20 avril 2012

[Geneviève Comeau - La Croix] Que penser de ces groupes intégristes qui veulent empêcher la tenue de rencontres interreligieuses ?

SOURCE - Geneviève Comeau - La Croix - 20 avril 2012

Alors que des groupes sont venus récemment troubler des manifestations interreligieuses, Geneviève Comeau, théologienne au Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris), explique que dialoguer n’est pas renoncer à sa foi mais s’intéresser à l’autre. 
 
Ces derniers temps, des groupes de jeunes intégristes se sont mobilisés pour troubler plusieurs réunions. En cette période où nous célébrons le cinquantième anniversaire du Concile, la Contre-Réforme catholique liée à l’abbé de Nantes prend pour cibles les réunions liées à Vatican II – ainsi le colloque sur « La réception de Vatican II », à l’Institut supérieur d’études œcuméniques de l’Institut catholique de Paris. De son côté le Mouvement de la jeunesse catholique de France, lié à la Fraternité Saint-Pie-X (Mgr Lefebvre), s’en prend aux rencontres interreligieuses – ainsi la soirée du 27 mars à la paroisse Saint-Léon de Paris, qui réunissait intervenants juif, catholique et musulman, autour du thème « Faut-il attendre le Messie ? ».
 
Certains catholiques ont des craintes envers le dialogue interreligieux, redoutant qu’il ne conduise au relativisme. Or dialoguer n’est pas renoncer à sa foi, ni chercher des compromis, ni tomber dans le syncrétisme ; c’est s’intéresser à l’autre, l’écouter, essayer de le comprendre, mais par là sans doute aussi être renvoyé à l’originalité de sa propre foi. Cependant, ce qu’exprimaient avec virulence les jeunes gens du Mouvement de la jeunesse catholique de France n’était pas ce genre de craintes, après tout compréhensibles. C’était l’affirmation d’une position qui ne supporte pas la présence, et encore moins la rencontre de l’autre. « Pourquoi avoir invité un rabbin et un musulman ? Ils n’ont rien à nous dire ! » « Nous savons déjà ce qu’ils vont dire sur le Messie ! » Certains d’entre eux posaient des questions, mais n’écoutaient pas la réponse qui leur était faite ; ou bien posaient des questions seulement pour vérifier que ce n’était pas LA bonne réponse (la leur, celle qu’ils attendaient) qu’on allait leur donner.
« Le dialogue fait donc parcourir tout un chemin pour surmonter les obstacles qui pourraient l’entraver »
Leur façon de perturber la soirée était très bien organisée, et parfaitement antidémocratique. Elle révèle sans doute un positionnement politique de leur groupe. Or vivre des rencontres interreligieuses suppose que des convictions différentes, et même contradictoires entre elles, puissent s’exprimer librement, sans subir de pression ni de violence. Dans ce sens, participer au dialogue interreligieux peut être une manière de travailler à la paix. Benoît XVI l’a souligné lors de la rencontre d’Assise d’octobre 2011, le dialogue est une manière de convertir la violence qui se trouve en nous.
 
D’après le philosophe Éric Weil, « si les hommes avaient renoncé à la violence, s’ils n’étaient plus – c’est tout un – passionnés, pourquoi parleraient-ils les uns aux autres ? Il n’y a pas de dialogue entre les anges, il n’y en a pas entre les élus du royaume céleste, qui n’ont plus de passions ; leur langage est celui des chants. Le dialogue est l’apanage d’êtres qui ne sont pas des êtres de dialogue. » (1) Le dialogue fait donc parcourir tout un chemin pour surmonter les obstacles qui pourraient l’entraver.
 
Cette idée de chemin à parcourir a été mise en valeur par Jean-Paul II dans La mission du Christ rédempteur (n° 56-57) : le dialogue n’est pas la conséquence d’une stratégie ou d’un intérêt, il possède son sens et sa dignité dans son déroulement et son inachèvement même, il est « un chemin vers le Royaume ». Sur ce chemin, il ne s’agit pas seulement d’échanger sur nos différentes manières de croire et de pratiquer – parfois c’est même tellement difficile qu’il vaut mieux ne pas commencer par là ! Il s’agit surtout de prendre part ensemble aux attentes et aux souffrances de nos contemporains, à leurs questions fondamentales et existentielles. Il s’agit de témoigner qu’un avenir « partagé » est possible : un avenir d’où personne ne soit exclu, quelle que soit sa culture ou sa religion. Ce n’est pas sans rapport avec l’espérance chrétienne du Royaume de Dieu.

(1) Philosophie et réalité , Éd. Beauchesne, 1982, p. 280.
Geneviève Comeau