15 avril 2006

La démonstration (Editorial)
Abbé Philippe Laguérie - avril 2006 - Le Mascaret (Editorial) - www.mascaret.presse.fr

La démonstration

Plutôt que d’épiloguer sur les derniers évènements dans le petit monde de la Tradition
– qui, hélas, ressemble parfois à celui de Dom Camillo – et tout à la méditation du mystère pascal qui concentre toutes nos énergies sur le Christ Jésus, je préfère dire simplement nos espérances, nos attentes, avec leurs limites… qui ne dépendent pas de nous, à savoir :
- Les propositions romaines – très floues pour l’heure puisque les intéressés n’en veulent rien dire de sorte qu’il faudrait donner son avis sur un objet totalement inconnu, voire inexistant ( !) ;
- Les contradictions évidentes des derniers mois dans la position officielle de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, (entre les interviews à l’AJIR, à Dici, le sermon du 2 février, la réunion des prieurs à Flavigny et finalement la prise de position de Mgr Williamson dans Minute : allez vous y retrouver ! ) ;
- Le parti qui, dans cette Fraternité, crie au loup, avant même de savoir, dès que le supérieur général monte à Rome (ils ont la mémoire courte car Mgr Lefebvre l’a fait plus que quiconque : mais avec lui, on se taisait pudiquement (cf. extraits de la lettre de Monsieur l’abbé Aulagnier, qui, lui, se souvient).
Tout cela est bien décevant. Et nous amène à fixer les jalons d’une politique future un peu cohérente.
1) Qu’il faille, un jour, s’accorder avec Rome est une évidence telle qu’on se demande comment elle a pu sortir de la tête et du cœur de beaucoup. Parce que c’est la constitution même de l’Eglise qui l’exige. Qui ne voit qu’en pareilles circonstances, ce sont, depuis des lustres, les sédevacantistes, crypto ou déclarés, qui tiennent la dragée haute et font la pluie et le beau temps et semblent dicter leurs oukases aux supérieurs. Il n’y a pas un sermon de Mgr Lefebvre qui n’envisage – à terme – cette nécessaire éventualité et lui prêter un autre sentiment est vraiment trahir sa pensée.
2) Que les tentatives partielles hélas aient échoué (bi-ritualisme ou abdication sur le Concile) ou n’aient pas trouvé des hommes qui, après, se montrent à la hauteur des espérances nées, n’a rien d’inéluctable ni de dissuasif. Il faut, à l’inverse, s’efforcer de faire la démonstration contraire ; et ce n’est pas en restant les bras balans ou en se claustrant dans une « haine sacrée » (sic !) comme d’aucuns osent le proposer, qu’on y parviendra.
3) Ce n’est pas non plus en imaginant avoir d’abord, au préalable, aplani toutes les difficultés doctrinales. Qu’on les fasse remonter au Concile Vatican II, au siècle des Lumières, à la Renaissance, à la trahison de Judas et pourquoi pas, au péché originel ( c’est ça d’abord qu’il faudrait régler avant toute discussion !), elles sont là, elles ont toujours été là et elles y seront toujours jusqu’à la fin du monde. La parfaite unité de tous les chrétiens dans la Foi n’aura lieu que dans l’éternité, quand la Foi aura disparu. En attendant c’est la bataille, terrible, et la barque de Jésus Christ
(« qui prend l’eau de toutes parts », Cardinal Ratzinger, le vendredi Saint 2005) aura toujours à progresser sur les flots déchaînés de ce monde. Et ça marche ! Fluctuat nec mergitur. Au fond, ceux qui refusent, a priori, toute éventualité de normalisation ont le secret espoir d’arrêter le combat – et de se la couler douce – après. Ce sont des naïfs, d’imaginer l’Eglise de Jésus Christ sans luttes ni combats quand le Seigneur nous a sans relâche avertis du contraire. Qu’on dépose les armes avant (plus commode), pendant (idiot) ou après (paresse irénique) est également ridicule.
4) Il faut donc scruter les signes, les manifestations, les possibilités d’une bonne volonté des Romains d’en finir avec le délire doctrinal et les scandales des années 1960-2000. Ils sont là, manifestement. Il serait aussi léger de prétendre qu’il n’y a aucune bonne volonté en face ou d’affirmer que tout est réglé (toujours ce refus de travailler, d’une manière ou d’une autre…). Et méfions-nous de cette paresse, drapée dans les catégories a priori de schémas obsolètes. En bouchant consciencieusement vos yeux, vos oreilles et tout le reste, votre position n’aura évidemment pas changé dans un siècle et vous serez alors de véritables schismatiques.
5) Qui ne voit, en effet, l’intérêt capital que le pape et sa Curie ont à nous récupérer tels que ? Et je dis bien tels que, doctrinalement et liturgiquement. Ils se donneraient les coudées franches et le crédit nécessaire pour sortir de la crise et ce serait déjà pour nous un bel honneur que de n’avoir servi qu’à ça (en sus du salut de nos âmes !).
6) Restent les conditions : c’est le fameux « tels que ». Une liberté totale de la liturgie, et sur des raisons de fond, ainsi qu’une liberté totale de recevoir le Concile pour ce qu’il est. Et ça suffira bien. Le document du pape à la Curie (22 décembre) que notre cher confrère commence à presser comme une orange, indique bien que l’esprit du Concile est mauvais, que le fondement de la liberté religieuse ne peut en aucun cas être métaphysique (la dignité d’un saint ou d’un assassin serait donc la même ?) et même que tous les jugements du Concile sur les rapports entre l’Eglise et le monde sont contingents et caduques parce que le monde l’est par nature… c’est dire, plus concrètement ce que disait le Cardinal Benelli : le Concile n’a d’infaillible que ce qui l’était déjà dans les documents antérieurs à lui. Quant au texte lui-même, qui ne se réjouirait pas de voir le pape – et l’y aider de surcroît – redonner le seul sens catholique possible de ces phrases élaborées dans cet esprit funeste et à présent désavoué par le pape.
Voilà bien la démonstration qui doit être faite absolument. Elle incombe bien plus à Rome qu’à nous, évidemment, mais quelle joie et quel honneur si nous pouvions, par notre détermination et notre amour de l’Eglise y travailler et y réussir.
Abbé Philippe Laguérie