15 novembre 2007





Motu Proprio (suite) : quel «signe» de communion ?
Novembre 2007 - Abbé Christophe Héry - Le Mascaret
Chroniques Inactuelles Motu Proprio (suite) : quel «signe» de communion ?
Dans sa lettre d’accompagnement, le pape Benoît XVI dissipe deux objections somme toute assez banales contre le motu proprio Summorum Pontificum.
La banalité d’une objection mérite parfois qu’on s’y arrête, tant elle est tenace. C’est ce que fait avec patience la lettre du saint Père accompagnant le Motu Proprio Summorum Pontificum du 07/07/2007. Elle se distingue évidemment de celui-ci : seul le Motu proprio fait loi, tandis que la lettre destinée aux évêques n’est revêtue d’aucune portée législative. Dans son ordre pourtant, celui de la parole autorisée et paternelle du pape, elle garde toute son importance : il s’agit d’une réponse anticipée du Saint Père aux principales objections qu’il prévoyait chez les évêques, prévenant les normes particulières et locales que ceux-ci seraient tentés d’imaginer pour retarder le nouveau Droit liturgique désormais en vigueur.
Revenons sur ce document historique promulgué au début de l’été (le 7/07/2007, fête du Précieux Sang), si attendu par les uns et tant redouté des autres. Le pape lui même, dans sa lettre d’accompagnement adressée aux évêques du monde entier, souligne la longue maturation et les difficultés de ce projet de loi particulièrement sensible qui a subi toutes les craintes et les oppositions avant même que son contenu soit révélé. Certaines réaction ont manifesté l’hostilité sous-jacente, parfois idéologique, qui se déchaîne contre la liturgie traditionnelle – pourtant « jamais abrogée », a tranché le pape – dans les conseil presbytéraux.
Prétendre confondre les deux textes, ou tirer de cette lettre des conditions restrictives à l’application du Motu proprio qu’elle accompagne relève d’un malentendu, savamment entretenu par ceux qui voudraient ajouter leur loi à la loi de l’Église universelle. Certaines interventions collégiales ou isolées, visant à refuser les demandes des fidèles ou à restreindre la liberté de la messe traditionnelle que peut accorder aux fidèles tous les curés, constituent un abus que le secrétaire de la Congrégation des rites – Mgr Ranjith – a fustigé récemment dans un entretien sévère dont ce Mascaret publie l’essentiel. On attend d’ailleurs un texte d’application du Motu Proprio, actuellement en préparation à Rome, pour dissiper ces malentendus.
La messe de Paul VI, drapeau de la rupture et des acquis du Concile contre la Tradition ?
Le Pape Benoît XVI, qu’on ne remerciera jamais assez pour la netteté de ce Motu Proprio, écarte dans sa lettre deux objections principales, celles-là mêmes qui motivaient dans les années 1970 l’interdiction illégitime condamnant la messe dite de Saint Pie V.
La première objection concerne le concile, et plus précisément « la crainte d’amenuiser ainsi l’autorité du Concile Vatican II ». Le pape réplique tout d’abord que la liturgie de 1962 dont il rétablit pleinement le droit fut celle en usage durant tout le concile. Quarante ans ont passé depuis : il ne s’agit plus de brandir Vatican II comme un drapeau rouge interdisant la messe traditionnelle mais de laisser enfin, sans conditions, la liberté.
Cependant, la crainte persiste dans les conseils presbytéraux, emblématiques du conditionnement par lequel Paul VI interdit abusivement cet usage en 1976. À Jean Guitton, qui le suppliait alors de pas supprimer l’ancien Missel, le pape Montini justifia ainsi la prohibition qui produisit la crise : « Cela, jamais ! […] Cette messe dite de saint Pie V, en réalité faite par Grégoire le Grand et révisée par Jean XXIII, comme on la voit à Écône, devient un symbole de la condamnation du concile. Or, je n’accepterai en aucune circonstance que l’on condamne le concile par un symbole. Si cette exception était acceptée, le concile entier serait ébranlé. Et par voie de conséquence l’autorité apostolique du concile » (JEAN GUITTON, Paul VI secret, éd. Desclée De Brouwer, 1979, p. 158-159).
En 2007, il semblerait que certains prélats héritiers de l’époque Paul VI n’aient pris la mesure ni des ruptures dramatiques consécutives à la prohibition qui fit table rase du passé, ni du changement intervenu depuis 30 ans. Ils persistent à faire de cette prohibition liturgique le drapeau de la rupture et des acquis d’une « Église du Concile », comme si ces acquis leur paraissaient fragiles et comme s’ils craignaient le retour à la continuité et la réconciliation.
L’absence de clauses concernant l’acceptation du Concile dans le nouveau Motu proprio les inquiète car ils voudraient pouvoir continuer d’exclure les demandes de chapelles ou de paroisses traditionnelles au nom de Vatican II, comme le Motu Proprio Ecclesia Dei (juillet 1988) le permettait. D’autres évêques, comme celui d’Avignon, refusent ces demandes des fidèles au motif qu’ils appliquent déjà le Motu proprio Ecclesia Dei dans leur diocèse. Ignorant donc le Droit établi par Benoît XVI, qui ouvre enfin les églises paroissiales à l’usage traditionnel, ces évêques ont bloqué leur montre en 1988.
Or depuis vingt ans, le problème de l’acceptation du Concile s’est déplacé dans un débat d’interprétation, au sein de l’Église. Nul ne peut l’ignorer depuis le discours fondamental du pape du 22 septembre 2005. Depuis cette date, Vatican II ne peut plus décemment être invoqué comme motif de refus de la Tradition et de la liturgie tridentine, à moins de s’écarter de Rome. Une telle herméneutique de la rupture a vécu. De même, il n’est plus possible de présenter le caractère contraignant du Concile comme s’il s’agissait d’un super-dogme, intégralement revêtu d’infaillibilité. Vatican II est objet de réception, non d’obéissance inconditionnelle dans la foi (mis à part cinq définitions classiques et sans rupture avec la Tradition). Selon le Saint Père, la « réception authentique » est en cours (le document de la Congrégation de la Foi du 9 juillet 2007 sur l’Église en marque une étape importante), et n’a pas encore eu lieu.
Un seul rite, deux usages
Le préjugé « âgiste » qui tenaille encore de nombreux évêques, parmi les plus anciens, conduit parfois à considérer les aficionados de la Messe traditionnelle comme remplissant les maisons de retraite et bientôt les cimetières. Faisant écho à des rapports statistiques récents, le pape réplique que de nombreux jeunes n’ayant jamais connu cet usage (et pour cause) y puisent leur manne spirituelle et « découvrent cette forme liturgique ». « Trente ans après, commente le CARDINAL RICARD, le pape constate qu’il y a une demande insistante, même si elle est minoritaire, qui est formulée par des familles et qui trouve un écho chez des enfants et des jeunes. D’où sa volonté de répondre à cette demande. » Ce Motu proprio se veut donc tourné vers l’avenir.
Une seconde objection (aussi récurrente et banale) se trouve écartée par le pape. La célébration du missel de 1969 tient lieu pour certains de signe majeur et impératif requis pour la pleine communion avec l’évêque local. Survit en effet cette génération qui demande des signes – des signes supplémentaires de communion, comme si la pleine communion avec Rome ne suffisait pas… Nous avons exposé dans le précédent Mascaret la mise au point du pape Benoît XVI : la célébration de la messe de Paul VI n’est nulle part exigée par le pape dans le Motu proprio du 2 juillet 2007, seul texte législatif. La communion avec l’évêque local ne peut être brandie comme un prétexte d’exclusion, puisque les uns et les autres célèbrent le même et unique Rite romain ; seul diffère l’usage, qui de droit est désormais reconnu libre, telle l’option choisie statutairement par les membres d’un Institut spécialisé comme le Bon Pasteur. Cette liberté d’usage de la liturgie de 1962, loin de desservir l’unité, la promeut au contraire ; le pape en fait aux pasteurs une « obligation : faire tous nos efforts pour que ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité [comme le Bon Pasteur] ou de la retrouver à nouveau [comme d’autres]. »
Le pape pousse alors l’objection : cette cohabitation libre de deux usages du rite dans un même diocèse présente-t-elle un risque de fracture ? « Cette crainte ne me paraît pas non plus réellement fondée », répond-il aussitôt ; « Les deux formes d’usage du rite romain pourront s’enrichir réciproquement » : « dans l’ancien missel, de nouveaux saints et de nouvelles préfaces » seront insérés ; conjointement, la célébration selon le nouveau missel pourra manifester davantage la « sacralité » qui inspire l’ancien, et qui demande d’être mieux « manifestée ».
Pourquoi préférer la « valeur » de la liturgie traditionnelle ?
Que signifie alors cette précision importante adressée par le Saint Père aux prêtres qui célèbrent la messe traditionnelle : « Ne pas exclure par principe la célébration des nouveaux livres » ? De même, le pape demande, non point la célébration de fait, mais du moins « la reconnaissance de la valeur et de la sainteté du missel de Paul VI », pour ce qu’elles sont. Le pape n’interdit pas de préférer l’ancienne messe, loin de là, mais de reconnaître la nouvelle à sa juste valeur de sainteté. Une telle évaluation doit se faire à la lumière de la « Tradition apostolique » et de la « foi intègre », dont le principe est rappelé en tête du Motu Proprio. « Valeur » est d’ailleurs un terme large, auquel se rapporte étymologiquement le terme plus précis de « validité ». L’enjeu de la pleine communion découle évidemment d’une telle reconnaissance, puisqu’il s’agit rien moins que du principe de sainteté du Saint Sacrement, corrélatif à la validité de l’Eucharistie, et à la validité de la promulgation du missel de Paul VI. Mgr Lefebvre lui-même n’a jamais remis en cause ce principe de validité de l’un et de l’autre. Est invalide et illégitime, dans la réforme liturgique, la suppression du missel de Jean XXIII – ce Motu proprio de Benoît XVI et sa lettre d’accompagnement ont tranché définitivement cette question.
À la lumière de la Tradition intègre, et laissant de côté la question des traductions successives, nous pouvons et devons magnifier en effet dans le missel latin de Paul VI, non seulement ce qui subsiste de l’ancienne tradition ou de son esprit, comme la lecture de l’Écriture, le chant des Psaumes, le Credo romain, les emprunts au canon romain, telle nouvelle préface, telle fête de nouveau saint, etc… mais aussi et surtout la Présence réelle du corps et du sang du Christ sous les Saintes Espèces, le Saint Sacrifice actualisé efficacement par les paroles consécratoires du prêtre conformes aux intentions de toute l’Église.
Pour le reste, le pape ne demande ni aux uns ni aux autres de reconnaître l’égale valeur ou l’interchangeabilité des deux missels. Il laisse libre et ouverte la légitime préférence de sensibilité ou même de doctrine relatif à l’usage de l’ancien missel. La condition de la communion n’est pas le « silence sur l’essentiel », comme disait Jean Guitton, car « le silence finit toujours par se venger » ! Le climat de sérénité du Motu Proprio requiert, sans esprit de revanche, de ne préjuger en rien des intentions personnelles des uns et des autres, mais que le dialogue et la discussion soient possible dans un espace sans polémique.
Nous l’avons vu, il n’est pas question de refuser l’usage liturgique nouveau parce qu’il serait invalide ou que le Saint Sacrement y serait moins saint ! Mais alors, sommes-nous attachés à l’usage exclusivement traditionnel du rite seulement par nos statuts ? Et si nous avons demandé au saint Siège d’approuver nos statuts, est-ce pour des raisons de sensibilité liturgique, ou pour des raisons doctrinales ? Certains en effet se disent attachés à la liturgie traditionnelle pour des raisons de « pure sensibilité » – c’était la condition restrictive établie par le Motu Proprio Ecclesia Dei pour leur accorder l’indult (ce Motu Proprio est aujourd’hui caduque). Symétriquement, d’autres refusent cet argument de la sensibilité, et affirment qu’ils défendent la liturgie de 1962 pour des raisons purement doctrinales. Mais cette dialectique n’est-elle pas erronée et stérile, dissociant deux aspects essentiellement conjoints des Saints Mystères ?
Je répondrais que notre préférence, inscrite dans les statuts du Bon Pasteur de façon exclusive, s’inscrit à rebours d’une telle dialectique. Notre préférence est théologique et fondée d’abord sur une raison de sensibilité, au sens où la doctrine de la foi catholique dans le domaine liturgique est une théologie de la sensibilité. L’Eucharistie, comme tout sacrement de l’Église, est en effet un signe sensible, qui produit efficacement la réalité surnaturelle et la grâce signifiées (cf. Catéchisme de l’église catholique).
Autrement dit, la liturgie relève d’une théologie du « signe sensible » et, par conséquent, doctrine et sensibilité ont ici partie liée : dissocier l’une de l’autre présente un haut risque, celui de dissocier le « signifiant » du « signifié », et de nier la liturgie dans son essence, qui est de manifester pleinement les mystères rendus présents et de répandre efficacement la grâce des mystères signifiés. Notre préférence pour le missel traditionnel est donc bien théologiquement une affaire de sensibilité, de manifestation visible, audible, olfactive (pas seulement à cause de l’encens) et tactile du mystère du Sacrifice, car la liturgie manifeste et célèbre le Christ souffrant, mourant en croix, ressuscitant et montant aux Cieux à la louange de la gloire du Père, pour que, associés à ces saints mystères, nous recevions surabondamment sa miséricorde, la grâce du rachat de nos péchés et la joie de notre salut.
Abbé Christophe Héry