1 novembre 2006




Reims, un diocèse passionné de liturgie
1er novembre 2006 - Nicolas Seneze - La Croix - la-croix.com
Reims, un diocèse passionné de liturgie Alors qu'un petit groupe dans ce diocèse revendique le rite tridentin, de réels efforts sont faits, de longue date, pour faire de toute liturgie un lieu de proposition de la foi
Quelques minutes avant le début de la messe des étudiants, dans la grande église encore vide, une petite voix timide s’élève de l’ambon : « Lecture de la seconde lettre… » « Plus fort ! » lance le P. Vincent Di Lizia à la jeune étudiante qui répète la première lecture.
Un grand sourire aux lèvres, le jeune prêtre s’approche et, patiemment, en quelques conseils simples, lui explique comment proclamer le texte. Un moment après, c’est d’une voix beaucoup plus assurée que la jeune fille transmet à la centaine d’étudiants présents les mots de Paul à Timothée.
Prêtre depuis neuf ans dans cette paroisse proche du centre-ville de Reims, le P. Di Lizia est un passionné de liturgie. Au point d’avoir fait de la messe dominicale le centre de la vie de sa paroisse. Même les couples qui se préparent au mariage débutent leur session par la messe du dimanche avec la communauté. Et tous les baptêmes ont lieu pendant la messe, dans le baptistère installé au pied même de l’autel.
Bref, résume ce jeune prêtre, « il y a toujours un geste particulier qui fait que ce n’est jamais la même messe ». « Mais je n’invente rien, prévient-il aussitôt : tout est toujours dans le “Missel romain”. Simplement, la liturgie est très liée à la vie de la communauté. On ne peut pas séparer les deux. »
Une soixantaine de bénévoles pour la messe du dimanche
Résultat : entre les servants d’autel, les lecteurs, les chantres, l’organiste, les quêteurs, les sacristains, les ministres extraordinaires de la communion, les personnes chargées de l’accueil et les couples assurant l’éveil à la foi des enfants et la garderie des tout-petits, ce prêtre, viscéralement attaché à la participation active des fidèles, a recours à une soixantaine de personnes pour mettre en œuvre la liturgie dominicale ! Une liturgie qu’il veut digne, loin de tout spectacle et des errements des années 1970. « Les traditionalistes sont venus une fois dans ma paroisse, mais ils n’ont pas eu de succès et je ne les ai pas revus », sourit le P. Di Lizia.
Car dans le diocèse de Reims, un groupe appelé La Paix liturgique revendique activement une célébration selon le rite tridentin. « Nous représentons 200 à 300 familles sur le diocèse », affirme Marc Billig, un de ses animateurs. « Deux ou trois familles », corrige Mgr Thierry Jordan.
L’archevêque de Reims, s’il reconnaît avoir reçu un abondant courrier, explique que seule une dizaine de lettres motivées provenait réellement du diocèse – «dont la moitié pour que l’on ne change rien !», affirme Mgr Jordan en rappelant que, chaque dimanche matin, une messe est célébrée à la cathédrale en latin et grégorien.
"La messe dominicale n’est pas le seul lieu de la liturgie"
De fait, cela semble suffire aux fidèles du diocèse, chez qui les récentes polémiques autour de l’éventuel retour de la messe tridentine ne semblent avoir que l’écho d’un combat d’arrière-garde, peu en rapport avec la réalité de leurs liturgies dominicales. « La messe dominicale n’est pas le seul lieu de la liturgie », souligne le P. Arnaud Thoury, curé dans le Rethélois. Dans cette vaste zone rurale du sud des Ardennes, les quatre prêtres en charge de 72 clochers ont depuis longtemps confié une partie de la célébration des obsèques à des laïcs. « Il ne s’agit pas de s’en débarrasser, mais de trouver un équilibre, assure le P. Thoury. Car la célébration des obsèques reste un élément essentiel de notre ministère de prêtre. »
Au total, près de 300 laïcs du diocèse de Reims ont ainsi suivi une formation à l’accompagnement des obsèques, et plusieurs dizaines ont reçu une lettre de mission. « Si nous formons des laïcs, c’est pour que la mission de l’Église soit mieux assurée », explique Mgr Jordan, qui s’attendait à recevoir beaucoup de lettres de familles regrettant de ne pas avoir été accompagnées par un prêtre. «En fait, j’ai surtout des lettres de remerciements», s’étonne-t-il presque, frappé par la façon dont les familles se réjouissent de l’attention que l’Église a pris le temps de leur porter lors de ce moment difficile.
Le souci de la beauté dans la liturgie
Développer une telle pastorale suppose un réel effort de formation des laïcs, pour lequel le diocèse s’est investi avec un mot d’ordre : la beauté. « La liturgie est un des lieux de proposition de la foi, il est donc important qu’elle soit belle », insiste le P. Thoury, qui essaie lui aussi, par exemple, de sensibiliser les lecteurs à proclamer la Parole. Le premier critère de la beauté liturgique, selon ce jeune prêtre (étudiant à l’Institut supérieur de liturgie de la Catho de Paris), est d’abord que « la liturgie corresponde à la communauté ». « Cela suppose aussi de la modestie, car la liturgie est un service, note-t-il. Elle n’est ni un one-man-show du prêtre, ni un spectacle de l’assemblée, mais un dialogue pour faire vivre ce service de Dieu et des hommes. »
Même souci de la beauté chez le P. Emmanuel Delétraz, curé dans le vignoble qui borde la Montagne de Reims et responsable diocésain de la musique liturgique. « Les gens qui s’investissent dans la liturgie ont beaucoup de bonne volonté, mais ils s’aperçoivent vite que cela ne suffit pas », constate-t-il.
D’où les formations qu’il anime : «Des choses simples, comme animer les chants de l’assemblée, proclamer la Parole de Dieu, rédiger une prière universelle…» Ainsi, pour les chants, pousse-t-il les animateurs à bien lire leurs paroles au préalable pour s’en imprégner et «prendre conscience de ce que l’on chante» : «On essaie de former à du beau, à chanter du beau», résume-t-il, tout en reconnaissant que la liturgie demeure «un sujet passionnel».
"On prie avec ceux qui sont là"
Autre point d’attention des prêtres de ce diocèse : le lien entre la liturgie et la vie de la communauté. « On prie avec ceux qui sont là », lance le P. Lucien Marguet, curé à Charleville-Mézières. « Cela suppose donc de bien savoir avec qui on célèbre, sous peine de toujours transposer la même liturgie aseptisée, sans couleur ni odeur. Ce serait contraire au principe même de l’incarnation ! », explique ce prêtre, qui veille à ce que les cinq églises de sa paroisse ne vivent pas une liturgie trop uniforme. « En même temps, souligne-t-il, nous invitons les paroissiens à ne pas se refermer sur leur église, en leur montrant que l’Église est d’abord une communauté de croyants. Mais cela n’a rien de révolutionnaire ! », reconnaît-il.
« Comment célébrer le jour du Seigneur, quand l’Eucharistie n’est pas possible à cause du manque de prêtres ? s’interroge le P. Thoury à Rethel, où il sait déjà qu’à moyen terme il ne restera sans doute que deux prêtres pour les 72 paroisses du secteur. Comment préparer nos communautés à vivre le dimanche en lien avec une autre eucharistie célébrée quelque part et sans qu’elles se sentent abandonnées ? »
Une liturgie sans prêtre calquée sur la Liturgie des heures ?
Pour l’instant, au moins une messe est célébrée chaque dimanche dans chacune des « paroisses nouvelles » du diocèse. Mais « on ne peut pas attendre que la question s’impose à nous pour y réfléchir », convient Mgr Jordan, qui ne veut cependant pas aller trop vite vers des solutions trop simples : « Nous n’avons pas le droit de repenser la question du ministère du prêtre sans d’abord réfléchir à nos pratiques pastorales », estime l’archevêque de Reims. « Faut-il envisager l’eucharistie seulement sous l’angle de la communion ? », s’interroge alors le P. Thoury, pour qui le problème des Adap (assemblées dominicales en l’absence de prêtre) est justement d’être trop bâties sur la liturgie eucharistique : « On pourrait imaginer des liturgies sans prêtre qui soient plutôt calquées sur la Liturgie des Heures », avance-t-il.
Cette idée, à laquelle réfléchit le Service national de pastorale liturgique, semble plutôt réservée à un public trié sur le volet, habitué à des publications comme Magnificat ou Prières des jours. « Cela reste pour l’instant au stade du désir, reconnaît le P. Thoury. Mais c’est le défi des dix années à venir. »
Nicolas SENEZE