16 décembre 2006




La supercherie de Laguérie
16 décembre 2006 - Jean Cardonnel - golias.ouvaton.org
A l’époque où je lançais mon cri d’alarme sur la nécessité du choix crucial Dieu le Grand Inquisiteur ou le Libérateur, je croyais encore naïvement qu’avec le nouveau pape, il fallait subir quelques mesures maladroites prises par un Souverain Pontife plus doctrinaire que pastorale et politique.
Or, Benoît XVI est intellectuellement, conceptuellement très cohérent d’une logique parfaite. Son action se déploie en premier lieu dans un domaine regardé trop souvent à tort comme secondaire : la liturgie avec pour élément central l’Eucharistie devenue dans le langage courant la Messe. Il a suffi d ‘une relativement courte durée – du début de ce qu’il est convenu d’appeler notre ère aux années 313-320 après jésus Christ pour que l’Eglise cesse d’être l’assemblée de la transgression universelle par la Parole incarnée, crucifiée, res-suscitée – des frontières de l’espace et même du temps.
Si l’Eglise a opéré progressivement cette mutation, c’est afin de copier, plagier son protecteur qui, par voie d’échange de méthodes dirigeantes, la consacre monarchie pontificale. C’est ainsi qu’au fil des siècles, même dans le passage historique de l’Empire de Rome à la multiplicité des royaumes barbares , la régime préféré de l’Eglise catholique romaine a été la monarchie absolue de droit divin.
Qui pouvait mieux que le visible roi terrestre représenter l’Invisible seigneur du ciel et de la terre ?
Si je pars à la découverte de mes souvenirs chrétiens et catholiques, ma mémoire n’a pas besoin de remonter très haut et loin dans le passé pour trouver avant la Concile de Vatican II sous Pie XII, mes premiers essais d’intelligence critique de la foi monarchisée. Avec le Père Liégé, lui aussi dominicain, nous diffusions partout notre maître-mot : non, Dieu ne peut pas être Louis XIV dans les cieux. Et pourtant, je ne pouvais pas de ne pas voir la ramanisation, la monarchisation non seulement de l’Eglise mais de Dieu comme Seigneur des Seigneurs, Roi des Rois. De la sorte, Eglise, catholicisme, christianisme, foi, Dieu, étaient rangés difinitivement dans la sphère, la zone d’influence du pouvoir.
« Dieu est le seul Etre qui, pour régner, n’ait pas besoin d’exister »
J’ai toujours présente à l’esprit la définition de Dieu par Baudelaire : « Dieu est le seul Etre qui, pour régner, n’ait pas besoin d’exister ». Au regard du monde déiste et, à son sommet monothéiste, au dessus de l’existence, il y a le Règne. L’existence, la vie même sont plébéiennes, vulgaires, communes. Le règne lui est supérieur, racé, transcendant, exceptionnel. La Fait du Prince.
Exactement comme à un roi, il faut une cour, à l’Etre suprême tout-puissant, il faut un culte dont l’exécution minutieuse et réglementée sera le rite. Le rituel, le protocole.
Que le pape Benoît XVI autorise pour la célébration de la messe une coexistence pacifique des deux rites, l’un élaboré au Concile Vatican II, de Paul VI, en langue vernaculaire, c’est à dire vivante, l’autre en langue latine morte néanmoins dominatrice ne serait-ce qu’à titre solennellement posthume, fait déjà problème.
Mais l’acte pontifical de bénir, d’accueillir l’abbé Laguérie, dissident ultra du corps d’armée intégriste représente un pas en avant, c’est à dire de fait en arrière dans les gages donnés à l’ennemi déclaré, officiel anti-conciliaire Vatican II de l’ouverture d’Eglise au monde.
Parce que l’abbé Laguérie et ses troupes ne s’en tiendront pas là. Leur but affiché devient toujours davantage le refus jusqu’à l’élimination complète de la Messe enfin un peu compréhensible, attractive, parlante, signifiante de la Pâque, passage de tous les humiliés, de la servitude, de l’esclavage à la libération, de pire que la mort, de la vie mortelle à la vie res-suscitée donc éternelle.
Voilà pourquoi les oppositions dans le domaine de la liturgie débordent à l’infini la question liturgique. Elles sont expressives ou bien de la pire des restaurations du Dieu Grand Inquisiteur ou bien de l’universelle résurrection de l’homme. Dieu à l’œuvre dans le soulèvement des vivants et des morts. Disons-le en vérité avec plus de crudité : nous sommes réellement menacés d’une réédition, d’une reconstitution du passé impérial de l’Eglise romaine substituée au mouvement du Peuple des ressuscités à mordant insurrectionnel.
Je me rappelle d’intense mémoire le vieux monsieur moins âgé que moi aujourd’hui et qui – affolé par la radicalité de mes mises en question des vérités les mieux établies, m’interrompt vivement : «  Mais enfin mon Père, il y a des vérités qui ne souffrent pas la discussion, le débat. Il y a Dieu le Père, le Fils, le Saint Esprit. Il y a la Vierge Marie, il y a l’Eglise, il y a le Pape, le Très Saint Père ». Cher Monsieur, réponds-je comme dirait San Antonio, vous allez tout de suite me comprendre .Il y a une seule vérité que je ne mets jamais, jamais en question, c’est l’universelle mise en question d’absolument tout. Pour faire bref, je l’appelle Dieu.
Selon que Dieu est le principe d’autorité, la caution des pouvoirs constitués ou le créateur contagieux d’une créatrice mise en question, nous disons le même mot mais chargé de sens radicalement opposés. L’alternative n’en est que toujours plus forte et n’importe quel organisme individuel ou institutionnel a la capacité de la voir : ou on se met en question, ou on met les autres à la question – ce qui fait l’Inquisition. Eh bien ! c’est à la glorification du Dieu Pouvoir que veut nous ramener la liturgie Laguérie en langue morte de l’Empire romain défunt qui ne demande qu’à être ré-animé dans l’institut du Bon Pasteur sacré Empereur .
Il est temps de clamer le sens politico-théologique du retour à la messe tridentine (Concile de Trente) du rite Saint Pie V , hélas ! dominicain , dont l’exploit historique reste Lépante, la victoire militaire des papistes sur les turcs.
Ce que l’on mesure encore mal, c’est la signification politique de l’attitude d’un clergé eucharistiquement conservateur, littéraliste, immuable, le célébrant de la Messe doit comme jadis se tourner vers Dieu et donc tourner le dos au peuple – mais ce dernier sent par trop encore le populaire avec son odeur suspecte de révolte, de barricade. Mieux vaut alors parler des fidèles sans lien entre eux.
Mais dans les milieux chrétiens bien au-delà des blocs intégristes, le terrible préjugé subsiste : Dieu serait d’autant plus Dieu que l’homme serait moins homme, moins humain, moins d’humanité.
Donc, liturgiquement, impossible d’être en même temps face à Dieu et face au peuple. C’est –opinion très habituelle- dans la stricte mesure où je range le faux semblant, le faux fuyant du peuple pieusement ratatiné en « maigre cheptel bigot », disait Bernanos que, moi prêtre simplement canal indigne d’une transcendante grâce divine, je peux de tout mon pouvoir sacerdotal, faire descendre mon Dieu Christ Prêtre Eternel – sur l’autel non table commune, hostie non pain partage – du Saint Sacrifice de la messe.
Le voilà le mot pestiféré, le hideux mignon, travesti du verbe qui ne fait jamais d’inflation verbale et ne dit jamais l’ignoble « Je me sacrifie » puisque sa Parole irrécupérable et irréductible à la sacralisation, c’est : ma vie on ne me la prend pas, je la donne. Le don devance la prise. Mais il faut reconnaître que nous venons de loin, de très loin, du passé le plus passéiste des ténèbres cléricalo-préhistoriques antérieures religieusement d’acte barbare sacrificiel à l’histoire du Verbe de Dieu donc à la création. Nous observons porté au paroxysme chez Laguérie le guerrier catho-romain du Dieu monarchique, à la fois ce qu’il empoisonne, gangrène dans les zones d’orthodoxie pontificale et ce qui l’a préparé au cœur de la piété traditionnelle.
Je n’ai garde d’oublier mon émerveillement quand, jeune frère prêcheur orateur du Verbe fait chair, je faisais mienne, personnelle, la trouvaille d’Eglise du caractère pascal de la liturgie, de la Messe.
Je proclamais ivre, fou de joie : nous célébrons en Festival d’un repas d’allure universellement conviviale l’actualisation du grand événement, la Pâque. Non ce n’est pas un repas, ce n’est pas une fête, c’est un sacrifice, l’immolation du Christ Sacrificateur et Victime, rugissaient nos vieilles brutes dogmatiques d’ordre de la sainte Inquisition rejointes aujourd’hui par les dernières jeunes recrues dominicaines.
La caste sacerdotale a banalisé la Messe Je le parle haut et fort : même si nous parvenons à bannir la supercherie Laguérie, sous sa forme la plus grossière, il nous faudra un travail épuisant et jubilatoire d’innombrables Prométhées du Verbe subversif pour dé-poussiérer, dé-terrer la parole res-suscitée re-crucifiée religieusement sacrificiellement par le gang clérical qui a fait main basse sur elle. Car, j’en suis le témoin depuis plusieurs années après mon ordination au pain partagé le 25 mars 1947, la caste sacerdotale a banalisé la Messe. Du coup, celle-ci n’a plus été le Sacrement, le signe sensible de la Pâque. Il m’est dit de tous côtés que l’on s’y embête comme des rats morts à en crever la bouche ouverte sans pouvoir trouver son dernier mot historique – Pas un seul gag – Pas la moindre surprise : Elle pue la mort, la Messe. Elle, l’Ancien sacrement de la Vie à profusion jusqu’à la mort et plus loin encore, se traîne en simulacre, d’une Passion oubliée comme résurrectionnelle d’inimaginable insurrection. Ce n’est pas Dieu possible et pourtant, c’est la vérité que l’Eglise romaine ait tourné le dos liturgiquement au chef d’œuvre théâtral, cinématographique, chorégraphique et peut-être quoiqu’avec une puissance d’innovation, télévisée, dont le titre sera : la casseur Père et Fils dans leur souffle commun , de tous les cachots et de tous les tombeaux. Cette grande œuvre interdite par le pouvoir depuis la nuit des temps, il faut la jouer, l’interpréter, la créer d’urgence.
Le contre-Evangile de Laguérie
Alors, amis dispersés, frères éparpillés, au féminin et au masculin d’humanité trahie, gaspillée, niée, re-niée, rassemblons-nous en un front commun sans précédent ; et vite, au plus tôt, puisque demain ce sera trop tard. Nous n’irons plus d’ennui en Laguérie suivi du retour classique au même ennui avec ou sans Laguérie, pour la raison enfantine que voici : bénir ou simplement subir Laguérie, c’est renier Jésus Christ.
Parce que, ne l’oublions pas, Lagérie a reçu du pape le droit à une « critique constructive » ce qui veut dire négationniste, du Concile Vatican II dont le crime reste toujours, selon les nostalgiques des croisades et de la sainte Inquisition, d’avoir voulu, disait Jean XXIII que l’Eglise Catholique se regarde dans le miroir de l’Evangile et non dans le rétroviseur du Césaro-papisme. En refusant malgré le pape, le contre-Evangile de Laguérie, nous partirons du plus beau des fous-rires aux larmes d’où fusera le mot immortel qui ne vaut pas que pour Lagardère : Si tu ne vas pas à Laguérie dont c’est l’unique Loi, Laguérie ira-t-a-toi.
Bien sûr que le laisser-faire Laguérie re-nie Jésus Christ .
Parce que celui qui dit qu’il faut tourner le dos à son prochain pour célébrer le mystère divin caricature la liturgie, Acte du peuple, en cérémonial, en étiquette, en préséances, en protocole de la cour du Roi Soleil et donc fait de Dieu le lointain, le Souverain, le Prince de ce monde mondain, le Grand Inquisiteur, la fléau cosmique, le Pouvoir, le Démon, le Diable.
Mais brusquement au milieu des ténèbres et non drôles pitreries d’inextricables polars bâclés qui font la trame de nos sociétés mondialisées, c’est-à-dire anonymes, privatisées sur le Tout-Marché, jaillit, fulgure la Lumière. Insolite. En 2006-2007 plus actuelle que jamais ; Elle banalise, sénilise toute les pseudo-nouvelles jusqu’à la dernière en date d’un faux An Neuf, l’élection d’un Président monarque de la République, couronné selon une reprise du rite de Vichy, chef de l’Etat français. Contre ces incorrigibles vieilleries résonne, vibre la clameur de nos poitrines et cœurs réunis : je vous annonce une nouvelles fantastique qui sera immense, inépuisable joie pour tout le peuple. Vous entendez bien pas Minuit Chrétien c’est l’heure solennelle où l’Enfant Dieu descendit parmi nous comme le Para divin., pour effacer la tache originelle … Non, pas du tout çà .
Mais l’Heureuse infiniment Bonne Nouvelle avec pour destinataire tout le peuple, toute l’humanité, tout l’univers : un Sauveur, un Libérateur, votre salut Public, la cordialisation de la vie publique vous est née. Et je vais vous dire le signe auquel vous la reconnaîtrez. Pas du tout le Roi, l’Empereur sur son char, sur son trône, pas du tout le Président Directeur Général à son bureau, l’incarnation du pouvoir exécutif dans le grand fauteuil de l’Elysée…
Non . Mais la parole naissante faite chair parce qu’elle en a assez , elle n’en peut plus d’être prise pour un mot en l’air. Oui, l’inattendu, l’imprévu absolu, l’unique signe auquel est reconnu Dieu tout nu, le premier de ses gags ininterrompus : le tout petit, le gosse, le bambin, le gamin, le Kid, un nouveau-né emmailloté, dans une mangeoire à bestiaux.
Alors, devenons-le tous, le Nouveau-né, le Fils de l’Homme né de la Femme, l’humanité ce beau nom féminin singulier de l’homme, l’Enfant de la Libération, de la Création.
Et foutons dehors à grands coups de pieds dans son Faux Cul, sa caricature, l’antique Papa Noël mercantilement fabriqué, le Vieux de la Consommation !
Jean Cardonnel