24 septembre 2013

[Paix Liturgique] Aujourd'hui comme hier, l'obéissance et la célébration de la liturgie traditionnelle

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°406 - 24 septembre 2013

La question de l'obéissance est une question sensible qu'ont eu à affronter tous ceux qui, depuis la réforme liturgique, ont choisi de demeurer fidèles à la messe de saint Pie V nonobstant les apparentes interdictions. Nous pensions cette question réglée par le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI, geste de paix, de justice et de réconciliation pour l'Église universelle. Malheureusement, la publication d'un étrange décret romain semble reposer la question.

Fin juillet, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée a en effet durement frappé les Franciscains de l'Immaculée – communauté née du concile Vatican II à laquelle nous avons consacré plusieurs lettres pour la grande place que ses membres ont faite à la liturgie traditionnelle depuis Summorum Pontificum(voir lettres 171 et 223 notamment) – en destituant leur supérieur et en suspendant le droit de ses membres à la forme extraordinaire du rite romain. Désormais, celui-ci est conditionné à l'accord d'un commissaire apostolique et ce, au mépris du droit universel établi par le texte de Benoît XVI et confirmé par l'instruction Universæ Ecclesiæ.

Le supérieur général des Franciscains de l'Immaculée, le père Manelli, destitué sans qu'aucune motivation ne soit explicitée par le décret romain, a immédiatement choisi d'obéir aux dispositions du dicastère. Le correspondant de Présent auprès de la Salle de Presse du Saint-Siège ayant rapproché cette soumission de celle d'un des saints patrons des Franciscains de l'Immaculée, Padre Pio, confronté lui aussi toute sa vie durant aux interdits et aux injustices, le père Olivier Horovitz, curé in solidum du Pradet, dans le diocèse de Fréjus-Toulon, a adressé à Présent une tribune que nous vous proposons cette semaine, accompagnée de nos réflexions. 

I – LA TRIBUNE DU PÈRE OLIVIER HOROVITZ
dans Présent, article extrait du n° 7938, du samedi 14 septembre 2013
Sans rien retirer au fond de la relation de votre correspondant, je voudrais toutefois relever un jugement qui me semble d’autant plus erroné et dangereux qu’il est, hélas ! fréquent chez les catholiques. En conclusion de son article, votre correspondant écrit en effet : « Heureusement, tout en faisant preuve de cette admirable obéissance héritée de leurs saints patrons – comment ne pas penser aux injustices endurées par Padre Pio, toute sa vie durant, du fait de ses propres frères capucins ? –, les Franciscains de l’Immaculée semblent décidés à ne pas renoncer à leurs droits. »
Je ne partage pas l’avis que la voie de l’obéissance choisie par les Franciscains de l’Immaculée, et en particulier par leur supérieur destitué, le père Manelli, soit « admirable ». Au contraire, et cela pour trois motifs principaux.
Tout d’abord, parce que l’Église est une société parfaite. Ensuite, parce que si les Franciscains ne renoncent pas à leurs droits individuels en demandant à pouvoir reprendre la célébration de la messe traditionnelle, le père Manelli, leur supérieur, a renoncé à son droit, voire à son devoir, de recourir contre la décision de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et a, de la sorte, entériné la déchéance de fait du Motu proprio Summorum Pontificum : un événement qui a potentiellement des répercussions sur toute l’Église. Enfin, parce que la décision romaine semble injuste et disproportionnée, si ce n’est tout bonnement infondée.

L’Église, société parfaite

Le 24 janvier 1960, Jean XXIII affirmait : « La Sainte Église du Christ est une société parfaite, dans laquelle chacun de ceux qui la composent participe à tous les avantages, à toutes les richesses de son patrimoine sacré de doctrine et de grâce. » Même si l’expression est peu usitée depuis le Concile, le cardinal Bertone l’employait encore dans les colonnes de L’Osservatore Romano, le 24 novembre 2010.

Elle signifie notamment que, dans l’Église, c’est le droit qui régit le rapport à l’autorité. Tout religieux ou tout chrétien a le droit de porter recours contre une décision émanant d’un dicastère ou d’un évêque, d’exprimer son désaccord et d’interroger l’autorité légitime.

Ce droit, pour tout fidèle, d’épuiser les procédures devient même un devoir pour une autorité supérieure comme l’est celle du père Manelli – le Padre Pio, lui, n’engageait que sa personne ! Tout supérieur de communauté se doit, en effet, de protéger ses membres, ce qui commence par se faire le défenseur des constitutions de sa communauté. En ce sens, en acceptant unilatéralement le décret du Saint-Siège, le père Manelli me semble avoir commis un acte contraire à son devoir de protéger, non seulement sa communauté en général, mais aussi chacun de ses membres en particulier. En dépit de toute l’estime que j’ai pour lui, force m’est de constater que sa réaction a tout d’un acte d’obéissance aveugle et ne saurait, à ce titre, être jugée « admirable ». Ce qui eût été admirable, c’eût été de s’élever contre le décret romain en recourant aux constitutions des Franciscains de l'Immaculée et au droit de l’Église.

Il n’y a d’autorité que légitime

Bien sûr, j’entends déjà certains protester que ne pas obéir c’est désobéir, voire que s’élever contre un décret de dicastère, c’est alimenter l’idée que Rome n’est plus dans Rome et affaiblir ainsi l’Église. Sauf que l’argument d’obéissance ne saurait être brandi en permanence sans soulever, en contrepartie, la question de la légitimité de l’autorité et de son devoir de gouverner.

Or, au vu des éléments à notre disposition, je suis tenté d’élever de sérieux doutes quant au bien-fondé du décret qui frappe le père Manelli et sa communauté : quelle est, en effet, la faute grave qui est reprochée au père Manelli et que le décret romain se garde bien de préciser ? Une faute si grave qu’elle justifie la destitution immédiate du père Manelli, alors que le prochain Chapitre général des Franciscains de l’Immaculée est prévu pour 2014 ?

En l’absence d’éclaircissement romain sur ce sujet, il n’est pas illégitime de penser que c’est bel et bien l’adoption de la liturgie selon la forme extraordinaire par les Franciscains de l’Immaculée qui a été injustement condamnée. Le fait est particulièrement grave, car il rend conditionnel le droit universel au missel de saint Pie V dont Benoît XVI avait rappelé qu’il n’avait jamais été abrogé.

Enfin, pour qu’une sanction soit légitime, il faut qu’elle soit proportionnée. Or, savez-vous que la destitution du supérieur général d’une communauté canoniquement établie est un fait rarissime : combien, depuis le concile Vatican II ?

Qui se souvient, par exemple, que le scandaleux fondateur des Légionnaires du Christ, le père Maciel, n’a jamais été frappé d’aucune sanction canonique ? Pourtant, dans un communiqué publié le 19 mai 2006, le Saint-Siège indiquait que la Congrégation pour la doctrine de la Foi avait « décidé de renoncer à engager un procès canonique en raison du grand âge du père Maciel et de sa santé délicate » et se contentait de l’inviter « à conduire une existence retirée dans la prière et la pénitence, exempte de tout ministère public »…

Obéir à sa conscience pour obéir en conscience

Comme l’illustre cette triste affaire des Franciscains de l’Immaculée, l’obéissance à laquelle nous appelle le Christ n’est pas l’obéissance aveugle, elle ne porte pas sur le jugement cette fausse obéissance qui, loin d’être une vertu, se révèle souvent peccamineuse.
L’obéissance au Christ, et donc à son Église, est une obéissance de discernement, qui réclame toutes nos facultés et nous invite à sonder notre conscience éclairée, pour ne pas perdre de vue le salut de notre âme qui, comme le rappelle l’Église au dernier article du Code de droit canonique, « doit toujours être la loi suprême ».

Père Olivier Horovitz
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1 – La décision qui a frappé les Franciscains de l’Immaculée a soulevé une émotion considérable, spécialement en Italie, d’autant que le premier cri d’alarme a été lancé par un vaticaniste qui fait autorité,Sandro Magister, lequel n’a rien d’un traditionaliste (il est publié dans le journal de gauche L’Espresso). Dans un récent article, du 17 septembre, le même Sandro Magister publie des extraits du dossier adressé par quatre universitaires à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée. Ceux-ci insistent notamment sur le fait que l’affaire dépasse le cas particulier des Franciscains : « Le décret de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique daté du 11 juillet 2013 […] est un acte d’une gravité telle que l’on ne peut pas le considérer comme n’ayant qu’une importance interne, uniquement pour les destinataires. […] Il prive d’un bien d’une valeur incommensurable – la messe (célébrée selon le rite romain ancien) – non seulement ces religieux mais également les fidèles qui, à travers leur ministère, ont pu participer à la messe tridentine, ainsi que tous ceux qui auraient éventuellement pu, à l’avenir, y participer. […] C’est pourquoi ce décret revêt de manière évidente une importance objective pour toutes les personnes qui – pour les raisons les plus diverses – apprécient et aiment la messe latino-grégorienne. Ces fidèles représentent, à l’heure actuelle, une proportion importante, et certainement pas négligeable, des catholiques, présents dans le monde entier. Ils pourraient même, potentiellement, coïncider avec la totalité des membres de l’Église. Ceux-ci sont également frappés objectivement par le décret ». 

2 – Pour notre part, nous irons dans le sens de la tribune du P. Horovitz en précisant que l’obéissance est une vertu naturelle et surnaturelle absolument fondamentale, qui configure au Christ obéissant à son Père. Il faut toujours obéir et toujours enseigner à obéir, ce qui demande parfois de l’héroïsme. Mais, bien entendu, à condition qu’il y ait lieu à obéissance. Si une autorité, notamment ecclésiastique, donne un ordre, on doit a priori être tout disposé à le suivre volontiers, sauf s’il apparaît clairement que cette autorité ordonne quelque chose qui ne va pas dans le sens du bien, spécialement qui ne va pas dans le sens du bien commun de l’Église, ou encore si l’autorité outrepasse ses pouvoirs. C’est cette intelligence, qui n’est nullement de la désobéissance, que prône le P. Horovitz. Car, dans ces cas-là, il n’y a pas lieu à obéissance. On pourrait même dire, à la limite, que si on obéissait dans ce cas-là, en réalité, on désobéirait non seulement à Dieu, mais même à ce que cette autorité qui a, pour le dire familièrement, « perdu les pédales », devrait ordonner. Selon l’exemple classique, une jeune fille majeure qui refuse d’« obéir » à son père qui veut lui interdire de se marier avec un garçon d’excellente moralité, ne désobéit nullement, car l’ordre de son père dépasse ses compétences et ne procure pas le bien. De même, les prêtres et les fidèles qui ont refusé d’« obéir » à leurs évêques, après le bouleversement liturgique de la fin des années soixante, étaient en réalité fondamentalement obéissants (ce que Summorum Pontificum, attestant leur droit, a confirmé). 

3 – En outre, le P. Horovitz fait justement remarquer que l’Église est régie par un Droit (qu’il rattache ultimement au fait que l’Église, comme la Cité, est une « société parfaite », c'est-à-dire qu’elle dispose de tous les moyens pour parvenir à procurer à ses membres le bien commun). Ce droit, le Droit canonique, est particulièrement protecteur des sujets de l’Église : il est véritablement maternel, comme émanant d’une Mère sainte. Un curé, par exemple, peut toujours faire recours contre la décision prise par son évêque de le sanctionner ou de le destituer, s’il l’estime injuste, et les instances administratives ou judiciaires doivent examiner avec soin et impartialité son recours. Certes, le cas des Franciscains de l’Immaculée présente une difficulté à cet égard : les décisions de la Congrégation qui ont donné lieu au décret qui les frappe (et non, il est vrai, le décret lui-même, ce qui est un peu étrange) ont été approuvées par le pape « en forme spécifique », c'est-à-dire nonobstant toute disposition contraire. Par conséquent, théoriquement, sont écartées pour les Franciscains de l’Immaculée les dispositions du Motu ProprioSummorum Pontificum et de l’instruction Universæ Ecclesiæ (voire même les dispositions de la bulle Quo Primum, de saint Pie V, à condition de ne pas en extrapoler le sens). In fine, l’argument de fond reste celui qu’invoquaient hier les « résistants » contre l’interdiction pratique de célébrer la messe traditionnelle et qu’avait assumé Joseph Ratzinger lorsqu’il était cardinal : cette réforme liturgique, qui a eu tous les aspects d’une révolution liturgique, n’oblige pas.

4 – Nous ajouterons, pour notre part, qu’il y a dans cette affaire un aspect très caractéristique de refus d’entendre les légitimes requêtes, un « refus de dialogue ». Les Franciscains de l’Immaculée sont bien plus durement frappés que des personnages scandaleux, fait remarquer le P. Horovitz. Tout laisse penser qu’une infime minorité d’entre eux (5 Franciscains sur 300) ont déclenché les sanctions en se plaignant auprès de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée que l’introduction du bi-formalisme dans leur congrégation « troublait la paix », selon un thème bien connu. Or c’est la paix et le bien de tous les autres, et comme le font justement remarquer les universitaires que nous citions, la paix et le bien de l’Église qui sont perturbés. On va voir dans les temps qui viennent si cette requête du peuple de Dieu est entendue – d’une partie non négligeable du peuple de Dieu (que l’on se rapporte à nos nombreux sondages), et potentiellement de la totalité de ce peuple, comme le font remarquer en bonne doctrine juridique ces universitaires, puisque ce qui est remis en question ici pour quelques-uns, les Franciscains de l’Immaculée, est un droit des fidèles pour tous sans exception, et dont tous sans exception peuvent éventuellement bénéficier. 

5 – Cette affaire nous paraît donc à suivre de très près, pour deux raisons :

- Elle pose à nouveau la question de l’obligation sans réserve de la réforme liturgique, qui se posait depuis 45 ans, et qui a été résolue négativement par le Motu Proprio, consacrant la célébration de la messe dans la forme dite extraordinaire comme un droit des fidèles et des prêtres.

- Et, par ailleurs, elle met en cause la conséquence de cette reconnaissance d’un droit des fidèles et des prêtres par Summorum Pontificum, à savoir que cette messe n’a pas à être réservée à des ghettos traditionalistes mais doit être à la disposition de tous, dans les paroisses et les congrégations.