11 février 2009





Entrevue avec l'évêque Bernard Tissier de Mallerais, SSPX
11 février 2009 - cfnews.org - version française: leforumcatholique.org
L'entrevue suivante a été conduite par le rédacteur de nouvelles de famille catholique, John Vennari le 11 février 2009. Elle a eu lieu à Syracuse, New York (…) Dans cette entrevue l'évêque parle de Mgr Lefebvre et du règne social du Christ ; des discussions doctrinales prochaines avec Rome ; du cadre possible pour la « régularisation » ; et de la position de la FSSPX concernant le deuxième Concile de Vatican.

EC : Votre discours à Syracuse le 8 février était intitulé : « Mgr Lefebvre, le sacerdoce et le règne social du Christ ». Quelle est la signification de ce titre ?
BTM : J'ai voulu expliquer, selon le père LeFloch, qui était le professeur de Marcel Lefebvre dans le séminaire français à Rome, et selon l’archevêque Lefebvre, que le sacerdoce contient non seulement la sanctification des âmes, mais également le baptême des nations. L'intégrité du sacerdoce mène à la conversion des nations de sorte que la société civile se soumette à notre seigneur Jésus-Christ. C'est le in but suprême du sacerdoce.
EC : Dans ce discours, vous aviez mentionné que les séminaristes ordonnés dans le séminaire français sous l’abbé Le Floch ont élaboré un plan en trois points de pour exposer la façon dont une révolution procède. Pourriez-vous les énumérer ?
BTM : J'ai suivi ce que le père Fahey a expliqué à des professeurs du séminaire français. Ils décrivent les trois points progressifs de la révolution.
Première étape de la révolution : L'élimination dans le gouvernement du Christ-Roi par la laïcisation ou la sécularisation de l'Etat. Par cette laïcisation, il s’en suit que le Droit Civil ne sera plus soumis à l'Evangile ; et que la religion catholique ne sera plus reconnue publiquement par l'Etat. Selon ce principe révolutionnaire, l'Etat ne peut pas déterminer la vérité en matière de religion.
Deuxième étape de la révolution : la suppression de la Sainte Messe. La Franc-maçonnerie a voulu faire ceci à la fin de la 19ème et au début du 20ème siècle avec la séparation de l'Église et État. Ils espéraient ainsi que les chrétiens perdraient la foi et abandonneraient l'église et que la Sainte Messe ne serait plus célébrée.
Troisième étape de la révolution : Faire perdre la vie divine du Christ dans les âmes, de sorte qu’elles ne vivent plus en état de grâce. Faire des âmes païennes, faire des âmes laïcisées.
EC : Comment voyez-vous Vatican II et ses réformes à la lumière de ce plan en trois points ?
BTM : Avec Vatican II, ces trois points ont été effectivement acceptés par l'église.
D'abord, la destruction de l'état catholique par la déclaration sur la liberté religieuse ; la séparation de l'église et de l'Etat ; l'Etat ne peut pas donner de verdict de vérité en matière de religion. C’est ce que le cardinal Ratzinger a expliqué à Mgr Lefebvre dans son entrevue du 14 juillet 1987 ; que l'Etat ne peut pas savoir ce qu'est la vraie religion.
En second lieu, la suppression de la Sainte Messe. Ceci s'est produit après Vatican II avec la nouvelle messe. Cette nouvelle masse n'exprime pas le sacrifice de propitiation. En revanche, elle exprime plus une offrande des personnes de Dieu, mais pas un sacrifice célébré par le prêtre afin d’expier nos péchés. Ce deuxième point a été réalisé par la réforme liturgique.
Troisièmement, le laïcisation des âmes. C'est pratiquement la situation aujourd'hui parce pratiquement plus personne ne va en confession. La plupart des catholiques ne vont plus à la confession. Le sacrement de pénitence a été pratiquement supprimé avec la soi-disant absolution générale. Maintenant Rome veut retourner à des confessions individuelles, mais je suis sûr que de nombreux évêques n'acceptent pas parce que beaucoup de prêtres ne veulent pas entendre des confessions.
EC : Pourtant il y a un bon nombre de prêtres en dehors qui veulent entendre des confessions.
BTM : Oui, mais généralement les prêtres modernes n'aiment pas entendre les confessions, et n'encouragent pas la confession. Le péché, le péché originel, le besoin de confession, et la satisfaction pour que le péché ne soit plus entendu. Statistiquement, il y a peu de confessions dans les paroisses. Le résultat est que la majorité de catholiques qui peuvent encore avoir la foi ne peuvent pas vivre en état de grâce. Soyons réalistes, le monde est si corrompu, qu’il est impossible de vivre en état de grâce sans le sacrement de pénitence.
EC : Vous avez noté que l’archevêque Lefebvre a vu comme réponse à la crise de la foi d'aujourd'hui comme consistant en l’inversion de ces trois points. Pouvez-vous expliquer ?
BTM : Oui, prenez le plan de la révolution mais vous l’inversez.
D'abord, célébrer la sainte messe de nouveau pour la foi, de sorte qu'ils reçoivent les grâces venant du sacrifice de la croix - à travers la vraie messe. Est c’est ce que nous faisons avec notre foi. Nous voyons les fruits de la sanctification. Nous voyons beaucoup de familles avec beaucoup d'enfants, et beaucoup de vocations.
En second lieu, au moyen de la messe et les sacrements traditionnels, pour que les âmes vivent en état de grâce. C’est la situation de notre foi. . Je pense que la plupart d'entre eux vivent en état de grâce. Ils viennent régulièrement à la confession afin d'augmenter la grâce sanctifiante ou la récupérer s'ils ont le déplaisir de la perdre. Ils vivent dans l'état de grâce. Les enfants vivent en état de grâce. On enseigne aux enfants à lutter contre les occasions de pécher.
Troisièmement, avec ce groupe de catholiques vivant dans l'état de grâce, agir pour que Notre Seigneur ésus-Christ retrouve sa place dans la société, afin de lui restituer sa couronne. Ils font ceci dans leurs familles, dans nos établissements catholiques, petit-à-petit, dans leurs travail, dans leurs professions, pour que leur profession se retrouvent en harmonie avec la loi de JC, pour être de bons exemples parmi leurs collègues ; tout ceci finalement pour la re-Christianisation de la société civile.
EC : Dans votre entretien, vous avez parlé de la notion moderne du « personnalisme » comme erreur philosophique de Vatican II qui a corrompu la doctrine de l'église.
BTM : Cette erreur a imprégné la soi-disant déclaration sur la liberté religieuse, dire que chacun a le droit de ne pas être empêché d'adorer la divinité de son choix vient directement du personnalisme.
La définition vraie de la personne humaine a été donnée par Boèce : une substance individuelle d'une nature raisonnable. Le Thomiste insiste sur « la nature raisonnable », parce que l'homme a un intellect qui est fait pour découvrir, pour saisir la vérité ; et pour tenir la vérité. Ainsi la finalité de l'intelligence est de savoir la vérité, parce que la vérité est l'objet de l'intelligence. Ainsi la perfection de la personne humaine consiste à posséder la vérité.
Mais maintenant, les nouveaux « personnalistes » prennent la même définition de la personne humaine, mais la soumette plutôt comme« substance individuelle ». La personne consiste à être un « individu », ainsi elle doit avoir des droits selon son individualité. C'est-à-dire, avoir la liberté sans considération de la vérité. En contraignant « la substance individuelle », la personne humaine a le droit d'un « individu », selon ses propres principes, ses propres choix, sans considération de la vérité. La possession de la vérité n'est pas essentielle dans la nouvelle définition.
C'était l'enseignement de Jacques Maritain en France, qui fut Thomiste, mais qui se convertit au « personnalisme ». Il a eu une grande influence sur le pape Paul VI et sur le Vatican II.
Le personnalisme insiste sur le fait que l'individu doit être libre, doit être indépendant, doit choisir par lui-même. En cela consiste « la dignité humaine ». Et ceci a été condamné par pape St. Pie X dans sa Lettre aux évêques français contre le Sillonisme.
EC : Pouvez vous commenter ce que vous avez dit dans votre entretien : l'église ne peut pas garder la vérité sans combattre l’erreur ?
BTM : L'histoire entière de l'église démontre ce principe. Dés les premiers siècles, les Pères de l’église passaient leur temps à combattre les hérésies et condamner les hérétiques. Le Concile de Nicée, le Concile d'Ephèse, sont des démonstrations de cette vérité. Le Concile de Trente fut un splendide concile parce qu'il a condamné le protestantisme. Jamais l'Eglise ne mit en si grande lumière ses propres principes qu'en luttant contre des hérésies. Ainsi aujourd'hui l'église doit condamner les faux principes afin de mettre en lumière ses propres principes, principes révélés. C'est une nécessité. L'église ne peut pas enseigner la vérité sans combattre les erreurs. C'est le chemin providentiel établi par le Bon Dieu pour le magistère de l'Église.
EC : Diriez-vous que la nouvelle orientation de « dialogue » est un faux principe pour condamner l’erreur ?
BTM : Oui, sous le prétexte de la « charité ». St Augustin indique aimons les pécheurs, mais combattons les erreurs. Mais maintenant c’est plutôt « aimons les erreurs, respectons toutes ses erreurs ! ». Puisque l'erreur est toujours professée par des personnes, ainsi si nous respectons les personnes, nous devons respecter leurs erreurs. C'est du subjectivisme.
EC : À la lumière de l’enseignement de la vérité et de la résistance aux erreurs, que pouvez-vous nous dire au sujet des discussions doctrinales prochaines entre la FSSPX et Rome ?
BTM : En accordant le décret du 21 janvier de pape Benoît XVI, a déclaré ouvertes les discussions, et je pense qu’elles commenceront rapidement.
EC : La FSSPX, est formée dans le magistère catholique éternel pour les siècles ; formé en accord avec le Syllabus de Pie IX et le Syllabue contre le modernisme du pape St. Pie X. Les ecclésiastiques modernes avec qui vous aurez ces discussions doctrinales sont des hommes qui pour la plupart ont été formés dans la continuité de Vatican II ; et dans le nouveau anti-anti-Modernisme du Concile. Pouvons-nous spéculer sur la rencontre des esprits dans les discussions prochaines ?
BTM : Notre intention est de les mettre devant la contradiction entre leurs doctrines et les doctrines traditionnelles. Nous voulons leur montrer qu'il y a une vraie contradiction.
EC : Comment ces discussions procéderont-elles ?
BTM : Nous avons l'intention de nous engager dans une discussion écrite. Nous écrirons nos objections et ils répondront. Peut-être vers la fin il pourra y avoir également des discussions tête à tête.
EC : Au cours de ces discussions, voyez-vous la langue comme problème potentiel ? Par exemple, des mots tels que la « continuité » et la « Tradition » sont définis différemment par les autorités catholiques traditionnelles et par celles, actuelles, du Vatican.
BTM : Il est difficile de discuter avec des personnes qui emploient la même langue mais ne donnent pas la même signification pour les mêmes mots. Ainsi nous essayerons de comprendre leur philosophie et de leur parler dans les termes de leur propre fausse philosophie. Quand nous parlons de la « Tradition » nous parlons avec eux de telle façon qu’ils comprennent ; Non pour accepter leur nouvelle définition, mais afin de comprendre comment ils s’en arrangent.
EC : En 1988, l’accord était supposé être un protocole original entre Rome et le SSPX : 1) que les SSPX obtiennent son propre évêque ; 2) qu'elle ait une majorité dans la commission ED du Vatican ; 3) que la FSSPX ait une autonomie par rapport aux évêques diocésains. Le FSSPX insistera-t-elle toujours sur ces derniers points quand le temps viendra de parler d'une juridiction pour la FSSPX ?
BTM : Oui, et c’est ce que Rome est disposé à donner. Le cardinal Castrillon a déjà fait part de ces dispositions à certains, cependant il est peu probable que la FSSPX ait la majorité dans la Commission Ecclesia Dei. En ce qui concerne l'indépendance vis-à-vis des évêques diocésains, il est évident que Rome est prêt à nous donner une structure qui nous donne une certaine indépendance, ce qui est possible en vertu de la loi. Je devrais noter que nous ne pouvons pas rechercher rapidement une régularisation. Les discussions doctrinales dureront longtemps.
EC : Une des raisons pour lesquelles je vous interroge sur l'autonomie vis-à-vis des évêques diocésains est due à un rapport récent de l'évêque Müller de Regensberg, Allemagne. L’évêque Müller a dit que si le FSSPX est régularisée, elle doit également « accepter que le séminaire de Zaitzkofen tombe sous la surveillance du diocèse de Ratisbonne. Le séminaire devrait être fermé et les étudiants devraient aller aux séminaires dans leurs pays d'origine - s'ils conviennent à cette fin. »
BTM : Nous devons avoir une structure juridique qui nous protège contre une telle entreprise de destruction de la part des évêques.
EC : Si le SSPX est régularise, qui conferrerait les ordinations et les confirmations ?
BTM : Nos propres évêques. Cela serait contenu dans les documents finaux. Mais je dois faire remarquer que cette solution juridique finale ne se produira pas si Rome ne fait pas une vraie conversion, parce qu'il serait impossible d'obtenir une telle chose si Rome ne se convertit pas. Il ne serait pas possible de vivre une telle régularisation sans conversion de Rome. J'ai dit ceci dans une interview avec La Stampa à Rome, et on a considéré que c’était un scandale. Certains ont indiqué, « cet évêque est ridicule ! Quelle prétention de convertir Rome ! » Mais c'est notre intention. C'est clair. Quand nous discuterons avec ces personnes, le but est de les convertir.
EC : Puisque vous avez entamé ce sujet, je vous demanderai : pensez Vous que les représentants de Rome approcheront également ces discussions avec la même intention : Convertir la FSSPX sur le plus de points possibles ? Pour vous inciter « à voir la lumière », ou au moins « sentir sa chaleur » ?
BTM : Oui, c'est vrai.
EC : Que diriez-vous du fait que l’archevêque Lefebvre a signé tous les documents de Vatican II, ce qui signifie, selon certains, qu'il n'a vu aucun problème avec le Concile dans son entier ?
BTM : J'ai démontré dans ma biographie de Mgr Lefebvre - dans les chapitres sur le Concile - que l'archevêque a jugé qu'alors il ne pouvait pas refuser une décision d'un Concile Général sans se séparer de l'Eglise. La grande majorité des évêques a signé les documents. L’évêque de Castro Meyer. a signé tous les documents du Concile . C'était une décision collégiale, et dans une décision collégiale, même si vous n'êtes pas d'accord avec la décision, vous devez la signer. Par exemple, dans le décret de la nullité du mariage, il peut y avoir décision de trois ou cinq juges. Si un juge n’est pas d’accord, il signera le décret de toute façon parce que la décision est prise à la majorité. C’est la même chose avec un Concile Général. Cela ne signifie pas que Mgr Lefebvre a accepté toutes les décisions du Concile. Par exemple, il a voté à la fin contre le document sur la liberté religieuse, et a continué à s'opposer publiquement à la liberté religieuse jusqu'à sa mort en 1991.
Plutôt que Vatican II lu à la lumière de la Tradition, nous devons lire et interpréter Vatican II à la lumière de la nouvelle philosophie. Nous devons lire et comprendre le Concile dans sa vraie signification, c'est-à-dire, selon la nouvelle philosophie. Puisque tous ces théologiens qui ont produit les textes de Vatican II ont été imprégnés avec la nouvelle philosophie. Nous devons le lire de cette façon, et ne pas l'accepter, mais pour le comprendre comme les théologiens modernes qui ont rédigé les documents les comprennent. Lire Vatican II à la lumière de la Tradition n'est pas le lire correctement. Il ne s’agit pas de plier, de tordre les textes. Je ne veux pas tordre les textes.
EC : Vous avez été avec Mgr Lefebvre dés le commencement en 1969. Vous étiez avec l’archevêque Lefebvre dans les trois grandes étapes de la FSSPX dans ses discussions avec Rome : le retrait de la permission du séminaire d’ Econe en 1975 ; la suspension en 1976 ; et l'impasse avec le Vatican le fit abandonner pour les consécrations épiscopales en 1988. Comment la situation actuelle en 2009 est-elle comparable/contraste avec les discussions précédentes ?
BTM : Je pense que rien n'est changé par rapport à cela. Finalement, ils veulent nous ramener à Vatican II. Pour nous inciter à l’accepter. La levée des excommunications n'a pas changé ce problème profond de la foi. Elle a changé quelque chose pour les catholiques qui ne comprennent pas notre combat, qui voient maintenant que nous ne sommes pas excommuniés, c’est bon de cette manière pour l’Eglise.