21 octobre 2013

[Marco Bongi] Funérailles de l'ex-commandant Erich Priebke - Entretien avec Don Pierpaolo Petrucci

SOURCE - Marco Bongi - Don Pierpaolo Petrucci, fsspx - via LaPorteLatine.org - 21 octobre 2013

Révérend Don Pierpaolo, suite au « scoop » médiatique qu'ont provoqué il y a quelques jours les funérailles de l'ex-commandant Erich Priebke, l'un des responsables du terrible massacre des Fosses Ardéatines, nous aimerions vous demander d'apporter des précisions concluantes, et ce afin d'écarter une fois pour toutes les polémiques et les instrumentalisations qui entourent cet épisode. Car les informations qui ont circulé ces derniers jours brûlants, ont été souvent superficielles et approximatives. Essayons donc d'y voir clair.
Q. 1 - Quand et qui a demandé de célébrer les funérailles du défunt?
R./ Lundi matin, l'avocat chargé par la famille de s'occuper des funérailles nous a téléphoné pour nous demander si nous étions disposés à célébrer les funérailles fixées pour le mardi 15 octobre, avec toutes les autorisations nécessaires demandées auprès des autorités civiles. La cérémonie devait être célébrée en privé et n'être qu'un acte purement religieux, sans aucune emphase ni instrumentalisaton médiatique ou idéologique. Il fallait donc faire preuve d'une très grande discrétion, que nous avons scrupuleusement observée.
Q. 2 - Face à l'interdiction imposée par le Vicariat de Rome, pour quel motif avez-vous accepté cette célébration ?
R./ Le refus du Vicariat d'accorder des funérailles à un baptisé qui a reçu les sacrements de la Confession et de l'Eucharistie, quelles qu'aient été ses fautes et ses péchés, n'est pas conforme à la loi de l'Église, ni à la Doctrine Catholique. Ayant appris que Priebke avait été baptisé et qu'il recevait les sacrements, cet acte nous a semblé être une grave injustice à l'égard du défunt et de la famille. Nous avons voulu faire un geste qui était aussi de réparation en réponse à une telle légèreté.
Q. 3 - Presque tous les medias ont rapporté qu'Erich Priebke ne s'était jamais repenti de ses actions perpétrées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Or, dans le communiqué de la Fraternité Saint Pie X on parle au contraire d'un catholique mort après s'être réconcilié avec Dieu. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est réellement ? 
R./ Il semble que certains media aient cette volonté de cultiver la haine et s'arrogent le droit de juger qui peut être pardonné et qui non, dictant ainsi des lois à l'Église pour imposer leurs critères sur qui a le droit à des funérailles religieuses et exposant à un véritable lynchage médiatique ceux qui ne veulent pas s'y plier.

Erich Priebke, baptisé protestant, s'est converti après la guerre, ainsi que son épouse, au catholicisme et a fait baptiser ses enfants.(1) Au cours de sa vie, il a été suivi par plusieurs prêtres. Pendant sa peine d'arrêts domiciliaires, il a demandé, et il a obtenu en 2002, la possibilité d'aller assister à la Messe. Jusqu'à la fin de sa vie, il a reçu régulièrement les sacrements de la Confession et de l'Eucharistie.

À son retour en Italie, à l'occasion de l'audience publique devant le Tribunal Militaire de Rome le 3 avril 1996 il a lu une lettre devant les familles des victimes dans laquelle il manifestait sa profonde douleur, et déplorant l'acte horrible d'obéissance qu'il avait dû accomplir dans ces circonstances particulières :(2)

« Je ressens dans le profond de mon cœur le besoin d'exprimer mes condoléances pour la douleur causée aux parents des victimes des Fosses Ardéatines... En tant que croyant, je n'ai jamais oublié ce fait tragique, et pour moi l'ordre de prendre part à cette acte a été une grande tragédie intime… je pense aux morts avec vénération et je me sens uni à ceux qui sont en vie pour partager leur douleur »

Dans sa dernière interview qu'il a donnée en juillet dernier, hormis des considérations historiques qui sont certainement discutables, on peut également lire des considérations morales extrêmement importantes. Elles concernent un prêtre. Lorsque le journaliste demande à Priebke s'il justifie l'antisémitisme, ce dernier répond :

« Non (...) je répète que l'antisémitisme est une haine aveugle (…) en tant que personne âgée privée de liberté, j'ai toujours refusé la haine. De même, je n'ai pas voulu haïr ceux qui m'ont haï. Je parle seulement de droit de critiquer et j'en explique les motifs ».

Il rejette le culte de la race comme étant “une cause d'erreurs irréversibles». Concernant l'extermination de masse, il affirme : « Ma position est de condamner sans appel des faits de ce type. Tous les actes de violence aveugle contre les communautés, sans prendre en compte les responsabilités individuelles effectives, sont pour moi inacceptables, et sont absolument à condamner ».

Je ne vois pas à quel titre on pourrait mettre en doute la sincérité de ces propos.
Q. 4 - Au vu de ce qui vient d'être dit, considérez-vous que le commandant Priebke est un « pécheur public » à qui l'on devrait refuser des funérailles publiques ?
R./ D'après le Code de Droit Canon actuel, on ne peut refuser des funérailles ecclésiastiques qu'aux personnes qui, « avant leur mort n'ont donné aucun signe de repentir».(3) Par conséquent, je ne vois pas comment Erich Priebke pouvait être considéré comme indigne des obsèques.

On n'a jamais autant que maintenant parlé dans l'Église de la charité , de l'amour du prochain, surtout sous le pontificat actuel. En revanche, quand il s'agit de mettre en pratique ces vertus pour être cohérent avec l'Évangile, y compris quand ce n'est pas politiquement correct et quand il faut défier les opinions communes et les media, là, les choses se passent bien diféremment.

Or l'Église ne peut se plier au monde si Elle ne veut pas encourir le reproche d'hypocrisie que Jésus a adressés aux Pharisiens dans l'Évangile.

La miséricorde de Dieu va bien au-delà des appartenances politiques, -y compris de celles qui sont les plus condamnables, considérées comme des péchés encore pus graves-, pourvu qu'il y ait le repentir, qui est l'unique condition fondamentale. L'Église se base sur les actes extérieurs. Un catholique qui manifeste du repentir de ses péchés a droit à une cérémonie funèbre. Aucun d'entre nous ne peut juger la conscience intime de l'Homme. Dieu seul peut la juger, c'est à Lui que revient le jugement final. La religion catholique est la religion de la Miséricorde et du Pardon, et non pas de la haine et de la vengeance.
Q. 5 - Nous avons constaté du reste que certaines personnalités ecclésiastiques importantes ont reconnu le droit de Priebke à des funérailles ecclésiastiques.
R./ Effectivement, nous avons entendu quelques voix dans le désert, ce qui leur fait honneur. J'ai lu avec grand plaisir les déclarations du Cardinal Cottier, ainsi que l'interview du cardinal Montezemolo, neveu du colonel tué aux Fosses Ardéatines. Et le témoignage de certains parents des victimes qui font preuve de solidarité, après le pardon accordé depuis longtemps, et qui s'unissent dans la prière pour le défunt. Seul ce genre d'attitude est une attitude chrétienne.
Q. 6 - Priebke était un fidèle de la FSSPX ou du moins en fréquentait-il les chapelles de temps à autre ?
R./ Non, je ne l'avais jamais rencontré et il n'a jamais fréquenté la Fraternité Saint Pie X. J'avais lu qu'il avait été baptisé et qu'il avait reçu l'autorisation de quitter les arrêts domiciliaires pour aller à la Messe. Je savais qu'il était suivi régulièrement par un prêtre.
Q. 7 - Nombreux ont été les journaux qui ont également rapporté que les obsèques n'ont pas vraiment eu lieu, ou du moins qu'elles ont été stoppées. En fait, comment les choses se sont-elles déroulées dans ces moments troublés ?
R./ La dépouille est arrivée vers 17 heures 30, mais les membres de la famille et les amis invités à la cérémonie ne sont pas parvenus à entrer à cause des manifestants. Après plusieurs tentatives, l'avocat a décidé de suspendre les funérailles parce qu'il estimait que dans ces conditions il n'était pas en mesure d'assumer la charge que la famille lui avait confiée. Vers 19 heures 20, en présence d'une vingtaine de personnes, j'ai alors célébré la messe pour le défunt en l'absence du corps.

Entre temps, le cercueil avait été déplacé dans une pièce au rez-de-chaussée où une chapelle ardente avait été installée. Pour accomplir mon devoir sacerdotal, j'ai proposé à l'avocat de bénir la dépouille au moment de la cérémonie des obsèques que l'Église accorde à la fin de la Messe. C'est donc en sa présence, et de celle de quelques rares autres personnes que cette cérémonie s'est déroulée. J'ai fait état de ces choses lors d'une interview récente que j'ai donnée à Andrea Tornielli, journaliste du quotidien La Stampa.
Q. 8 – Parmi les réactions les plus négatives face à votre décision, on compte essentiellement celles du monde catholique. Nous avons été surpris, notamment, par le ton peu charitable du directeur de Radio Maria, une radio qui, plus que toute autre devrait enseigner ce qu'est la Miséricorde. L'Évêque d'Albano Laziale a quant à lui fait des déclarations très dures contre la Fraternité Saint Pie X, au point qu'il a affirmé que cette dernière ne fait pas partie de l'Église Catholique. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
R./ L’appartenance à l'Église n'est pas une chose purement juridique. Saint Thomas d'Aquin explique que la première condition pour faire partie du Corps Mystique du Christ, c'est la Foi. Malheureusement, après le Concile Vatican II, les autorités ecclésiastiques ont enseigné de nouvelles doctrines qui se trouvent en contradiction avec l'enseignement de toujours de l'Église. Notre Fraternité, qui a été régulièrement reconnue par l'Église le 1er novembre 1970, a été ensuite injustement combattue à cause de son opposition à ces changements. Changements qui entraînent des comportements qui sont contraires à la Doctrine Catholique, comme par exemple refuser les funérailles à un baptisé qui meurt réconcilié avec Dieu, tout cela pour se conformer au style “politiquement correct”.

Tout en se montrant respectueuse de l'autorité, la Fraternité Saint Pie X s'est toujours opposée à ces erreurs, car elle est convaincue que le plus grand service à rendre à l'Église ne consiste pas à adopter une attitude servile, mais à proclamer intégralement l'enseignement catholique et à dénoncer tout ce qui s'y oppose, même s'il est proclamé par une partie de la hiérarchie.

Affirmer que nous ne sommes pas Catholiques, surtout de la part de prêtres qui devraient connaître la doctrine de l'Église, c'est un pur mensonge qui exigerait peut-être une réparation publique.

D’un autre côté, je me rends compte que beaucoup de Catholiques et aussi beaucoup d'évêques nous jugent sans nous connaître, en se basant bien souvent sur des préjugés et des lieux communs. L'Évêque d'Albano, que tous les prêtres de notre Prieuré citent chaque jour dans le Canon de la Messe en tant qu'il est l'évêque du lieu, est toujours le bienvenu parmi nous et pourra vérifier si vraiment nous ne faisons pas partie de l'Église comme il l'a affirmé peut-être imprudemment.
Q. 9 - D'autres commentateurs, évidemment peu informés, ont fait un rapprochement entre votre décision et les positions de Mgr Williamson ou celles de Don Floriano Abrahamowicz. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
R./ En tant que supérieur du District d'Italie de la Fratenrité Saint Pie X, je tiens à préciser que tant Mgr Williamson que Don Floriano Abrahamowicz ont été expulsés de notre Fraternité, justement à cause de certaines de leurs positions qui sont incompatibles avec la vocation de la Fraternité. Leurs affirmations ne représentent absolument pas la pensée officielle de la Fraternité Saint Pie X. Tout rapprochement est par conséquent parfaitement grauit. Du reste, je tiens à préciser que certains propos erronés parus sur les journaux et présentés indument comme étant mes déclarations ne représentent pas du tout notre pensée. La Miséricorde de Dieu n'exclut personne quand il y a un repentir véritable.
Q. 10 - Comment avez-vous, dans votre communauté, vécu cet après-midi-là ?
R./ En ce jour de funérailles nous avons malheureusement assisté à des manifestations de haine gratuite, comme la prise d'assaut du convoi funèbre, avec des crachats et des coups de pieds, le tout sous les yeux d'un maire portant sa ceinture tricolore ! J'étais sidéré de voir une banderole que des manifestants portaient qui disait : « Le Père Éternel t'a peut-être pardonné, mais nous, non ». Ces funérailles ont été l'occasion d'un affrontement entre deux doctrines opposées : entre, d'un côté, l'enseignement de Jésus-Christ et de l'Église, qui est centré sur la Miséricorde et le Pardon, et de l'autre, des idéologies qui ne savent pas et qui ne veulent pas pardonner. La loi immuable de l'Amour et de la Charité contre la loi de la haine, de la vengeance, qui prône « œil pour œil, dent pour dent ». Ce que nous, nous proposons -indignement- de suivre, c'est la Loi du Christ, et nous sommes bien loin des toutes ces polémiques idéologiques.
Q11 - Et pour finir, il y a eu aussi des journaux qui ont tenté d'accréditer l'image d'une communauté Saint Pie X d'Albano peu intégrée à la population locale, laquelle n'apprécierait pas la présence du Prieuré sur son territoire. En est-il vraiement ainsi ?
R./ Notre Fraternité est présente ici à Albano depuis 1974. Elle a formé plusieurs générations d'enfants pour la Première Communion, et pour la Confirmation. Elle a également toute une activité d'œuvres de Charité à l'égard des malades et des pauvres auxquels elle distribue des vivres et des vêtements. Nous avons donc beaucoup d'amis dans cette population, qui d'ailleurs nous ont exprimé leur solidarité dans cet épisode. Je refuse de croire que cette foule furieuse qui s'est livrée mardi dernier à une telle manifestation de haine sectaire face au cercueil d'un mort puisse représenter les habitants d'Albano.

Je voudrais, pour conclure, citer une phrase de Saint Paul qui écrit dans son Êpitre aux Galates : «Si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ».

Je pense que c'est là ce que doit être le programme et l'idéal d'un homme d'Église : agir toujours en conformité avec l'enseignement du Christ, sans jamais chercher de compromis avec l'esprit du monde.
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Entretien réalisé par Marco Bongi, le 21 octobre 2013
Sources : District d'Italie/LPL - Traduction O. C-R pour La Porte Latine
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Notes

(1) Can. 1185
(2)Erich Priebke Autobiografia, Associazione uomo e libertà, Roma 2003, p. 150, 160, 161, 170
(3) Interview exclusive de Priebke à Francesco Giorgino, après sa condamnation à la prison à vie. Vae victis à la minute 1'50.