24 juin 2007





Les forcenés de Saint-Martin
24 Juin 2007 - Le Journal du Dimanche
Par Garance LE CAISNE, à Niafles (Mayenne)
Le Journal du Dimanche La grand-mère refuse de soulever le loquet. "Je ne sais pas qui vous êtes ! crie-t-elle d'une voix douce mais ferme à travers la lourde porte de la chapelle. Peut-être allez-vous tenter de récupérer l'église, me faire sortir de force ! Je suis toute seule..." Ce mercredi après-midi, Marie-Neige Perrel, 73 ans, monte la garde. Depuis un mois, une dizaine de catholiques traditionalistes occupent à tour de rôle l'église Saint-Martin à Niafles (Mayenne), petit village de 300 habitants.
Pour y entrer, il faut montrer patte blanche, être introduit par un membre du groupe comme Matthieu Mautin, artisan tailleur de pierre de 31 ans, ou Luc Perrel, médecin à la retraite et mari de Marie-Neige.
"On était partis pour trois jours, ça fait un mois !" s'amuse le docteur, cheveu gris et ras, la démarche militaire, en montrant deux lits de camp installés dans la sacristie. La porte est bloquée de l'intérieur avec une tenaille. Un réchaud, deux oranges, une boîte de chicorée. "L'évêque, c'est l'évêque, d'accord, poursuit le médecin. Mais il doit nous donner notre dû, pas du pâté Ronron avarié." Ce qu'ils réclament ? Pouvoir continuer à suivre la messe en latin selon le rite tridentin de saint Pie V, avec un prêtre se tenant dos aux fidèles. Un rite abandonné depuis le concile de Vatican II mais suivi pendant quarante ans par l'ancien curé de l'église de Niafles, l'abbé Chéhère, décédé en mars à 94 ans.
Ils veulent pouvoir continuer à suivre la messe en latin
A sa mort, l'évêque du diocèse autorise l'abbé Loddé, un jeune prêtre de la fraternité Saint-Pierre, la congrégation traditionaliste restée fidèle à Rome lors du schisme de Mgr Lefebvre en 1988, à lui succéder. "Avec saint Pie V, la liturgie est plus expressive, le mystère plus palpable, explique Matthieu Mautin. L'abbé Loddé célébrait une messe magnifique. Il est jeune, les enfants l'aimaient beaucoup. Il a redonné du souffle à la communauté." Trop peut-être... A peine installé, le fougueux abbé dépasse ses attributions. Il célèbre une deuxième messe le samedi, confesse les paroissiens. Le nombre de fidèles augmente, passe de 150 à 225 les dimanches matin. Le 23 mai, l'évêque revient sur sa décision. Il propose une messe en latin à Laval, à 35 km de là, dans une église du centre-ville, avec un autre prêtre. "Ces chrétiens ne peuvent pas rester qu'entre eux et ne faire que ce qu'ils veulent", justifie l'évêque, Mgr Maillard.
Une poignée refuse. Le soir de l'annonce, Luc Perrel, équipé d'un sac de couchage et d'un matelas pneumatique, fonce à l'église. Les occupants n'ont qu'une hantise : que des intrus viennent déplacer l'autel et le tabernacle, disposés tout au fond de l'édifice pour que le prêtre puisse célébrer l'office selon le rite, face au Seigneur, les fidèles derrière lui. "N'importe quoi ! Ce sont cinq familles qui nous emmerdent et qui cherchent l'incident", lâche-t-on dans l'entourage de l'évêque, avant d'avouer : "On paye nos erreurs du passé." Effectivement, cela fait quarante ans que ça dure : depuis l'installation de l'abbé Chéhère, précisément. Drôle de curé, ce Maurice Chéhère. Il n'en faisait qu'à sa tête. "Vous prenez ma messe ou vous allez ailleurs !" avait-il coutume de dire. Il mariait qui il voulait et refusait même des enterrements. Au final, il a vidé son église des habitants du village, sans que les évêques successifs réagissent.
Plusieurs membres du groupe sont des militants actifs du FN
A Niafles, on n'en peut plus. "On veut récupérer notre église, avec une messe et des sépultures classiques", réclame Dominique Prime, employé communal. "Cela s'est aggravé ces dernières années, précise Roland Renaudier, conseiller municipal. L'abbé était vieux, les extrémistes en ont profité pour changer les membres de la chorale et les enfants de choeur. Pour moi, c'est une secte !" Les habitants du village sont d'autant plus inquiets que plusieurs membres du groupe barricadés dans l'église sont des militants actifs du Front national. Comme Katell Mautin, la femme de Matthieu, et le docteur Luc Perrel. Les Renseignements généraux et la gendarmerie suivent l'affaire de près. "Si c'était des sans-papiers, cela fait longtemps qu'ils auraient été expulsés", se plaint le maire socialiste Michel Montécot, avant de rigoler du surnom dont les "tradis" l'ont affublé sur des affiches placardées dans le village : "Peppone est un âne..."
"Peppone" dit qu'il ne pourra pas longtemps tenir ses administrés. Ce mercredi soir, justement, une cinquantaine d'entre eux se sont donné rendez-vous à la salle des fêtes. Non sans se jeter quelques regards obliques : tous sont convaincus qu'il y a une "taupe" traditionaliste parmi eux. Peu importe, les villageois ont décidé de reprendre leur église et prévu une action aujourd'hui. Assis en rond dans la salle communale, ils s'organisent, se répartissent les rôles pendant deux heures. A 23 heures, les derniers quittent la salle. Les rues du village sont désertes. Dans la sacristie de Saint-Martin, la lumière est encore allumée.