19 juillet 2007





La drôle de paix intérieure du Père Gouzes-Vidal
19 juillet 2007 - Jean Madiran - Présent
La drôle de paix intérieure du Père Gouzes-Vidal L’archétype d’une insolente inconscience
Il a des idées. Il nous les exprime dans l’une de ces pages reculées où Le Figaro se débarrasse en vrac des « débats et opinions ». Il est dominicain, recteur d’une abbaye, il veut bien dire un « oui » de principe, mais pas sans conditions, « à la messe en latin » (sic). Sous réserve que le Motu proprio l’inquiète beaucoup.

« Ce qui est le plus inquiétant dans le texte du Motu proprio… », écrit-il, – car il faut savoir que les motifs d’inquiétude y sont multiples, mais le Père recteur dominicain s’en tient à celui qui est le plus inquiétant, – le plus inquiétant, donc, est que l’on « va connaître des situations de crises et de divisions » créées par le Motu proprio « aussi bien dans les communautés religieuses que dans les paroisses ».

Avant cet inquiétant Motu proprio du 7 juillet, on ne connaissait dans l’Eglise ni divisions ni crises. Lui du moins n’en connaissait pas. Pas plus que les publicistes et commentateurs, souvent épiscopaux, qui opposent au Motu proprio cet argument dont le Recteur dominicain exprime l’archétype.

Pour lui, pour eux, l’ensemble du clergé et des fidèles vivaient dans la paix intérieure et extérieure, dans la tranquillité publique et privée, sans connaître ni crises ni divisions. Et si ce n‘était évidemment pas vrai, on faisait comme si.

Plus de trente années, exactement trente-sept, plus d’une génération de divisions creusées dans les communautés, dans les paroisses, dans les familles. Des ruptures brutales, des éloignements progressifs, des séparations durables ici entre parents et enfants, là entre frères et sœurs, ailleurs entre amis d’enfance. Et entre prêtres issus d’un même séminaire, entre collègues, entre confrères. Entre ceux qui subissaient l’injustice sans y céder et ceux qui s’en accommodaient.

L’injustice était énorme, l’arbitraire était incroyable et sans précédent, l’interdiction arbitraire de la messe traditionnelle multipliait les cas de conscience les plus douloureux et les incompréhensions réciproques. Le Recteur dominicain et dans la hiérarchie tous ceux dont il est l’archétype étaient donc bien tranquilles pendant ce temps-là, installés dans leur indifférence, retranchés dans une inconscience peut-être volontaire.

Il s’y joignait souvent, à l’adresse des victimes de l’injustice ecclésiastique, des insultes et un explicite mépris (paisibles, sans doute, dans leur inspiration), dont on retrouve une trace dans l’article du Recteur dominicain, qui nous lance au passage son soupçon de « mensonge pharisien ». En signe de paix.

L’injustice, souvent persécutrice, à l‘égard des prêtres et laïcs fidèles à la messe traditionnelle, n‘était d’ailleurs qu’une conséquence de l’injustice majeure, celle frappant la messe elle-même. Le Motu proprio du 7 juillet est venu y mettre fin officiellement, en énonçant que la messe traditionnelle n’a jamais été valablement abolie. L’interdiction était sans valeur juridique, c’est-à-dire illégale. Le Recteur dominicain et ses semblables devraient non seulement en prendre acte, mais aussi méditer l‘énormité, l‘étendue, la durée, la cruauté d’un tel abus de pouvoir, et s’interroger sur le degré de complicité qu’ils ont pu éventuellement y apporter.

Au libelle du Recteur, il ne manque quasiment rien pour être un archétype complet. Car les principaux arguments opposés au Motu proprio sont au nombre de deux, nous venons de voir le premier, le second n’a pas été omis. Il ne porte pas lui non plus sur le fond de la question, qui est la messe elle-même, il porte sur l’inquisition qu’il réclame pour les traditionalistes, leurs collusions idéologiques sous-tendues, leur sincérité douteuse, leur non-acceptation des grandes perspectives conciliaires sur la collégialité, le dialogue œcuménique, les rapports de l’Eglise avec la modernité. Vastes questions. Il faudra assurément y venir à loisir.

Dès maintenant nous pouvons répondre à cet inquisiteur et à ceux des évêques dont il est typiquement le portrait intellectuel, que la modernité cléricale, très peu pour nous en effet. Elle consiste, dans son langage plus syndicaliste que pieux, à défendre les « acquis » et à multiplier les « avancées » de la collégialité presbytérale contre le pouvoir épiscopal, et de la collégialité épiscopale contre le pouvoir pontifical. C’est la démocratisation anarchique de la hiérarchie ecclésiastique. Si vous avez raison de croire que cette démocratisation a été voulue et décrétée par le concile pastoral, alors c’est tant pis pour le concile.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6381 de Présent, du Jeudi 19 juillet 2007, p.1