28 juillet 2013

[Abbé Iborra - Paroisse Saint-Eugène (Paris)] « Oui, il nous faut consentir à la rudesse de la croix pour pouvoir goûter à la douceur de Dieu»

SOURCE - Abbé Iborra - Paroisse Saint-Eugène (Paris) - 28 juillet 2013

Sermon prononcé par l’abbé Iborra en l’église Saint-Eugène le dimanche 28 juillet 2013, 17e dimanche du temps ordinaire (forme ordinaire de l’unique rit romain).
« Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte. Celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve ; et pour celui qui frappe, la porte s’ouvre. » Qui de nous ne s’est pas trouvé un jour désemparé devant ces paroles de Jésus ? Qui de nous n’a pas été un jour profondément déçu par ce Dieu censé aller au-devant de nos prières et qui pourtant ne les exauce pas. Je ne parle pas de ces prières qui sont autant de caprices d’enfant et dont on sourit ensuite d’avoir osé les formuler. Ni non plus de ces prières angoissées à un Dieu dont on ne se soucie habituellement guère sauf quand par imprévoyance ou pour tout autre raison on se trouve dans une situation humainement sans issue : Dieu fait alors figure d’ultime recours. Non, sans oublier la part de justesse qui habite ces prières, je pense à toutes celles qui épousent ce que nous savons de la volonté de Dieu telle qu’elle est révélée dans la Bible. Nous savons que Dieu aime la vie, qu’il est plein d’amour et tout-puissant. Alors pourquoi la mort, et des morts qui nous semblent particulièrement injustes ? Un garçon de 18 ans dont la mère, catéchiste, encore jeune, allait mourir le lendemain me disait en sanglotant : « Comment voulez-vous que je croie encore. Elle faisait le catéchisme, elle était engagée dans la paroisse. Où donc est Dieu ? Que fait-il ? » On peut bien trouver des réponses théologiques. Mais on ne peut pas ne pas entendre la vérité de cette réaction. Que dire aussi de toutes ces prières où nous supplions Dieu de nous rendre semblables à son Fils, de ces prières où nous demandons la délivrance de nos défauts, pour mieux correspondre à ce qu’il attend légitimement de nous. Là encore, nous risquons de nous entendre dire, comme à S. Paul qui se plaignait de « l’écharde plantée dans sa chair », « Ma grâce te suffit. Ma puissance se déploie dans la faiblesse ». Oui, combien de prières bonnes, justes, désintéressées même – comme lorsque nous prions pour la conversion de ceux que nous aimons – qui ne sont pas exaucées.

Alors à quoi bon la prière de demande ? Ne vaudrait-il pas mieux borner notre prière à la louange et à l’action de grâces ? Et puis quel sens cela a-t-il de demander quelque chose à Dieu ? La volonté humaine aurait-elle le pouvoir de faire pression sur la volonté divine, comme le laisserait croire l’intercession d’Abraham rapportée dans la première lecture ou l’histoire de ce voisin importun raconté par Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui ? Un Dieu qui change d’avis est-il encore Dieu ? N’entre-t-il pas dans la définition de Dieu d’être immuable en ses desseins, et cela de toute éternité ? Et quelle image de Dieu risquons-nous de nous forger : celle d’un tyran qu’il faut fléchir, d’une puissance capricieuse qu’il faut parvenir à apprivoiser puis à manipuler en trouvant la formule adéquate, la clef du coffre-fort aux grâces divines ? La prière n’aurait-elle pas partie liée avec la magie ? Et ne relève-t-on pas bien des conduites superstitieuses chez les gens qui prient ? La prière ne serait-elle pas un acte magique de primitif qui ignore les lois rigoureuses de la nature ? Lorsque nous disons un peu vite que nous sommes exaucés, n’est-ce pas simplement parce que le cours des choses, l’enchaînement des causes, le dynamisme à l’œuvre dans la nature a produit un résultat qui correspondait à nos attentes ? Et puis s’enraciner dans la prière n’est-ce pas s’enfoncer dans l’aliénation, se rendre dépendant d’un plus puissant ? N’est-ce pas non plus démissionner, refuser de prendre à bras le corps les problèmes de l’existence, compter sur un hypothétique et arbitraire deus ex machina ?
*
Voici quelques unes des questions qui peuvent heurter notre esprit quand nous parlons de prière de demande. Nous aussi, nous aurions envie de dire, comme les disciples : « Compte tenu de tout cela, Seigneur, apprends-nous quand même à prier ? » Que nous répond Jésus ?

Il commence par nous établir dans une relation de confiance, de familiarité même. Dieu n’est pas une puissance impersonnelle, arbitraire et tyrannique mais un Père, son Père, et si nous le voulons bien, notre Père. Et un Père peut-il ne pas aller au-devant des désirs de ses enfants ? Dieu connaît les demandes de notre cœur avant même que nous les formulions nous dit ailleurs Jésus. Dieu n’est pas un tyran dont nous aurions à fléchir la volonté. Mais prions-nous avec assez de foi pour obtenir ce que lui veut nous donner ? Le problème de l’exaucement de la prière, c’est surtout le problème de la conversion de notre désir. Dieu veut en effet nous donner l’Esprit Saint, c’est-à-dire l’Esprit de son Fils. Mais est-ce que nous nous voulons vraiment le recevoir ? Il veut en effet nous rendre semblables à son Fils. Et la prière du Fils, ce n’est pas la prière d’un mendiant calculateur, comme celui de la Belle Porte au Temple, c’est la prière d’un homme libre et aimant. Ce sont de tels adorateurs que veut le Père. La prière de Jésus est la prière de quelqu’un qui aime et qui donc se soucie d’abord des désirs de celui à qui il s’adresse : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne ». En priant ainsi, nous nous décentrons de nous-mêmes, nous exprimons notre amour. Mais en même temps, notons bien que si Dieu désire que son nom soit sanctifié ou que son règne vienne, ce n’est pas d’abord pour lui, mais bien pour nous. Dieu n’a pas besoin de nous pour être heureux. C’est nous qui avons intérêt à ce que sa volonté se fasse sur la terre. Car c’est notre salut alors qui s’accomplit, ce sont les conditions de notre existence qui deviennent plus humaines. Car nous, nous avons besoin de Dieu pour exister de manière authentique. C’est ce que rappelle la demande : « Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour ». Nous ne sommes pas autonomes au point de pouvoir vivre fermés sur nous-mêmes : nous dépendons de la nature, des autres, et ultimement de Dieu qui à chaque instant nous donne l’exister, l’acte d’être. Le pain est le symbole de notre incomplétude.

Les deux dernières demandes rappellent que nous sommes non seulement des créatures, mais aussi des créatures fragiles, des pécheurs : nous demandons à Dieu qu’il nous pardonne nos fautes et nous lui demandons de ne pas entrer en tentation. Quelle est-elle cette tentation ? Celle de la foi, celle de la foi du Christ. Toute tentation se ramène à ce que Paul appelle « la parole de la croix ». Notre tentation c’est de vouloir entrer dans la gloire sans passer par la croix. Mais notre prière est celle du Christ qui a dit : « Non pas ma volonté mais ta volonté ». Toute prière qui cherche à évacuer la croix n’est plus une prière chrétienne mais une prière païenne. Que nous le voulions ou non, notre destin est intimement lié à celui du Christ : nous sommes les membres de son Corps. Nous avons à reproduire dans notre vie ce que lui-même a vécu. Or dans un monde marqué par le désordre du péché, c’est-à-dire par l’égocentrisme suicidaire, il n’y a pas d’autre antidote que le don de sa vie, paradoxale condition pour obtenir la vie, et la vie en abondance. Mais voilà, tout cela nous apparaît comme folie. C’est la folie de la croix, sagesse aux yeux de Dieu. Et c’est pourquoi il nous faut absolument prier pour obtenir l’Esprit Saint, l’Esprit de la sagesse de Dieu qui nous fait entrer dans son dessein de salut et nous fait ainsi comprendre que « la dette du péché est clouée à la croix », cette croix par laquelle la mort est engloutie dans la victoire. Oui, il nous faut consentir à la rudesse de la croix pour pouvoir goûter à la douceur de Dieu.