio : rétablir le libre accès de toute l’Église à la juste mesure de la liturgie romaine, à la messe qu’on peut qualifier pour l’essentiel de « messe de saint Grégoire le Grand ».