15 février 2009





Les « tradis » sont-ils solubles dans l'Église ?
15 février 2009 - Matthieu Millecamps - nordeclair.fr
Les catholiques, pratiquants ou non, s'interrogent face à la polémique née de la levée de l'excommunication des évêques « Lefebvriste » et devant les propos négationnistes de Williamson.

Samedi soir, en l'église Notre-Dame-de-Lourdes, à Lomme, la liturgie catholique avait revêtu ses plus beaux atours. Envolées d'orgues, cérémonial étudié, longues prières et lectures de textes, le tout devant une église bourrée à craquer de fidèles attentifs. Ce n'est pas tous les jours qu'un jeune diacre est ordonné. Et pour l'ordination diaconale de Bruno Becker, c'est Mgr Delannoy, auxiliaire de l'Archevêque de Lille, qui a officié, coiffé de la tiare dans les moments cruciaux. C'est un texte de saint Paul qui ouvre la cérémonie. Un texte dans lequel les croyants sont enjoints à l'ouverture à l'autre : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les juifs, ni pour les païens, ni pour l'Église de Dieu. Faites comme moi : en toutes circonstances je tâche de m'adapter à tout le monde ; je ne cherche pas mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu'ils soient sauvés. » Un choix innocent ?
« Quand j'ai entendu que Benoît XVI avait levé l'excommunication des quatre "évêques" intégristes, franchement, je ne l'ai pas admis », lâche Isabelle, 44 ans, qui se dit « catholique, mais de plus en plus en recul par rapport à l'Église. » Pour elle, qui dit, « prendre ses distances », la « main tendue » aux traditionalistes passe mal.
« J'ai été choquée »
C'est aussi le cas pour Michèle. À 60 ans, cette militante historique de l'action catholique ouvrière a fait marcher son réseau de militant dès qu'elle a eu vent de la nouvelle. « J'ai été choquée. J'ai prévenu tous les croyants que je connais, je voulais comprendre ». Et puis, elle est tombée sur les propos de Williamson, niant la Shoah. « Là c'était trop. Je comprends qu'il faut ouvrir le dialogue avec certains des intégristes, mais s'ils ne sont pas capables d'accepter Vatican II et de retirer ce genre de propos, alors qu'ils restent dehors... », vitupère la petite dame. Et si elle reconnaît au pape le droit de tenter de réintégrer dans le sein de l'Église les intégristes, elle s'interroge aussi sur « la prise en compte, aussi, de la théologie de la Libération, et puis, aussi, on doit alors parler de la réintégration de Mgr Gaillot ! ».
La cigarette au bec, Lucas, 21 ans, n'a suivi la polémique que de loin. « Les "Lefebvristes", c'est loin de ma manière de concevoir la religion. Je ne sais pas vraiment ce qu'ils représentent en réalité », glisse le jeune homme, qui se dit « catholique plutôt pratiquant » . Lui craint que « l'image de l'Église catholique en prenne encore un coup avec cette histoire ».
« Je ne le comprends pas »
Martin, 22 ans, et plus catégorique. Catholique pratiquant, lui aussi, et engagé dans un mouvement de jeunes cathos, il s'emporte dès que l'on aborde le sujet. « Lever l'excommunication, c'est absurde, ça m'énerve », lance-t-il. « Les valeurs de ces gens-là ne sont pas les miennes », martèle-t-il, avant de tourner sa colère sur Benoît XVI. « Je ne le comprends pas. Il vit déjà dans un autre temps, et là, il veut accepter les intégristes dans l'Église... » Il lève les yeux au ciel, comme lassé. « Pour moi, il y a ma foi, et l'Église. J'ai toujours la foi, mais j'ai parfois du mal avec ce qui se passe dans l'Église, comme l'opposition à l'avortement, la contraception...Il est temps que l'on évolue, dans le bon sens ! ».

Gérard Coliche : « S'ils restent dehors, c'est qu'ils le veulent » Vicaire épiscopal en charge de l'apostolat des laïcs, Gérard Coliche, « communicant » de l'Archevêché de Lille, est la « voix de l'Église » dans la région. Il émet des doutes sur le rapprochement avec la Fraternité Saint Pie X. «Ça a été une erreur de communication », avance, prudent, le père Gérard Coliche. « L'annonce de la levée de l'excommunication a été faite sans même que les évêques ne soient mis au courant... Nous avons tous été interloqués ». Quant à la polémique née des propos négationnistes de Williamson, Gérard Coliche s'en attriste. « Il y aura toujours ce type d'irréductibles... Mais comparés à la richesse de la vie de l'Église, ils ne représentent rien ». Par contre, il dit comprendre la volonté du Pape de « tendre la main » aux Lefebvristes. De la réintroduction possible du latin dans les cérémonies à différents textes sur la liturgie, Gérard Coliche estime que « Benoît XVI a posé des actes qui montreront que les points sur lesquels les intégristes fondent leur opposition perdront toute valeur. On saura alors que, s'ils restent en dehors de l'Église, c'est qu'ils le veulent » . Mais lorsqu'on lui demande si la volonté de réintégrer les intégristes suppose un changement d'optique à l'intérieur même de l'Église, il affirme qu'il en est hors de question. « Certains le voudraient peut-être... Mais faire tomber l'excommunication, cela rend la discussion possible. Mais il est impensable que le Pape et l'Église reviennent sur le Concile ». Ainsi, sur les débats de fond, Gérard Coliche rappelle que l'oecuménisme est pour l'Église catholique « la volonté de rencontrer nos frères chrétiens protestants, orthodoxes, de chercher ensemble à se reconnaître frères devant le Seigneur ». Quant à la liberté religieuse, remise en cause par les traditionalistes, « elle suppose que fondamentalement, le repère final, pour une personne, est sa propre conscience. En tant que croyant, on doit s'informer sur ce que dit l'Église. Mais chaque personne est libre, dans sa conscience, des choix qu'elle fait pour elle-même ».  M.M.