15 juin 2001

Abbé Nely : « Il existe une manière de transmettre sans concession la doctrine de toujours aux chrétiens d’aujourd’hui » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise?
Je dirais qu'on continue à enseigner et à faire ce que l'Eglise a toujours fait. Nous appliquons tous les jours les sages maximes de saint Vincent de Lérins qui peuvent se résumer ainsi : en cas de crise, en cas de doute, « il faut veiller avec le plus grand soin, à ne tenir pour vrai que ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » Ce qui me frappe dans l'œuvre de Mgr Lefebvre c'est justement qu'elle manifeste bien ce que l'Eglise a toujours fait sans se complaire dans aucune singularité, sans revendiquer aucune originalité. J'ai 51 ans, j'ai donc connu l'Eglise d'avant le concile, j'étais chez les maristes au collège, je peux dire que j'ai retrouvé à Ecône cet enseignement que nous y avions reçu et c'est cet enseignement que je transmets aujourd'hui sans chercher à innover. Après le concile, beaucoup se sont trouvés dans un véritable no man's land, une sorte de désert spirituel. Mgr Lefebvre a été celui qui a dit à qui voulait l'entendre : je vais vous transmettre ce que j'ai moi-même reçu. Je dirais que c'est ce que j'essaye de faire moi-même à Marseille autant que je le peux : donner paisiblement ce que j'ai reçu. Mais attention, cette ambition de fidélité ne signifie pas non plus que nous soyons figés. La tradition, ce n'est pas un monument monolithe qu'on traînerait derrière soi. Le monde a changé, les tempéraments, les intelligences même, ont changé et nous en prenons acte. Ce sont les mêmes richesses que nous transmettons, avec le désir de nous adapter aux âmes qui doivent les recevoir. Lorsque je remonte dans mon souvenir, il me semble que ce que je peux reprocher à certains prêtres d'il y a quarante ans, c'est une certaine rigidité, une manière de vous faire sentir sans vraiment vous le dire lorsque vous posiez des questions : c'est ainsi et pas autrement. Je crois qu'on remarque de plus en plus aujourd'hui un besoin d'explications. Il y a une telle richesse dans la tradition qu'on peut vraiment emmener les intelligences au seuil du mystère.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Le christianisme est né à Rome parce que saint Pierre y est mort, il y a, c'est incontestable, un rôle providentiel de la ville, et ce rôle dure encore malgré les ruptures. La rupture que nous remarquons aujourd'hui est certainement très grave néanmoins dans tous les domaines, dans le domaine de la foi, dans le domaine des mœurs, dans le domaine de la pastorale sacramentelle. Je voudrais insister aussi sur la rupture culturelle que représente l'abandon du latin. Évidemment une langue, c'est d'abord un véhicule, mais le latin dans l'Eglise c'est plus que cela. Cette langue qui n'évolue pas nous permet de nous ancrer, aujourd'hui comme par le passé, dans l'unité de la foi.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Après Mgr Lefebvre lui-même on a beaucoup parlé d'une opération survie. L'ancien archevêque de Dakar avant de faire ce geste a cherché des évêques qui aient le courage et qui voient la possibilité de continuer cette oeuvre, cette œuvre qui n'est pas seulement son oeuvre, qui est l'œuvre de l'Eglise, une œuvre salutaire pour la défense de la foi et pour la sanctification des fidèles. L'expression * opération survie " doit être expliquée en ce sens. On a tendance à faire de la tradition un substantif qui ne désignerait qu'une partie de l'Eglise. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il ne s'agit pas de sauver sa partie, la Tradition est le coeur de l'Eglise et c'est vraiment l'Eglise que l'on veut servir dans cette opération survie de la Tradition.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je répondrai que nous ne sommes ni une avant-garde ni une arrière-garde : la Fraternité Saint Pie X assure par sa fidélité au magistère de toujours, autant qu'elle le peut, la pérennité de la foi dans le monde d'aujourd'hui. Est-ce prétentieux de dire cela ? On peut dire objectivement qu'il y a aujourd'hui une dégradation dans l'enseignement de l'Eglise. Par exemple la doctrine de la liberté religieuse développée durant le concile est contradictoire avec l'enseignement des papes sur le libéralisme et la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ; cela a été démontré cent fois, notre prétention est toute simple : elle consiste simplement à rester fidèle au magistère de l'Eglise traditionnelle. Ce n'est pas du fixisme, il ne s'agit pas de faire un bloc et de se mettre des oeillères, il suffit de considérer objectivement les doctrines. La conviction que nous entretenons dans la foi, c'est qu'il existe une manière de transmettre sans concession la doctrine de toujours aux chrétiens d'aujourd'hui. Mais cela suppose un travail. Nous ne voulons pas garder nos talents sans les faire fructifier. Il faut qu'il y ait entre nous sur ce point une émulation spontanée. Bien sûr, il faut savoir garder un équilibre... nos bibliothèques n'ont pas à s'arrêter au concile Vatican I et à ce qui se publiait il y a un siècle. Nous ne sommes pas des sectaires même si certains tentent de nous faire passer pour tels. Nous voulons simplement être des chrétiens dans le sens le plus complet, le plus entier du terme, sans concession ni compromission et sans raideur. Je crois que c'est ce que disait Mgr Lefebvre lorsqu'il affirmait : « nous voûtons continuer ». Eh bien oui, cette continuité est belle, nous voulons continuer ni à l'avant-garde ni à l'arrière-garde, chrétiens, catholiques, tout simplement.