22 avril 2006

Rome et les lefebvristes - La réconciliation est-elle possible ?
Benjamin Coste - 22/04/2006 - Famille Chrétienne
Depuis l'accession de Benoît XVI au Siège de Pierre, les contacts ont repris comme jamais entre Rome et la Fraternité Saint-Pie-X. Faisant naître l'espoir d'une prochaine sortie de crise. Néanmoins, malgré des relations plus sereines, les désaccords entre les lefebvristes et Rome demeurent.

Lourdes, en octobre dernier. Grisaille et froide bruine toutes pyrénéennes. Dans la cité mariale, la saison des pèlerinages touche à sa fin. Aux abords du sanctuaire, des écriteaux "Fermé" barrent l'entrée de nombreux hôtels. Déjà, plusieurs boutiques d'objets religieux ont baissé leur rideau de fer. Seul un imposant cortège, recueilli et discipliné, s'enfonce dans la basilique souterraine Saint-Pie-X.
Des familles et des religieux prennent place sous la voûte bétonnée. Les femmes arborent un fichu noir ou une mantille. Les hommes ont ouvert leur missel protégé par une housse en cuir. Des ribambelles d'enfants s'enfilent comme des perles sur les bancs. Près de la sacristie, des religieux de tous âges, en robe de bure et tonsurés, sont agenouillés et attendent le début de l'eucharistie célébrée en latin selon le rite de saint Pie V (lire encadré "La messe de saint Pie V").
La longue procession s'ébranle pour rejoindre l'autel. La messe débute. Dos à l'assemblée, tourné vers le tabernacle, le prêtre se signe. "In nomine Patris, et Filii et Spiritus Sancti. - Amen !" Les responsables de la Fraternité Saint-Pie-X peuvent avoir le sourire : jamais le pèlerinage à Lourdes des disciples de Mgr Lefebvre n'avait fait autant recette. Selon les organisateurs, ils sont près de sept mille à participer à celui proposé cette année en " réparation pour les millions de morts du génocide par avortement".
En dépit de la sombre aura qui les entoure depuis la rupture de Mgr Lefebvre avec Rome en 1988 (lire encadré "Genèse d'un schisme"), ses disciples circulent, paisibles, dans le sanctuaire. "On s'est mis d'accord sur des façons de faire", explique Jean-François Monnory, secrétaire général des sanctuaires en charge de l'organisation des pèlerinages.

"Des discussions fructueuses"

Depuis l'élection de Benoît XVI, les tractations entre Rome et les responsables de la Fraternité Saint-Pie-X fondée par Mgr Marcel Lefebvre ont repris. "Ce sont les discussions les plus fructueuses que nous ayons eues jusqu'ici", signalait récemment Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la Fraternité, dont le mandat de douze ans touchera à sa fin en juillet prochain. Le pape semble même avoir fait du retour dans la pleine communion des lefebvristes une de ses priorités. "Dans les semaines ou les mois qui viennent, Benoît XVI devrait donner des directives pour faciliter le chemin vers un retour possible à une pleine communion", a indiqué début avril le cardinal Ricard, à l'issue de la dernière assemblée plénière des évêques français à Lourdes.
Un empressement à trouver une solution justifié par la distance qui se creuse chaque jour entre les fidèles de Mgr Lefebvre et Rome. "Plus les années passent et plus on aura affaire à des prêtres et des laïcs qui n'auront connu que la Fraternité", s'inquiète un prélat qui connaît bien le dossier. Le 12 février, à Rome, le successeur de Jean-Paul II a consulté la Curie pour étudier la stratégie à mettre en place pour réintégrer les lefebvristes dans le giron de l'Eglise.
De son côté, Mgr Fellay semble moins pressé. "Au sein de la Fraternité, beaucoup ont peur de se "faire avoir" par Rome et d'être obligés de renier ce pour quoi ils se sont battus ", analyse le cardinal archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France Mgr Jean-Pierre Ricard, également membre de la commission pontificale Ecclesia Dei, créée en 1988 pour "faciliter la pleine communion ecclésiale" des traditionalistes, schismatiques ou non.
Militant pour une meilleure connaissance réciproque, Mgr Fellay sait qu'il ne serait pas suivi par tous si un accord était signé prochainement entre Rome et la Fraternité Saint-Pie-X. "Il est néanmoins conscient que celle-ci n'a d'avenir que dans la communion avec Rome", ajoute le cardinal Ricard.
Les héritiers de Mgr Lefebvre fixent trois conditions à leur retour dans la pleine communion : l'élargissement à chaque prêtre du droit de célébrer selon le rite de saint Pie V, la révision de certains points du concile Vatican II, et la levée des excommunications.
Ce dernier point serait en bonne voie, et pourrait constituer un premier pas vers une régularisation. L'option est défendue par le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé. Le cardinal colombien a dernièrement déclaré sur une chaîne de télévision italienne que l'ordination des quatre évêques pour la Fraternité sans l'accord de Jean-Paul II (lire encadré "Genèse d'un schisme") ne constituait pas un acte schismatique mais relevait plutôt d'une "attitude schismatique".

Au centre du conflit, le problème de la messe

En ce qui concerne la messe tridentine, "l'église est entrée dans un processus irréversible", selon Mgr Fellay, qui prêche pour sa libéralisation, " c'est-à-dire la possibilité pour chaque prêtre de célébrer cette messe s'il le souhaite ". Pour les lefebvristes, ce serait la fin de la suppression par Paul VI d'un droit qu'ils jugent imprescriptible. "Cette question ne devrait pas poser de problème", confirme le cardinal Ricard. Qui poursuit : "Mais une chose est de dire qu'il y a deux formes possibles pour célébrer la messe, une autre que d'affirmer que le rite de Paul VI est hérétique".
Avant son élection pontificale, le cardinal Ratzinger s'était largement et plusieurs fois exprimé sur la question. "Si cela pouvait servir à nourrir la religiosité de certains croyants [...], je serais personnellement favorable à un retour à la situation ancienne, c'est-à-dire à un certain pluralisme liturgique ; pourvu naturellement que soit reconfirmé le caractère légitime des rites réformés, et que soient clairement circonscrits le cadre et le mode des quelques cas extraordinaires où l'on aura concédé la liturgie pré-conciliaire", expliquait-il par exemple dans son livre Entretien sur la foi paru en 1985.
Au sein de la Fraternité, les prêtres ne célèbrent que selon le rite de saint Pie V : la messe de Paul VI est officiellement considérée comme valide par ses responsables, mais dangereuse pour la foi. Et la célébrer au sein de la Fraternité constitue un motif d'exclusion. "Je n'écarte pas la perspective que l'on doive remettre un jour en question la validité de ce rite. Comme d'ailleurs l'ensemble des sacrements de l'Eglise conciliaire...", note en aparté un prêtre intégriste. Hélène, paroissienne de "Saint-Nic'" (Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris, l'emblématique église illégalement occupée depuis 1977 par les lefebvristes), regrette, elle, la "désacralisation" qu'entraîne le nouveau rite. "Pour moi, la messe de saint Pie V exprime de façon plus forte le mystère de la messe. J'ai du mal à prier avec le rite actuel et je suis gênée que le prêtre soit face à l'assemblée : j'ai l'impression qu'il est obligé de jouer sa messe comme le ferait un acteur..."
Les autorités de la Fraternité ont bien conscience que, pour leurs fidèles, l'attente la plus forte vis-à-vis de Rome concerne la messe de saint Pie V. "Les problèmes de doctrine liés à Vatican II sont plus des questions qui intéressent les élites", souligne l'abbé de Cacqueray, supérieur du district de France de la Fraternité.

A Lourdes, à Lisieux... des pélés lefebvristes accueillis sous conditions

Retour à Lourdes. Malgré l'importance du pèlerinage, aucune trace des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre : l'Anglais Richard Williamson, l'Espagnol Alfonso de Galarreta, le Français Bernard Tissier de Mallerais, et l'actuel supérieur de la Fraternité le Suisse Bernard Fellay, ont pour consigne de ne pas se montrer. Ce fut l'une des conditions à l'acceptation par le recteur des sanctuaires du pèlerinage de la Fraternité à Lourdes. " Ils symbolisent trop fortement la rupture avec Rome", explique-t-on dans les bureaux du sanctuaire.
Seconde condition : qu'aucune publicité ne soit faite dans et autour du sanctuaire. Le pèlerinage n'est d'ailleurs pas inscrit au programme officiel, et se déroule hors saison. "Mais cela a des avantages pour eux", précise Jean-François Monnory. "De cette manière, il est plus facile de leur donner la basilique souterraine, qui se prête mieux à leur conception de la liturgie. On met même à leur disposition certains ornements liturgiques spécialement sortis pour l'occasion du Trésor du sanctuaire", ajoute-t-il.
Du côté des intégristes, l'abbé Pinaud, qui coordonne depuis quelques années l'organisation de ce pèlerinage de la "Frat'", est satisfait de l'accueil. Il mesure le chemin parcouru. "Des erreurs ont été faites dans le passé qui ont créé des situations "désagréables"", regrette-t-il : coups de force pendant la messe internationale, messes "sauvages" célébrées dans la prairie en face de la Grotte, recteur vigoureusement pris à partie... A Lourdes, les tensions exacerbées et les coups de sang de l'après-Concile semblent désormais de vieux souvenirs.
De même à Lisieux, où Mgr Bernard Lagoutte, l'ancien secrétaire de la Conférence des évêques de France désormais recteur de la basilique, accueille depuis quatre ans un autre pèlerinage lefebvriste. "Auparavant, les gens de la Fraternité Saint-Pie-X installaient un podium au pied de la basilique... avant d'y entrer en force pour prier ! Avec le nouveau responsable de la Fraternité en Normandie, nous sommes tombés d'accord pour dire que Lisieux n'est pas un lieu pour venir exposer ce qui nous sépare, ni pour résoudre les difficultés actuelles, raconte Mgr Lagoutte. J'ai l'impression que la rencontre du pape avec Mgr Fellay en août dernier a ouvert des perspectives...", conclut-il.

Une certaine détente...

De fait, en France, où la Fraternité Saint-Pie-X compte environ la moitié de ses effectifs, soit près de cent mille fidèles, l'heure semble à une certaine détente. Dans les diocèses où elle est implantée, les prêtres diocésains et leurs confrères lefebvristes ne s'ignorent plus, et entretiennent même souvent des rapports qui seraient d'autant plus facilités que l'âge des protagonistes est moins élevé. "La plupart d'entre nous n'ont pas connu le traumatisme du schisme de 1988. On n'a pas de passif avec le Vatican", explique un jeune prêtre de la Fraternité. "Nous souffrons moins d'ostracisme que par le passé", ajoute l'abbé de Cacqueray. "J'ai récemment déjeuné avec quatre jeunes prêtres diocésains. Et s'ils ne nous donnent pas raison, ils m'ont néanmoins témoigné de la sympathie pour ce que nous faisons." A l'inverse, "les 50-70 ans nous renient et ne partagent pas du tout nos perspectives. Nous leur rappelons une autre vie dont ils ne veulent plus", explique Mgr Bernard Fellay (lire entretien avec Mgr Bernard Fellay).
Parfois même, prêtres diocésains et prêtres lefebvristes s'entraident, comme dans le diocèse de Bayonne, où un modus vivendi a, semble-t-il, été trouvé pour les mariages. Certains curés prêtent leurs églises aux fiancés de sensibilité lefebvriste. Le prêtre de la Fraternité célèbre la messe et le curé de la paroisse vient recevoir le consentement des époux afin que le mariage soit valide.
Les récentes nominations épiscopales en France (Mgr Centène à Vannes, Mgr Legrez à Saint-Claude...) suscitent également une certaine sympathie chez les lefebvristes français. "De son temps, je n'ai jamais pu rencontrer le cardinal Lustiger. J'espère que cela sera différent avec Mgr Vingt-Trois...", ajoute le supérieur du district de France. La blessure toujours ouverte de Saint-Nicolas-du-Chardonnet n'est certainement pas étrangère au silence de l'archevêché parisien.

Encore de nombreuses embûches sur le chemin de la réconciliation

Des lefebvristes "assagis", un clergé souvent mieux disposé au dialogue, une volonté d'aboutir plusieurs fois manifestée par Benoît XVI depuis son élection... Cent ans après la naissance de Mgr Lefebvre, 2006 pourrait-elle être l'année du retour à la pleine communion ?
Tout reste à faire. Et les embûches ne manquent pas sur le chemin de la réconciliation, qui pourrait prendre pour les lefebvristes la forme d'une administration apostolique. Les disciples de Mgr Lefebvre devront pour cela se soumettre à l'autorité du pape et reconnaître l'orthodoxie du concile Vatican II. "J'ai accueilli l'élection du successeur de Jean-Paul II avec joie, explique l'abbé de Cacqueray. Mais je ne me fais pas d'illusion. Nous savons que Vatican II tient une grande place dans son intelligence." Du côté de la base lefevbriste, le sentiment est le même. "Avec Benoît XVI, nous faisons les mêmes constats sur l'état de l'Eglise... Mais les solutions divergent !", résume, sans espoir, une paroissienne de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Le pape l'a montré, il désire faciliter un rapprochement. "Mais il ne le fera pas à n'importe quel prix...", souligne Mgr Ricard. Minoritaire mais significatif, qualifié de "révolutionnaire" par l'abbé de Cacqueray, un courant d'opinion a vu le jour au sein de la Fraternité Saint-Pie-X, selon lequel Benoît XVI sera le pape de la réconciliation.
Yves Amiot, 70 ans, est un des principaux défenseurs de cette thèse. Ancien rédacteur en chef du Chardonnet, le bulletin de Saint-Nicolas, dont il est toujours paroissien bien qu'"en rupture avec son clergé", il préside l'Association Sensus Fidei ("le sens de la foi", en français), qui reven-dique cinq cents adhérents. Elle entend saisir la chance que représente l'élection de Benoît XVI pour "conclure un accord valable et viable avec Rome et seconder ainsi par la suite les efforts du pape pour remettre l'église sur la bonne voie".
Installé dans un appartement cossu du XVIe arrondissement de Paris, Yves Amiot, qui estime "avoir une certaine image au sein de la Fraternité", a toujours gardé sur le cœur la rupture avec l'Eglise. Il raconte "son" 19 avril 2005, jour de l'élection de Benoît XVI. "Je l'ai vécue comme une libération. Ma femme a même pleuré de joie devant la télévision !", se souvient-il. "Alors que nous vivions dans une perpétuelle insécurité avec Jean-Paul II, capable par exemple d'embrasser le Coran, Benoît XVI nous inspire une confiance raisonnée", explique le vieil homme. "C'est un signe de la Providence, il ne faut pas rater cette occasion en étant trop exigeant. Pour moi, la séparation ne peut être quelque chose de durable."
Pour ce vétéran de la Fraternité, acteur de la prise de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sa hiérarchie actuelle n'a pas senti les changements dans l'Eglise. "Quand les Brésiliens de Campos se sont ralliés à Rome, beaucoup se sont indignés sans chercher à en savoir plus. De même avec l'élection de Benoît XVI. "Il sera pareil que Jean-Paul II", entendait-on à la sortie de la messe. Mais ce n'est qu'une façon de ne pas être dérangé dans son confort et de pouvoir continuer à donner du "monsieur l'abbé" sur les parvis. Entre gens bien-pensants issus du même monde..."

Des partisans d'un rapprochement avec Rome exclus de leur Fraternité

Le malaise d'Yves Amiot à l'égard de la Fraternité Saint-Pie-X remonte à plusieurs années. "Le nombre des vocations est en baisse. On voit des jeunes quitter le séminaire d'Ecône sans trop qu'on sache pourquoi... Et puis, il n'y a plus de créations de nouveaux prieurés de la Fraternité en France." Un constat qui traduit pour lui l'absence de finalité à l'action ecclésiale menée par les lefebvristes. Il décide de s'en ouvrir par écrit à Mgr Fellay. "Je n'ai jamais eu de réponse..."
Les mêmes interrogations sont reprises par l'abbé Philippe Laguérie, une des figures de la Fraternité. En réponse, le bouillant ancien curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui avait tenté de "prendre" en 1993 Saint-Germain-l'Auxerrois, une autre église parisienne, est muté au Mexique ! Il refuse, ce qui entraînera son exclusion... pour "mutinerie".
Dans son sillage, d'autres sont exclus et non des moindres, tel l'abbé Guillaume de Tanoüarn - le propre cousin de l'abbé de Cacqueray -, qui depuis son éviction a fondé à Paris le Centre Saint-Paul. S'y retrouvent régulièrement les "remerciés" de la Fraternité : les abbés Héry, Laguérie, Guelfucci, ou encore Aulagnier, qui a été pendant dix-huit ans supérieur du district de France... D'ex-piliers de la Fraternité qu'Yves Amiot tient comme "les plus en faveur d'un rapprochement avec Rome". Y a-t-il un lien avec leur exclusion ? Il en est convaincu.
Du côté des autorités de la Fraternité, on tend à minimiser ces comportements jugés séditieux. "Une affaire limitée, localisée à Paris et à Bordeaux", pour l'abbé de Cacqueray. L'Association Sensus Fidei ? "Un petit mouvement de laïcs pas significatif..." Mais "cette prétention à l'indépendance se trouve en opposition radicale avec l'obligation d'obéissance et de soumission aux autorités de l'église rappelée en particulier par tous les papes d'avant le concile Vatican II", a prévenu l'abbé de Cacqueray... apparemment sans voir le paradoxe d'un tel propos quand on sait la situation de la Fraternité Saint-Pie-X par rapport à Rome.
Tiraillées entre les partisans d'un retour à la pleine communion et ceux qui jugent Rome comme définitivement "protestantisée", les autorités lefebvristes pratiquent un double langage qui pourrait compromettre un éventuel accord. Mgr Fellay lui-même n'est pas le dernier à souffler le chaud et le froid.
Ainsi, le 13 janvier dernier, devant un parterre de journalistes français, il déclarait, satisfait : "Je suis convaincu que nous aboutirons". Mais quelques semaines auparavant, lors d'une conférence donnée à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le ton avait été moins optimiste. Voire agressif. Le successeur de Mgr Lefebvre n'hésitait pas à décrire Benoît XVI comme ayant "une tête malformée par une philosophie moderne, libérale, parfois moderniste, et un cœur conservateur. On a l'impression que le pape ne conçoit pas un catholique qui ne soit imbu de l'esprit de Vatican II. Ça promet !" Rome en prenait aussi pour son grade : "Rome ne nous traite pas comme des gens qui seraient en dehors de l'Eglise. Avec eux, on dialogue. Avec nous, pas de dialogue. Nous sommes les enseignés et Rome l'enseignant".
"L'obéissance n'est pas quelque chose d'absolu. On a le droit de désobéir pour un bien. Comme Mgr Lefebvre l'a fait pour le bien de l'Eglise", abonde Fabienne, maman de sept enfants, Parisienne d'origine désormais installée au Pays basque pour scolariser ses garçons dans l'une des écoles de la Fraternité.
"Au fond, c'est toujours l'orgueil qui conduit à la désobéissance...", déplore pour sa part l'abbé Christian Laffargue. "Les lefebvristes adhèrent au magistère extraordinaire de l'Eglise (les dogmes comme l'Assomption, l'Immaculée Conception...), mais posent des réserves quant à son magistère ordinaire enseigné dans les encycliques ou le Catéchisme de l'église catholique, par exemple, qu'ils n'ont pas accepté."
Un accord sans que les questions théologiques soient réglées ?
Ordonné prêtre à écône, l'abbé Laffargue, 58 ans, a quitté la Fraternité juste après les ordinations de 1988. Il fut l'un des fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre, traditionaliste mais en communion avec Rome (1). Aujourd'hui incardiné dans le diocèse de Belley-Ars, il a gardé de nombreux contacts parmi les lefebvristes. "Finalement, en n'acceptant que partiellement l'enseignement de l'Eglise, en s'opposant perpétuellement au pape, ils procèdent comme les "progressistes" qu'ils honnissent." Coupés de l'autorité du Magistère, ils ont érigé leurs propres critères de discernement. "Je suis attristé de constater que mes confrères ne lisent pas les encycliques des papes", poursuit l'abbé Laffargue. Constatant cette lacune, le district de France de la Fraternité a créé une commission chargée de lire les textes pontificaux afin de leur en fournir un résumé...
L'abbé Laffargue ne voit pas d'accord prochain sans que les questions de fond, théologiques, soient réglées. "Sinon, ce serait comme le retour au pays d'expatriés après dix-huit ans d'absence : ils seraient complètement déphasés, déçus, cherchant à retrouver les gens et les choses "comme avant !"."
Il estime également nécessaire que l'église fasse son aggiornamento concernant les dérives, notamment liturgiques, qui existent toujours. "On ne s'oppose plus frontalement aux papes, on salue respectueusement les documents du Magistère romain, mais sont-ils toujours appliqués ? C'est encore difficile de trouver deux prêtres qui célèbrent la messe de la même façon et, suivant les paroisses, ce n'est pas la même doctrine qui est enseignée. Je ne suis pas sûr que cela donne envie aux lefebvristes de revenir..."
Son espérance ? "Beaucoup de prêtres et de fidèles liés à la Fraternité Saint-Pie-X aiment l'église et désirent une réconciliation. Le pape Benoît XVI leur redonne espoir. Son discours du 23 décembre dernier à la Curie sur "l'esprit du Concile" (2) leur a montré qu'un pape osait dénoncer clairement les dérives. La réconciliation ne se fera pas par un simple accord technique, disciplinaire, mais par le haut. Par une conversion. Tous, nous devons tomber à genoux pour demander pardon."

(1) L'abbé Laffargue a raconté son itinéraire dans Pour l'amour de l'église, publié chez Fayard en 1999.
(2) Pour certains, Vatican II marquerait une rupture dans l'Histoire de l'Église. Benoît XVI, lui, légitime le Concile comme une "réforme", un "renouveau dans la continuité".