30 mars 2003

Le concept de tradition; sa place dans l'Église; Campos
Interview de Mgr Fellay lors du Colloque sur saint Pie X tenu à Paris le 30 mars 2003 - www.fsspx.org
Ab. Lorans: Imaginons, Monseigneur, que vous ayez la possibilité de restaurer la Tradition dans l’Église, est-ce que vous envisagez cette restauration comme un retour en arrière, est-ce que la Fraternité fonctionne comme une machine à remonter dans le temps?
Mgr Fellay: On nous fait parfois le reproche: "Vous trouvez que tout était merveilleux auparavant, avant le concile c’était l’âge d’or. Mais, en fait, vous êtes des fossiles!" C’est ce que disait un cardinal à notre sujet. Sur la demande d’un évêque qui voulait rejoindre la Tradition et qui demandait à ce cardinal: "Que penseriez-vous si j’allais voir la Fraternité St-Pie X?" "Ne faites surtout pas cela, ce sont des fossiles!"
Cela nous fait penser au cardinal Ratzinger qui, plusieurs fois, se pose de bonnes questions sur la situation catastrophique qu’il reconnaît. Mais lorsqu’il en arrive aux remèdes, sa conclusion est: surtout pas de retour en arrière. En fait, sa pensée repose sur un faux principe. Lorsque Mgr Lefebvre lui disait: "Dignitatis humanæ contredit Quanta cura", il répondit: "Mais Monseigneur, nous ne sommes plus au temps de Quanta cura!" et Monseigneur de conclure: "S’il en est ainsi, j’attendrai demain".
Nous pouvons leur dire aujourd’hui: Vatican II est dépassé, il n’est plus d’actualité, il n’est plus moderne, nous sommes déjà à l’époque "post-moderne".
Il ne s’agit donc pas pour nous de revenir en arrière, de revenir à une période révolue de l’histoire. Comme le disait si bien St Pie X: la civilisation chrétienne n’est plus à inventer, elle a déjà existé. Il ne s’agit pas de vouloir revivre une époque historique; notre volonté par contre est de rappeler et d’appliquer les principes éternels; ils contiennent en puissance toutes les solutions aux problèmes actuels.

Ab. Lorans: Dans votre dernière Lettre aux amis et bienfaiteurs, vous revenez sur une expression que vous avez déjà employée, vous dites que ce n’est pas vous qui représentez la Tradition, ce n’est pas VOTRE Tradition que vous défendez, mais "il faut que Rome revienne à SA Tradition". Qu’entendez-vous par ce possessif?
Mgr Fellay: Nous entendons par là que c’est l’Église qui possède la Tradition ou qui devrait la posséder. Nous pouvons dire que nous sommes l’Église à la condition de ne pas être exclusifs; l’Église est évidemment plus grande que nous. Mais du fait que nous adhérons à l’Église, nous en faisons partie. L’adhésion à la Tradition de l’Église, c’est justement ce qu’on appelle la Tradition. C’est le bien commun de toute l’Église qui, par un mystère insondable repose presque, je dis bien presque, exclusivement dans nos mains. Ce n’est pas nous qui l’avons cherché; nous sommes restés fidèles à ce que l’Église a toujours enseigné, les autres l’ont abandonné. Mais les trésors de l’Église ne sont pas devenus pour autant nos trésors à nous; c’est le grand trésor de l’Église, c’est pour cela que je dis SA Tradition. Nous ne voulons pas nous imposer à l’Église, c’est l’Église qui doit reprendre son bien propre, son bien commun, toutes ses vérités de foi, le sacerdoce, la messe.
Pour l’instant, on a l’impression que c’est notre histoire; cette expression " la Tradition" est liée à un contexte, celui de nos relations avec Rome où on nous dit aujourd’hui: "Vous avez un charisme propre qui est celui de la Tradition". Nous refusons cette expression car il n’est pas vrai que c’est notre charisme propre, c’est le charisme commun de l’Église. Cette messe n’est pas que la nôtre, c’est la messe de l’Église. L’ensemble du monde catholique a le droit d’en bénéficier.

Ab. Lorans: Il y a deux ans, Monseigneur, vous demandiez à Rome ce droit à la messe. C’est donc dans cette perspective que vous considérez que la messe n’est pas le patrimoine de la Fraternité, qu’elle n’est pas notre chasse gardée, c’est dans cet esprit-là que vous demandez, que vous suppliez que l’on donne à tout prêtre cette faculté de dire la messe?
Mgr Fellay:
Tout à fait. Il est impressionnant de voir combien de prêtres et aussi de laïcs nous sont reconnaissants de cette demande. Il y a dans toute l’Église une soif de la Tradition; elle est souvent mal exprimée, mais elle est réelle. On la rencontre partout et parfois dans des lieux surprenants. Un missionnaire en Amazonie m’a raconté ceci: il disait la nouvelle messe jusque là et un jour les anciens lui disent: "Ne dis pas cette messe-là, dis l’autre parce que là il y a le mystère". Tout était dit. Ou encore cette dame à Singapour à laquelle Mgr Manat demandait: "Mais quelle est la différence entre les deux messes?" et cette jeune dame, après quelques instants de réflexion, répond en un mot: la sainteté. Ou encore ce prêtre au Kenya qui n’avait jamais vu l’ancienne messe et qui, s’approchant de moi, me dit: "Je suis vicaire à la cathédrale, les gens me disent:
- Pourquoi ne dites-vous plus la messe comme avant? Redites donc la messe comme autrefois.
- Je voudrais bien, mais je ne la connais point.
Si donc vous ouvrez une chapelle ici, vous viderez la cathédrale."
Actuellement ils sont deux jeunes prêtres dont l’un n’a jamais vu la vraie messe, l’autre me l’a vu célébrer une fois. Et ces deux prêtres se sont transformés en apôtres de l’ancienne messe, ce qui a provoqué des remous dans le diocèse.
Ce ne sont là que quelques exemples, mais je pourrais continuer et vous faire un descriptif de ce qui se passe dans le monde, vous montrer combien il y a une souffrance, une attente dans le peuple chrétien, chez les fidèles comme chez les prêtres. Certes, la messe n’est pas tout, mais elle peut cristalliser tout le reste autour d’elle. C’est ce que nous recherchons en demandant ce droit à la messe pour tout prêtre: que l’Église ait pitié d’elle-même, qu’elle déchire cette chape de plomb qu’elle s’est laissé imposer au moment du concile et qui la fait souffrir terriblement. Nous sommes persuadés que cette liberté de la messe – un acte juridique à poser pour montrer qu’un droit a été lésé, que prétendre à l’interdiction de cette messe est une injustice grave – cette liberté de la messe ouvrirait des écluses de grâces. Voilà la raison profonde de notre demande.

Ab. Lorans: Où en êtes-vous dans vos relations avec Rome?
Mgr Fellay: Considérons plusieurs points. Tout d’abord, qu’en est-il de la permission ou de la licéité des messes de la Fraternité St Pie X? Vous avez sans doute entendu parler de cet article publié par la Fraternité St-Pierre, corroboré par une lettre de Mgr Perl qui disait en avril 2002 que c’était un péché que d’aller aux messes de la Fraternité St-Pie X, qu’il était strictement interdit d’y assister, et ce dans quelques circonstances que ce soit. Le 27 septembre de la même année, le même Mgr Perl écrit l’inverse dans une lettre adressée à un particulier; sur la demande de la commission Ecclesia Dei, cette lettre a été rendue publique par Una Voce America. Elle évoque trois questions:
1. Est-ce que je remplis mon devoir dominical en allant à la messe de la Fraternité St-Pie X? Réponse: Oui.
2. Est-ce que je pèche que d’assister à une messe de la Fraternité St-Pie X? Réponse: « Si votre intention première pour assister à une telle messe était de manifester votre désir de vous séparer de la communion du Souverain Pontife et de ceux qui sont en communion avec lui, ce serait un péché. Si votre intention est simplement de participer à une messe célébrée selon le missel de 1962 eu égard à votre dévotion, ce ne serait pas un péché». Soyons sérieux: quel fidèle assistant à ces messes y vient premièrement et tout d’abord pour manifester son refus de reconnaître l’autorité du Pape? Poser la question, c’est y répondre.
3. Est-ce que je fais un péché si je donne quelque chose à la quête? Réponse d’une prudence toute romaine: une modeste contribution est convenable.
En six mois, nous sommes en face d’une virevolte complète. Nous avons l’impression d’être comme devant un feu routier qui passe du vert au rouge et inversement. On aimerait que le feu reste une fois pour toutes sur le vert. Il est clair qu’avec un agissement pareil, Rome perd la crédibilité.
Un autre exemple d’agissements contradictoires: les évêques du Gabon ont demandé à Rome l’an dernier ce qu’il fallait faire quant à l’inscription dans les registres, des sacrements donnés par les prêtres de la Fraternité St-Pie X. La Congrégation du clergé leur a répondu: Il faut tout inscrire. Même les mariages? Réponse: Du moment que vous les inscrivez dans vos registres, tout est en ordre. Voilà ce qui a été dit aux évêques gabonais par la Congrégation du clergé. Pendant ce temps-là, un peu partout, on dira le contraire.
Nos rapports avec Rome
En avril 2002, le cardinal Hoyos nous avait envoyé une lettre bien décevante en réponse à un courrier que nous lui avions envoyé neuf mois plus tôt. Faisant suite à cette démarche, au mois de janvier dernier, M. l’abbé Schmidberger a eu – en mon nom – un contact avec le cardinal Hoyos; au cours de l’entrevue, il lui lu a une lettre dans laquelle je rappelais que les deux préalables posés lors de nos échanges de janvier 2001 n’ont toujours pas trouvé de réponse (NDLR: la messe tridentine accordée à tout prêtre et la levée des censures); cela fait deux ans que nous attendons une réponse positive de Rome! Le cardinal réagit à la lettre en affirmant qu’il aurait fait des gestes en notre faveur, mais que nous ne bougeons pas d’un millimètre, que les problèmes qui existent dans l’Église ne sont pas nos problèmes.
Le tabou
A Rome, ils devraient comprendre qu’il y a une crise dans l’Église et qu’elle vient du concile. Mais ils ne veulent pas en entendre parler. En fait, ceux qui prêchent la destruction des tabous s’en sont créé des nouveaux: le concile et la nouvelle messe. Ces deux points, personne n’a le droit d’y toucher, et c’est le point d’achoppement parce que c’est aussi le point sur lequel nous refusons de bouger. On nous objecte que nous n’avons pas le droit de mettre en opposition le magistère actuel et le magistère du passé. A cela, nous répondons que l’opposition est interne aux textes, nous ne sommes pas des dialecticiens, nous ne créons pas cette opposition, elle est objective, réelle. Mais de cela, ils ne veulent pas en entendre parler. Notez qu’il est important de bien saisir ce point pour comprendre l’impossibilité de s’entendre tant qu’ils en restent à leurs positions. Je m’explique: l’Église a toujours justifié son enseignement et en fin de compte l’infaillibilité de son magistère en posant un regard sur le passé et en disant: ce que nous enseignons aujourd’hui, Notre-Seigneur, les Apôtres, les Pères, les conciles l’ont enseigné, nous n’enseignons rien de nouveau quant au contenu, nous n’enseignons que ce que l’Église a toujours cru et enseigné. Avec Vatican II, l’Église s’est mise dans l’impossibilité de faire usage de cette justification qui est précisément la Tradition. Qu’est-ce que la Tradition? C’est ce regard sur le passé pour considérer la fidélité de la transmission. C’est ce que dans la définition de la Tradition on appelle le quod semper, ce qui a toujours été cru et enseigné. Et comme le concile enseigne des choses nouvelles et qu’on ne peut plus proposer cette démarche, on a été obligé d’en inventer une nouvelle.
Comment, à Rome, on justifie le concile?
Premier acte: l’infaillibilité
Le pape est infaillible, on ne considère plus ce qu’il dit, on constate qu’il ouvre la bouche et on dit: c’est infaillible! Je n’invente rien, à titre de preuve citons cette conférence donnée à Munster en Allemagne par le cardinal Hoyos dans laquelle il affirme que Mgr Fellay attaque la nouvelle messe en disant qu’elle est mauvaise, mais il a tort car la nouvelle messe a été approuvée par le pape, donc elle est infaillible.
L’erreur en cela consiste à ne considérer que le sujet de l’infaillibilité – le pape – et non plus l’objet de l’infaillibilité – la vérité faisant partie du dépôt révélé. Pour qu’il y ait infaillibilité, il ne suffit pas que le pape parle, il faut aussi qu’il y ait objet à infaillibilité et donc que ce dont il parle appartienne au dépôt révélé. Mais comme ils ne veulent plus considérer l’objet de l’infaillibilité, ils font du pape une machine à infaillibilité. Leur attitude est paradoxale, car d’un autre côté, ils ne veulent plus de l’infaillibilité et ne sortent ce drapeau que lorsqu’il s’agit de discuter avec nous.
Deuxième acte: introduire dans la vérité un élément historique.
La thèse est simple: ce que fait l’Église est vrai et bon au moment où elle le fait. Un cardinal Ratzinger n’a donc pas de peine à affirmer que, du temps de saint Pie X, le serment anti moderniste était une bonne chose, et encore moins de peine a-t-il pour ajouter qu’aujourd’hui, c’est chose révolue. La vérité est donc soumise aux circonstances historiques, lesquelles sont les justifications ultimes de l’action de l’Église. Le quod semper n’est donc pas adéquat pour traiter de la question du magistère. Cette différence fondamentale dans les concepts d’identité et de continuité historique nous met sur deux planètes différentes et rend les discussions difficiles, car nous disons à Rome: Voyez ce que vos innovations ont produit, voyez le désastre! Ils répondent: Non, ce n’est pas le concile, c’est la faute du monde! (le monde a bon dos, tout à coup!). Ils ne veulent pas avoir tort car ils ne veulent pas revenir à une vérité immuable. Cela rend la discussion impossible.
Alors, vous me direz: pourquoi discutez-vous encore si elle s’avère impossible?
Il me semble que c’est important de discuter pour arriver à les mener jusqu’à cette constatation de l’impossibilité. De plus – et surtout – il n’y a pas que les dignitaires romains en jeu; ces discussions nous servent de haut-parleur pour faire entendre notre message bien au-delà de Rome, aux oreilles de tous ces fidèles et prêtres désemparés qui cherchent des solutions. Cela n’a rien de désespérant que d’aborder ces discussions apparemment désespérantes, car à long terme, cela produit des fruits. Jusqu’au Vatican on commence à trouver des personnes qui sont d’accord avec nous et qui essaient de travailler tant bien que mal là où elles sont. Ce sont même des évêques – pas seulement à Rome – qui sont intéressés par ce que nous représentons mais qui n’osent pas le dire. Dans les cinq dernières années, il y a eu à ce niveau-là une grande évolution; certes, pour l’instant on ne voit pas de fruits visibles de ce progrès; mais entre le rien et une grosse pièce qui commence à bouger, il y a un monde.

Ab. Lorans: Vous avez envoyé M. l’abbé Schmidberger à Rome, vous écrivez au cardinal, donc vous n’ignorez pas Rome?
Mgr Fellay: Nous n’ignorons pas Rome du tout.

Ab. Lorans: On vous reproche cependant de n’être pas "bon joueur"; Campos a obtenu l’ancienne messe, un espace de liberté et vous ne voudriez pas cela pour la Fraternité?
Mgr Fellay: Est-ce que vous vous assiériez dans une voiture, même une superbe Ferrari, à laquelle il ne manque que les vis des roues? Seriez-vous disposé à conduire une telle voiture? Moi, je ne suis pas disposé.

Ab. Lorans: Quels sont les boulons manquants?
Mgr Fellay: Il manque la réalisation, dans le sens de mise dans le réel de cette Tradition. Cette forme canonique de Campos, dans l’abstrait, est splendide. C’est la concrétisation qui pose un sérieux problème; le problème de fond est celui-ci – je schématise quelque peu: nous sommes en présence de deux camps opposés lesquels sont en conflit; à un moment donné, l’un des camps avance une proposition de paix. Ainsi donc, Rome a proposé la paix en disant: "Ne considérons plus les problèmes de doctrine, c’est trop compliqué pour l’instant, orientons-nous vers une solution pratique". Autrement dit, on laisse le problème, et on fait comme s’il n’existait pas. Ils ont appelé cela une solution. Et Campos a accepté.
Dans le concret, qu’est-ce que cela implique? Nous sommes en présence de deux groupes opposés qui, tout d’un coup, s’unifient et ne font donc plus qu’un. Forcément, l’un dominera l’autre. Celui qui domine, c’est le plus fort, et puisqu’en même temps il y a un mouvement de soumission à Rome, celui qui domine, c’est Rome, c’est l’Église actuelle. Cette Église actuelle est régie par des principes, par un ensemble disciplinaire qui fait aller l’Église dans une direction bien précise. Cette direction bien précise, c’est l’immense flou qu’on appelle l’esprit de Vatican II. Faire un accord tel qu’il a été fait implique qu’on se mette dans le mouvement de Vatican II, qu’on se mette dans ce flux qui meut l’Église conciliaire.

Ab. Lorans: Est-ce que vous avez des preuves, Monseigneur?
Mgr Fellay:
Un exemple: Mgr Rifan, actuellement évêque de cette Administration apostolique, annonce, chaque dimanche, les horaires des messes à la cathédrale de Campos – où est célébrée la nouvelle messe. Le simple fait d’annoncer les messes est une invitation à y aller. Donc on invite les fidèles qui font l’effort d’aller à l’ancienne messe, à fréquenter la nouvelle, sans manifester la moindre réserve quant à la valeur de cette nouvelle messe. Jusque là ils y étaient foncièrement opposés au point d’avoir été chassés de leurs églises. En fait, ils bradent trente ans de combat. Ce simple petit fait d’annoncer les horaires des messes à la cathédrale, c’est, au niveau des principes, radicalement le contraire. Cela semble peu de chose, en réalité, c’est immense.
Un autre fait: aux quatre-vingts ans du diocèse, Mgr Rifan, accompagné de son clergé, a assisté à la nouvelle messe d’action de grâce à la cathédrale. Ils sont donc allés eux-mêmes à une nouvelle messe. Certes, ils diront: "Nous n’avons pas concélébré". Non, vous n’avez pas concélébré. Vous y êtes allés, vous y avez participé. Il n’est pas nécessaire de concélébrer, votre assistance publique dit à tout le monde, et à tous ceux qui veulent bien l’entendre que cette nouvelle messe n’est pas mauvaise.
Ce nouveau mode d’agir commence à susciter une réaction à Campos. Un des curés a même reproché publiquement à Mgr Rifan ses nouvelles prises de position au sujet de la nouvelle messe ainsi que la nouvelle conception du combat de Mgr de Castro Mayer. Campos explique maintenant qu’il y a eu deux Mgr de Castro Mayer. Le premier était l’évêque docile, canoniste, très soumis à toutes les lois de l’Église. Le deuxième est l’évêque démis de ses fonctions en 1981, évêque dur, rebelle. Et Mgr Rifan de dire au Barroux: "Nous avons choisi Mgr de Castro Mayer numéro un". Mgr Rifan a été efficace, il a réussi à faire partir un prêtre du Barroux qui nous a rejoints.
Dernier fait que j’évoquerai: une discussion entre deux membres de l’Administration apostolique. Le premier avoue qu’il a évolué dans ses positions; le second s’en garde bien:
- Moi par contre, je n’ai pas changé.
- Mes condoléances!
- Si j’ai bien compris, la seule raison qui vous reste pour célébrer l’ancienne messe est la permission que vous a donnée le pape. Que ferez-vous le jour où le pape vous demandera de célébrer la nouvelle messe?
- Eh bien, je la dirai.
Ce même prêtre prétend maintenant que ceux qui refusent la nouvelle messe sont schismatiques!
L’évolution est spectaculaire. Une leçon s’en dégage: lorsqu’on se met volontairement et avec une volonté de non-défense dans un milieu complètement différent et même contraire à ses propres principes, on finit par avaliser les principes opposés. A Campos, il n’a pas fallu un an pour en arriver là. Ils ont fait en un an ce que la Fraternité St-Pierre a fait en dix ans.
Dans leur séminaire, Rome les a obligés à donner un cours sur Vatican II et à introduire des professeurs extérieurs à l’Administration.
Mais la Ferrari était trop belle et ils n’ont pas voulu regarder si les roues avaient toutes les vis.

Ab. Lorans: Monseigneur, en attendant que cette discussion sur le fond que vous appelez de vos vœux puisse avoir lieu, que fait la Fraternité? Vous revenez du Kenya, vous étiez en Argentine, dites-nous un petit peu comment vous voyez l’avenir?
Mgr Fellay: Sereinement; le Bon Dieu est vrai et il est éternel. Ceux qui misent sur le Bon Dieu ne seront jamais déçus, même si ça coûte. Le Bon Dieu vaut bien la peine qu’on y mette le prix, même si ça coûte. La Fraternité? Je la vois solide, je vois des tentatives très marginales mais dangereuses de vouloir faire croire que, subitement, c’est si facile de faire un accord avec Rome et que tout ira bien. C’est là une chimère, c’est vivre hors de la situation réelle de l’Église. Combien de fois ai-je eu à entendre cette année, des séminaristes, des prêtres qui s’approchaient de nous en disant: "J’ai tout essayé, je me disais: surtout pas la Fraternité St-Pie X, j’ai fait le tour et il ne reste que vous". Combien de fois j’ai entendu cela! Des prêtres viennent me voir et me disent: "Je viens chez vous parce que dans le diocèse, je ne peux plus, en conscience, vivre ma vie de prêtre catholique, on ne me le permet pas". C’est cela la réalité concrète de l’Église.
Nous avons également des contacts avec des prélats qui disent certes la nouvelle messe mais qui nous disent: "Tenez bon! Vous êtes notre unique espoir!"
Alors, nous continuons en toute simplicité. La Fraternité continue ce travail placide. Je ne crois pas que ce soit un ronron, il faut toujours faire attention à cela, il me semble que les évêques autour de nous s’occupent suffisamment de nous secouer. Ici ou là, des coups de foudre tombent. L’année passée nous en avons reçu à peu près cinq de par le monde, depuis Moscou, la Lituanie, Bombay, la Slovénie, c’est chaque fois des excommunications; cela réveille, et nous permet de répondre, de nous justifier.
Ce qui nous fait terriblement souffrir c’est le manque de prêtres. L’œuvre croît beaucoup plus vite que le nombre de nouveaux prêtres. Les nouvelles demandes de par le monde affluent et nous ne savons plus comment faire. On oblige le supérieur général à un nouveau sport: on me donne une balle de golf, les dix-huit trous, et on me fait envoyer la balle dans les dix-huit trous en même temps. Ce n’est pas facile!