5 décembre 2011

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX] La société peut-elle vivre sans la vérité? - La doctrine de la liberté religieuse à Vatican II

SOURCE  - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX - décembre 2011

Un point qui frappe dans la Déclaration sur la liberté religieuse est la dissociation effectuée entre la liberté et la vérité dans la société humaine. Dignitatis Humanæ fait comme si on pouvait reconnaître un « droit à la liberté religieuse dans l’ordre social et civil » de façon absolument indépendante de la vérité sur laquelle tant la personne humaine que la société sont appelées à se prononcer en raison même de cette liberté.

Le 6 décembre 1953, douze ans avant le vote de Dignitatis Humanæ (7 décembre 1965), le pape Pie XII avait proposé un exposé fouillé et nuancé de la doctrine traditionnelle concernant le statut juridique, dans l’ordre social et civil, des personnes et des communautés en matière religieuse (Documents pontificaux 1953, pp. 610-619). Or ce document magistériel se trouve, sur ce point crucial de la relation entre liberté et vérité, en contradiction avec la Déclaration sur la liberté religieuse.
Le « devoir de tolérance » selon Pie XII
Ce discours est pourtant fort loin d’être déconnecté de la réalité d’une société multiculturelle et multireligieuse. Au contraire : le pape réfléchit de façon très précise à ces questions complexes, ce qui l’amène à envisager une tolérance extrêmement large des erreurs religieuses, cette tolérance pouvant même devenir en certains cas une obligation stricte. Il admet explicitement que, dans la société humaine, toutes les erreurs ne doivent pas être réprimées, toutes les fautes ne doivent pas être sanctionnées. Pie XII affirme, en effet : « Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Dieu ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. (…) L’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale, ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. (…) Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien. (…) Le fait de ne pas empêcher [l’erreur religieuse] par le moyen de lois d’État et de dispositions coercitives peut (…) se justifier dans l’intérêt d’un bien supérieur et plus vaste » (pp. 615-616).
L’impossibilité absolue de reconnaître un « droit à l’erreur »
Mais le même Pie XII prend grand soin de souligner que, même dans l’ordre social et civil, le rapport à la vérité ne peut jamais être omis, esquivé ou renvoyé à la pure conscience interne de la personne humaine, comme le fait Dignitatis Humanæ 1 § 2. Or, c’est précisément ce rapport de l’ordre social et civil avec la vérité religieuse qu’efface la Déclaration sur la liberté religieuse.

« Touchant l’attitude, affirme Pie XII, que le juriste, l’homme politique et l’État souverain catholique doivent prendre à l’égard d’une formule de tolérance religieuse et morale, [il faut affirmer] : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action » (p. 616). Le Souverain Pontife précise, en effet : « Il faut affirmer clairement qu’aucune autorité humaine, aucun État, aucune Communauté d’États, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse et au bien moral. Un mandat ou une autorisation de ce genre n’auraient pas force obligatoire et resteraient inefficaces. Aucune autorité ne pourrait les donner parce qu’il est contre-nature d’obliger l’esprit et la volonté de l’homme à l’erreur et au mal, ou de considérer l’un et l’autre comme indifférents. Même Dieu ne pourrait donner un tel mandat positif ou une telle autorisation positive, parce que cela serait en contradiction avec son absolue véridicité et sainteté » (p. 614).