5 septembre 2008

Mgr Vingt-Trois : «L'Église de France vit une transition »
05/09/2008 - Jean-Marie Guénois - lefigaro.fr
Mgr Vingt-Trois : «L'Église de France vit une transition »  À une semaine de la visite de Benoît XVI en France, l'archevêque de Paris revient sur les principaux enjeux de ce voyage.

LE FIGARO. Le Pape redoute-t-il ce voyage en France ? Entre l'Église de France et lui notamment quand il fut préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi le climat était plutôt marqué par la défiance.
Mgr André Vingt-Trois. Il connaît très bien la France et prend ce voyage au sérieux. De la même façon qu'il a pris au sérieux ses déplacements aux États-Unis et en Australie. Il n'est pas plus préoccupé par la France qu'il ne l'était par les États-Unis, où la partie n'était pas gagnée. L'enjeu est bien dans cette rencontre réelle du Pape avec les catholiques français. Beaucoup ont en effet une image caricaturale de Benoît XVI.
Il arrive au terme de neuf mois, marqués, à la suite du discours du Latran, par une résurgence du débat sur la laïcité. Va-t-il revenir sur ce thème ?
Je ne suis pas sûr que cette question de la laïcité ait aujourd'hui toute l'importance que vous lui accordez. Il y a eu quelques déclarations un peu froides sur la visite du Pape mais on ne peut pas appeler cela un combat de laïcité.
Le discours de Nicolas Sarkozy au Latran a tout de même embarrassé une partie de l'Église de France…
Je n'ai pas été du tout gêné par ce que le président a dit, au contraire. Et je parle ici en tant que président de la Conférence des évêques. Le discours du Latran comme le discours de Riyad s'inscrivent dans le contexte de la réflexion du président de la République qui n'est pas une découverte puisqu'il l'avait publiée trois ans avant. L'événement novateur est qu'il expose cette conviction dans sa fonction de président de la République. Il y a deux interprétations possibles. Pour les uns, ses propos relèvent d'une stratégie politique, à la façon  pour le dire de manière caricaturale  de Bonaparte en 1802 qui instrumentalisait la religion pour progresser dans la société française. Pour d'autres, c'est un registre philosophique : il considère qu'une société démocratique ne peut pas exister sans référence transcendante. Ce que Régis Debray avait dit, il y a quinze ans. Personnellement, je penche pour la deuxième interprétation. Certes les discours du président Sarkozy ne sont pas indemnes de calcul politique mais, à ce que je sais, ils correspondent à des convictions personnelles.
L'Église catholique n'a pas encore répondu à ces discours, Benoît XVI va-t-il le faire ?
Ces discours étaient d'abord adressés à la société et non à l'Église. Nous n'avons pas d'autre réponse à faire que d'enregistrer avec satisfaction que l'on peut être chrétien et citoyen sans être obligés de dissimuler son appartenance chrétienne. Pas plus d'ailleurs que son appartenance juive ou musulmane.
À propos des musulmans, le Pape arrive en France en plein ramadan, et deux ans, jour pour jour après l'affaire de Ratisbonne et son discours qui enflamma le monde musulman. Dans un pays où la communauté musulmane est importante va-t-il évoquer le thème de l'islam ?
Je n'ai pas discuté de cela avec le Pape, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en dira rien. Ce qui est prévu est une rencontre avec les représentants de la communauté musulmane aux Bernardins. Eux s'en réjouissent et moi aussi.
N'y a-t- il y a pourtant une différence de traitement ? Le Pape reçoit à part, à la nonciature, les représentants de la communauté juive, et les musulmans, avec les autres religions, au Collège des Bernardins.
Cette différence de traitement est incontournable. Elle est liée au fait que la rencontre des Bernardins aura lieu, vendredi prochain en fin d'après-midi, et que le shabbat commence à ce moment-là.
Pourquoi attachez-vous une telle importance à cette rencontre du Collège des Bernardins où le Pape va s'adresser à 700 représentants du monde de la culture ?
Ce rendez-vous offre une représentation symbolique du christianisme dans la société. Les chrétiens, les catholiques, sont quotidiennement immergés dans un milieu social et humain qui est traversé par des croyances différentes et par les non-croyances. Il faut vivre avec et deux attitudes sont possibles : se retrancher derrière un pont-levis ou aller à la rencontre des autres convictions et de leurs projets à l'égard de la société. J'ai donc proposé au Pape qu'il nous donne, par sa présence et son discours, l'exemple même de cette capacité chrétienne de rencontre et de dialogue. Ce qui est l'intention même du projet des Bernardins.
Vous n'avez jamais caché vos doutes sur la situation de l'Église de France. Sur quels points pastoraux le Pape devrait-il insister ?
La mentalité et le moral de l'Église de France après le pontificat de Jean-Paul II n'ont rien à voir avec le temps de ses débuts. Ce quart de siècle n'est pas une dégénérescence. Il suffit de se souvenir de l'ambiance autour du premier voyage de Jean-Paul II en 1980… En 28 ans l'état de l'Église de France n'a pas empiré ! Elle n'est pas devenue un cimetière de décombres… Nous traversons certes une période difficile depuis les années 1970 et j'attends du Pape qu'il nous encourage à affronter cette situation avec espérance et confiance. En sachant que nous devons, nous, affiner notre capacité à formuler des objectifs et à assumer un deuil.
Un deuil ?
Nous quittons une structure ecclésiale du XIXe siècle et cela ne va pas sans souffrances. Les villageois qui avaient l'expérience d'une église pleine tous les dimanches et qui ont aujourd'hui une messe tous les deux mois dans une église aux trois quarts vide, le savent. Cela ne veut pas dire que l'Église est morte, elle vit une transition.
Et les objectifs ?
Intensifier tout d'abord l'expérience spirituelle. Les chrétiens ne peuvent pas assumer les enjeux et les conflits de la vie de notre société s'ils ne sont pas profondément enracinés spirituellement. Que notre Église, ensuite, soit motivée pour témoigner de l'espérance. Elle doit dire que l'humanité n'est pas enfermée dans une fatalité, économique, écologique, politique. Enfin, troisième objectif, il nous faut renouveler une prédication de l'appel pour la vie sacerdotale et religieuse mais aussi pour l'engagement apostolique de tout chrétien.
Il y aura un an, le 14 septembre, un motu proprio, décidé par le Pape pour normaliser l'usage de l'ancien missel de la messe en latin, entrait en vigueur. Le Pape va-t-il revenir sur ce thème qui n'est pas digéré en France ?
Avec ce motu proprio l'intention du Pape était de travailler à l'unité de l'Église. Il refuse qu'une situation historique de fracture se fossilise. Sa mise en œuvre pratique n'est pas facile mais, depuis un an, pour un certain nombre de situations, le climat s'est amélioré, même s'il s'est exacerbé pour d'autres. Tout cela demandera du temps : on ne digère pas trente ans d'histoire en douze mois. Je ne sais pas si le Pape va en parler, je sais seulement que le signe le plus explicite sur le sujet va être le fait de concélébrer avec les évêques de France, en communion dans une même liturgie.