23 juillet 2008

[Abbé Claude Barthe] Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre II - La France à Rome
23 juillet 2008 - lettre 123 de paixliturgique.com
Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre II - La France à Rome
Nous poursuivons avec cette nouvelle lettre la publication de l'excellente étude de l'abbé Claude Barthe sur "Les nominations épiscopales en France", un texte qui de chapitre en chapitre nous aide à mieux comprendre la situation actuelle et les crispations et blocages étonnants que l'on constate au sein de trop nombreux diocéses français...
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ISBN 978-2-915844-12-2, 64 pages
Diffusion/distrinution : Serdif
NB : Les notes de l'auteur sont incorporées par nous en italique dans le texte lui-même

LES NOMINATIONS EPISCOPALES EN FRANCE : LES LENTEURS D'UNE MUTATION CHAPITRE II : LA FRANCE A ROME


Il importe, en effet, de préciser l’enquête en parlant d’un rouage très important par lequel fonctionne encore aujourd’hui, peut-être pas pour longtemps, ce mode de recrutement nourrissant un étonnant conformisme, qu’il faut bien qualifier d’idéologique. Ce rouage révèle un fait paradoxal : le complexe anti-romain même, où un type très particulier de gallicanisme fait perdurer une surprenante continuité dans le type d’évêques nommés pour les diocèses français. A l’intérieur du monde romain s’est installée une espèce de représentation française permanente, jusqu’à ce jour particulièrement efficace dans le processus des nominations. Elle n’a pas peu contribué à maintenir – de manière de plus en plus anachronique – dans la classe dirigeante du catholicisme de notre pays, l’esprit des années soixante-dix. [Etant noté que dans les réseaux d’influences, tout est par nature très complexe. Si les nominations poussées par un évêque influent peuvent sembler « idéologiques » (Mgr Derouet, évêque d’Arras, aujourd’hui décédé, aidant aux nominations de Mgr Louis, de Châlons, de Mgr Wattebled, de Nîmes, de Mgr Boulanger, de Séez), il peut aussi en être autrement : s’il est vrai que la cardinal Panafieu a poussé Georges Pontier au moins à La Rochelle (mais sans doute pas, paradoxalement, pour le remplacer à Marseille) et Bruno Grua (Saint-Flour), on peut aussi lui attribuer Benoît Rivière (Autun) et Louis Sankalé (Cayenne, puis Nice). Cette remarque vaut plus encore pour les nominations du cardinal Lustiger (cf. Infra, Chapitre IV)]


Le cardinal Jean Villot


A la fin des années soixante, une infusion dans les dicastères romains d’un plus grand nombre de clercs et prélats venant de toutes les parties du monde paraissait hautement souhaitable pour accroître l’efficience d’un corps destiné à aider le pape dans le gouvernement de l’Eglise universelle. Mais le deuxième concile du Vatican a été vécu par une large portion de ses participants comme une victoire des épiscopats nationaux contre « la Curie ». Si bien que cette internationalisation (relative) de la Curie n’a pas manqué de connotations idéologiques.
La France fut particulièrement favorisée : l’épiscopat français s’y transporta alors en la personne de ses deux têtes. En effet, Paul VI appela à Rome les deux prélats français les plus en vue à la fin du Concile, Gabriel-Marie Garrone, archevêque de Toulouse, et Jean Villot, archevêque-coadjuteur puis archevêque de Lyon (une troisième personnalité, le cardinal Pierre Veuillot, archevêque-coadjuteur de Paris, qui avait débuté sa carrière au « troisième étage », c’est-à-dire à la Secrétairerie d’Etat, atteint d’un cancer, disparut prématurément en février 1968). A l’intellectuel, Mgr Garone, cardinal en juin 1967, était confiée la Congrégation des Séminaires et Universités (qui deviendra bientôt : Congrégation pour l’Education catholique), restée jusque-là très conservatrice avec le cardinal Pizzardo, Jean Villot, cardinal depuis février 1965, avait fait la preuve, pour sa part, de ses grandes capacités comme directeur du Secrétariat de l’épiscopat français (où lui succédera dans un style autre, mais avec une ligne identique, Roger Etchegaray, plus tard archevêque de Marseille et ensuite cardinal de Curie [Et comme tel, « pousseur » efficace de nominations épiscopales, spécialement parmi ses compatriotes bayonnais (Bernard Housset, évêque de Montauban et aujourd’hui de La Rochelle, François Saint-Macary, le défunt archevêque de Rennes, sans parler du défunt cardinal Eyt, dont il était très proche et pour lequel il a contribué, d’abord seul, puis de concert avec le cardinal Lustiger, à ouvrir une à une toutes les portes d’une splendide carrière : rectorat de l’ICP de Toulouse, de Paris, archevêché de Bordeaux et cardinalat). Hors ses compatriotes, lui doivent beaucoup Mgr Dufaux, évêque mérite de Grenoble, Mgr Fihey, évêques de Coutances]). Il apparaissait que Jean Villot était bien plus à l’aise dans les appareils administratifs de l’Eglise que comme chef d’un grand et difficile diocèse comme celui de Lyon. Paul VI en fit donc le préfet de la Congrégation du Concile (du Concile… de Trente), dont la nouvelle appellation deviendra bientôt : Congrégation du Clergé. Son biographe et ami, le P. Antoine Wenger [Le Cardinal Villot (1905-1979), Desclée de Brouwer, 1989], directeur de La Croix, a raconté sans fard qu’il mettait au service de ce qu’il estimait les bonnes causes, des talents de manœuvrier de grand style, n’hésitant pas à dévoiler le contenu des délibérations du Concile couvertes par le secret, dont il était secrétaire adjoint, pour des articles à La Croix, ou bien encore à rédiger ou à inspirer très directement des « papiers » de ce journal devant être lus ensuite par le pape. Paul VI, qui avait pour lui une grande et amicale estime, le nomma, en mai 1969, Secrétaire d’Etat. Il faut le premier Français à exercer cette charge de premier ministre du pape]


La Seine coule dans le Tibre


Jean Villot répétait sans cesse qu’après avoir « dit » le Concile, de 1962 à 1965, il fallait désormais le « faire ». Il convenait donc, pour cela, de nommer des évêques qui soient « conciliaires », sans être pour autant « progressistes ». En effet, le pôle Garonne-Villot établi à Rome, délibérément novateur, était loin d’être extrémiste (si l’on m’accorde cette comparaison, il «était girondin et non pas montagnard). Mais il amenait de fait à Rome un esprit partisan, à la française, qui est venu aiguillonner les coteries italiennes plus souples et embrouillées (croisées, qui plus est, de clans régionaux : celui de Plaisance, de Casaroli, celui de Romagne, de Silvestrini, de Laghi). De sorte que Rome devint un peu la France, et pas pour le meilleur. Il est clair, par exemple, que la gestion de l’affaire Lefebvre, depuis l’enquête canonique diligentée à Ecône en novembre 1974 [les deux visiteurs apostoliques, dont le rapport négatif de 1974 fut de conséquence considérable, avaient été nommés par une commission composée des cardinaux Garrone, Wright et Tabera. Inversement, le rapport du cardinal Gagnon en 1988, diligenté par le cardinal Ratzinger, fut globalement favorable : les rapporteurs religieux, c’est humain (ou plutôt politique), trouvent généralement ce qu’ils cherchent], à la suspense a divinis en juillet 1976 avec toutes ses suites bien connues jusqu’à aujourd’hui, n’aurait jamais été ce qu’elle a été sans l’influence des deux cardinaux français sur Paul VI, d’autant plus réceptif qu’il était lui-même franchement hostile à ce que représentait la revendication Lefebvriste. Cette affaire, tout le contraire de mineure, allait contribuer, en France – et donc à Rome –, à exacerber durablement les passions, le tout dans un climat de lente extinction du clergé français.

Durant dix ans, très lourds de conséquence quant à la fameuse interprétation du Concile selon un mode de « rupture », les nominations des évêques français vont pratiquement émaner de la Secrétairerie d’Etat. Il faut bien convenir que, selon les plaintes du même cardinal Villot, un « gauchissement » fréquent des personnages nommés se produisait lorsqu’ils arrivaient sur le terrain : Paul VI et son Secrétaire d’Etat croyaient nommer ou promouvoir des évêques « modérés » qui, une fois installés, « penchaient tous du même côté » [Inversement, les progressistes radicaux déplorent aujourd’hui l’assagissement d’évêques qu’ils croyaient plus novateurs (tels Mgr Pansard ou Mgr Pontier)].

. Le responsable de la section francophone de 1967 à 1987, Mgr René Séjourné, fut un auxiliaire précieux pour Jean Villot. Mais, en outre, le cardinal bénéficia, de 1975 à 1979, de la collaboration d’un Français travaillant à la section francophone de la Secrétairerie d’Etat depuis 1972, Thierry Jordan, qui assura une partie de son secrétariat (le secrétaire privé, qui dirigeait sa « maison », étant Mgr Duquaire, ancien secrétaire du cardinal Gerlier, que l’affaire Touvier rendra célèbre). Thierry Jordan, un Français de Rome de l’après-Concile typique, a partagé la hantise des cardinaux Villot et Garrone : réduire l’inquiétant et contagieux phénomène lefebvriste. Tout un jeune clergé français relativement traditionnel, ainsi que de nombreux transfuges de la communauté de Mgr Lefebvre, vont alors faire les frais de cette politique qui, selon un processus bien connu, voulant isoler les « extrémistes », tendait à annihiler les « modérés ».

Mgr Thierry Jordan, futur évêque de Pontoise et futur archevêque de Reims, fut ainsi nommé directeur spirituel pour un regroupement important de séminaristes qui, ayant quitté Ecône en 1977, étaient potentiellement « dangereux » en ce qu’ils pouvaient « contaminer » d’autres jeunes clercs. Ils furent accueillis d’abord au collège lazariste, le Leonianum, puis au collège Népomucène. Il s’agissait de leur faire quittera la soutane, de leur refuser toute possibilité de liturgie en latin (leur demande ne portait pourtant que sur la liturgie de Paul VI, pas sur celle de saint Pie V !) et, en les empêchant de chercher des protecteurs complaisants vis-à-vis des communautés traditionnelles (le cardinal Siri de Gênes, Mgr Guerra Campos de Cuenca), de les réorienter vers le « recyclage » des diocèses français. Il n’est pas évident que le résultat ait été celui escompté, le « recyclage » s’avérant souvent, à la longue, très superficiel. [D’où l’angoisse qui tenaillait tant d’évêques et de supérieurs de séminaire : combien parmi leurs séminaristes cachaient dans leur armoire une soutane qu’ils ressortiraient ensuite, avec plus ou moins de fréquence, après leur ordination, avec tout ce qu’elle représente ?]. En revanche, il ne manqua pas de dégâts annexes (dépressions et surtout départs). Bien au-delà des secteurs traditionalistes proprement dits, on n’en finirait pas de raconter les faits et gestes d’alignement qui se sont alors produits à cette époque dans les séminaires, les maisons de formation, les maisons religieuses, où le simple port du col romain était, par exemple, un motif de renvoi – comme manifestation d’un esprit non conforme – du séminaire d’Issy-les-Moulineaux.


La section française de la Secrétairerie d’Etat


L’élection de Jean-Paul II en 1978 et la disparition du cardinal Villot en 1979 ne modifièrent pas substantiellement une situation désormais bien établie. Du fait même du rôle de supervision du « troisième étage » dans les nominations épiscopales, la section francophone – ou section française – de la Secrétairerie d’Etat [tout à l’origine, la présence de clercs français à la Secrétairerie d’Etat avait été imaginée par le cardinal Eugène Tisserant, à la manière d’une espèce d’ENA, où furent formés des hommes comme Mgr Rupp, le futur cardinal Jacques Martin, puis dans l’ « écurie » du même Mgr Martin, le futur cardinal Poupard, etc.], est devenue, au cours et surtout à la fin du pontificat de Jean-Paul II, le noyau du groupe d’influence français, dont la pesée était pondérée par celle du cardinal Lustiger (celui-ci marchant parfois de concert avec la section française).

A la section française de la Secrétairerie d’Etat s’ajoutent deux autres grands lieux français d’influence, entre lesquels les jonctions sont nombreuses. C’est d’abord le Séminaire français de Rome, via Sta Chiara, confié aux PP. du Saint-Esprit et aujourd’hui dirigé par le P. Fradet, qui a cessé d’être la grande pépinière d’évêques de jadis, mais qui reste un lieu de formation de prestige (attirant pas mal de séminaristes à tendance restaurationniste se sentant un peu sous surveillance). [Le Séminaire français de Rome ne compte plus aujourd’hui que 35 séminaristes : 19 seulement sont à proprement parler des séminaristes diocésains non affiliés à des communautés comme l’Emmanuel. Avec la permission de leur évêque, les séminaristes ne sont dorénavant plus tenus de suivre les cours de la très conciliaire Université grégorienne, mais peuvent opter par exemple pour Sainte-Croix (Opus Dei). Les Spiritains, auxquels est confiée cette institution qui périclite, et qui eux-mêmes ont accusé une baisse spectaculaire d’effectifs, vont progressivement abandonner le séminaire]. Et c’est aussi l’ensemble de Saint-Louis des Français qui, outre un centre culturel, comprend l’église nationale de la France à Rome (titre cardinalice, dont le cardinal Jean-Marie Lustiger était bénéficiaire et qui revient aujourd’hui au cardinal Vingt-Trois), église confiée à un recteur, un prêtre français généralement (mais pas nécessairement) en chemin vers l’épiscopat [Mgr Séjourné, pour sa part, occupa ce poste de 1987 à 1990 comme évêque, avant d’accepter l’évêché de Saint-Flour], et un convict, dirigé par le même secteur, recevant essentiellement des prêtres poursuivant leurs études dans des universités pontificales romaines. Le recteur de Saint-Louis des Français est, pour peu de temps encore, Mgr Pierre-Etienne Pillot, très proche de Mgr Duthel, responsable lui aussi pour peu de temps de la Section française dont je vais parler, et de Mgr Patenôtre, archevêque de Sens-Auxerre, dont on sait qu’il est prélat très « ouvert ». Il importe d’insister : pas plus qu’à l’époque du cardinal Villot, l’essentiel du monde dont la Section française est devenue le cœur n’appartient au « progressisme », au sens historique du terme, progressisme d’ailleurs en voie de disparition, en sa forme radicale, dans les instances ecclésiastiques dirigeantes. A preuve : Mgr Jordan, devenu archevêque de Reims, alors qu’il était poussé (sans succès) par la Section française vers l’archevêché de Paris, était au même moment épinglé par le Trombinoscope des évêques de Golias (édition 2004) comme « restaurateur ». Mais il faut savoir que, spécialement dans le dernier tiers du pontificat de Jean-Paul II, ce groupe d’influence français de Rome était en majorité résolument du côté de tous ceux qui étaient défavorables à l’action du cardinal Ratzinger, et a fortiori hostiles à son accession au souverain pontificat dont, providentiellement, ils n’ont pris vraiment au sérieux que trop tard la possibilité réelle. Les luttes d’influence au sein de la Curie, surtout à partir de 1990, ont en effet dessiné grosso modo deux tendances, l’une favorable, l’autre contraire, à ce que représentait le préfet de la Congrégation de la Foi (et spécialement à ses idées et projets liturgiques).

Mgr François Fleischmann, responsable de la section francophone de la Secrétairerie d’Etat, qui présentait les nécessaires garanties d’éloignement viscéral de toute forme de traditionalisme, retourna à Paris, son Eglise d’origine, en 1998, pour devenir chancelier du diocèse. Il fut alors remplacé par Mgr François Duthel (aujourd’hui, 56 ans et sur le point de laisser son poste), ancien aumônier d’étudiants du diocèse de Lyon, et dont la carrière a été impulsée par le cardinal Decourtray. Ce dernier en fut au reste renforcé dans ses capacités de dispensateur de mitres [au nombre des nominations auxquelles il a participé : Mgr Faivre (Le Mans, qui atteindra l’âge de la retraite l’an prochain), Mgr Garnier (Cambrai), Mgr Joatton (qui a quitté Saint-Etienne), Mgr Defois (qui vient de quitter Lille)]. François Duthel arrive-t-il au terme de ses fonctions à la tête de la Section francophone ? Elle est en fait un bureau de la « Première Section », celle des Affaires générales, dirigée jusqu’en juin dernier par Mgr Leonardo Sandri, nommé préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, sous les ordres immédiats duquel il se trouvait. Ceux qui ont des raisons de ne pas l’aimer exagèrent-ils le militantisme qu’il y a longtemps déployé au service du « religieusement correct » ? Il est sûr qu’il a été spécialement vigilant en ce qui concerne les jeunes clercs de Rome et très intervenant dans les nominations. Sur le premier point, il n’est pas anecdotique de rapporter que, si une évolution favorable a fait abandonner (mais pas toujours) le « délit de col romain » pour les clercs approchant de l’ordination, persiste en revanche, même s’il s’effrite à son tour, le « délit de soutane » pour les futurs prêtres. A Rome, les tentations de revêtir la tenue cléricale sont plus nombreuses : la rumeur – aussi anecdotique qu’on voudra – qui accusait le P. Duthel de faire photographier les séminaires qui s’y risquaient pour en informer les autorités du séminaire et leurs évêques est très significative de la crainte qu’éprouvent, aujourd’hui encore, les séminaristes non conformes d’être victimes de « purges ». Quand à la fréquentation, fût-elle épisodique, d’une communauté traditionnelle, pour un séminariste ou un prêtre épiscopable, il va de soi qu’elle était jusqu’il y a fort peu un péché plus grave encore.


L’opposition à Benoît XVI : une redoutable résistance passive


Assurément, le climat n’est plus aussi pesant qu’il fut jadis : dans les années quatre-vingt, des séminaristes de la via Sta Chiara se sont vus obligés d’écrire des lettres de motivation expliquant leur conception du sacerdoce, pour se dédouaner de suspicions de traditionalisme. Et pourtant, aujourd’hui même, on note, dans un certain nombre de maisons de formation, une crispation anti-traditionnelle, qui est peut-être un combat d’arrière-garde, mais dont les effets sont ravageurs : purge d’environ 15 séminaristes du Séminaire français trop traditionnels, il y a quatre ans ; mise sur la touche de 17 éléments semblables du séminaire régional de Toulouse, en juin 2007, en même temps qu’une nouvelle saignée au Séminaire français [parmi les signes de non-vocation : faire la génuflexion avant de communier, communier sur les lévres…] .Ce sont des épisodes plus qu’étonnants lorsqu’on sait qu’il ne reste plus actuellement que 750 à 800 séminaristes, si l’on compte l’année dite de propédeutique, dans l’ensemble des séminaires français « officiel » [Il y avait, après la rentrée 2007-2008, 756 séminaristes diocésains proprement dits en 2007, en France (mais pas tous français), dont 111 en stage] (sans parler du fait cruel que le nombre des séminaristes français pour le rite de Saint-Pie-V – comparables à des séminaristes diocésains – s’accroît régulièrement : 160 en octobre 2007).
Bien des nominations épiscopales françaises passent donc par le canal de la Section française, ou sont retenues par elle. Il est patent que la petite équipe des collaborateurs sur laquelle régnait Mgr Duthel, au sein de la Secrétairerie d’Etat, bénéficiant de sa position architecturalement et organiquement dominante dans les palais apostoliques, était en osmose avec un ensemble de secteurs du monde romain, solidement campés, qui constituent, il ne faut pas avoir peur des mots, une véritable opposition pour Benoît XVI. Une opposition qui attend patiemment son heure, compte tenu de l’âge du pontife régnant, et qui joue d’autant plus facilement sur les freins et les pesanteurs qu’elle connaît sa répugnance pour les « passages en force ». Et réciproquement, ces milieux romains d’opposition ont toujours cherché à tisser des liens d’autant plus étroits avec les Français de Rome de leur tendance qu’ils considèrent notre pays comme un modèle d’interprétation du Concile qu’il est particulièrement important de préserver.

L’attitude de ces milieux, depuis l’élection de Joseph Ratzinger au souverain pontificat, s’est un moment cherchée. Elle semblait, dans un premier temps, avoir opté pour la provocation délibérée, avec cet acte inouï : la révélation du déroulement du dernier conclave par un cardinal anonyme – la rumeur accusait le cardinal Pompedda, aujourd’hui décédé, ancien préfet du Tribunal de la Signature apostolique – censé avoir rédigé un Journal secret du conclave d’avril 2005, journal communiqué au journaliste Lucio Brunelli et publié dans la revue Limes. Mgr Piero Marini, alors cérémoniaire pontifical notoirement très hostile au projet de « réforme de la réforme » liturgique, affichait ostensiblement une attitude de mauvaise humeur et de mauvais vouloir : resistere, resistere, resistere. Mais l’étonnante popularité du nouveau pontife (les « entrées » des audiences du mercredi ont doublé par rapport à celles de la fin du pontificat précédent ; toutes les visites touristiques de Rome incorporent désormais l’angelus du dimanche) a désamorcé les critiques ouvertes. [Ce sont les translations loin de Rome de personnages importants (le préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, le cardinal Crescenzio Sepe, nommé archevêque de Naples ; Mgr Fitzgerald, président du Conseil pour le Dialogue interreligieux, envoyé comme nonce en Egypte) qui ont, dans un premier temps, frappé les esprits, plus que les nominations curiales significatives, comme par exemple celles du nouveau maître des célébrations liturgiques pontificales, Mgr Guido Marini, du nouveau secrétaire de la Congrégation du Clergé, Mgr Mauro Piacenza, du président de la Conférence des évêques d’Italie (dont la désignation est réservée au pape), Mgr Bagnasco, depuis cardinal]. Mais il reste à cette opposition romaine une mauvaise volonté attentiste, s’appuyant sur (et appuyant) celle de toute la palette des milieux ecclésiastiques français dirigeants, mauvaise volonté très efficacement paralysante d’une autorité qui craint d’user inutilement de ses dernières cartouches.

Au cœur de cette sensibilité d’opposition se trouve l’octogénaire (84 ans), mais fort actif cardinal Achille Silvestrini, personnalité digne des Mémoires du duc de Saint-Simon. C’est un fait connu : cet ancien préfet de la Congrégation des Eglises orientales, homme jovial, a longtemps tiré, et tire toujours, mille cordes ou fils ténus dans les mécaniques curiales. La nébuleuse Silvestrini avait, et a toujours, d’excellentes communications avec le Conseil pour le Dialogue interreligieux, avec le Conseil pour l’Unité des chrétiens du cardinal Kasper, et avec le Conseil Justice et Paix, que présidait le cardinal Etchegaray. [Et bien d’autres liens : congrégations religieuses italiennes solidement pourvues du point de vue financier ; librairie Leoniana, toute proche du Vatican, via dei Corridori, précieuse plaque tournante de renseignements (et principal établissement d’un groupe ecclésiastique possédant huit librairies romaines) ; connexions plus discrètes vers le grand journal « humaniste » de gauche, la Reppublica et médias apparentés (d’où, les accusations récurrentes d’affiliations maçonniques de tel ou tel prélat, certes improuvables, mais pas toujours incroyables, dans un monde curial où l’on trouve beaucoup de zèle et de dévouement, mais qui n’est pas exempt de pénibles et criantes misères)]. On note que cet ensemble de réseaux, ceux du monde Silvestrini, mais aussi la clientèle du cardinal Re, ensemble à mailles lâches et serrés, se sont en quelque manière radicalisés – de préférence dans la pesanteur – depuis qu’ils sont malmenés, ou plutôt grignotés, par la nouvelle politique, le cardinal Re expurgeant, par exemple, la Congrégation des Evêques de la poignée de collaborateurs qui s’y manifestaient d’une sensibilité autre que la sienne. Réseaux tous proches, par ailleurs, des milieux ecclésiastiques de l’hexagone qui comptent, tel le puissant groupe intellectuel et éditorial de Bologne en lien avec le Centre Sèvres de Paris. Ce groupe de Bologne comprend, d’une part, l’Institut pour les sciences de l’Eglise, fondé par l’historien Giuseppe Alberigo, aujourd’hui décédé (qui a publié, en collaboration avec les éditions du Cerf, une monumentale et très orientée Histoire du concile Vatican II), et d’autre part, les éditions Dehoniane, qui publient entre autres la revue-phare du « parti du mouvement » en Italie, Il Regno. Achille Silvestrini et les ecclésiastiques qui lui sont proches bénéficiaient en outre, et bénéficient toujours, de plumes journalistiques prestigieuses comme celle de Giancarlo Zizola (qui s’intéresse beaucoup, lui aussi, à la France : voir Romano Libero, dans Golias). Tous ont une certaine idée de la France ecclésiastique qu’ils entendent préserver.

On est tout de même tenté de se demander si ce monde a une réelle consistance. Il faut répondre oui, et même une très grande, dans la mesure où l’âge du Pontife régnant, certes en pleine et parfaite possession de ses moyens et auquel Dieu peut encore prêter de très longues années, encourage cependant à supputer sur l’avenir. Qui plus est, quarante ans d’esprit « postconciliaire » ont exténué les organes de pouvoir et comme désabusé ceux qui en héritent.


La fin d’une époque ?


De fait, le monde épiscopal français qui, notamment grâce à ces relais romains, s’est largement auto-désigné (Albert Decourtray « a engendré » Gérard Defois, qui « a engendré » Pascal Delannoy, son auxiliaire quand il était évêque de Lille, Jean-Luc Brunin d’Ajaccio, et encore Christophe Dufour de Limoges) n’est pas immuable. Il peut se réformer dans le sens de la vision propre du pape et de la demande du jeune clergé. Un point significatif montre que les choses sont en train de bouger, lentement il est vrai. Bien plus que l’accueil des traditionalistes, qui restent pour l’instant extérieurs à la pastorale du diocèse, malgré les textes successifs libéralisant le rite traditionnel (Quattuor abhinc annos, de 1984, Ecclesia Dei de 1988 et Summorum Pontificum de 2007), il s’agit de la place que les évêques concèdent et le traitement qu’ils réservent aux associations cléricales ou instituts de vie apostolique tels que la Communauté Saint-Jean, la Communauté Saint-Martin, ou d‘autres plus modestes (Communauté Saint-Thomas-Becket). L’état d’esprit des années soixante-dix, qui perdure encore largement dans l’épiscopat et dans les conseils épiscopaux, a fait que ces instituts, et plus généralement le jeune clergé considéré comme restaurationniste (jeune clergé conforté par des reviviscences ou des continuations dans un même esprit d’ordres ou congrégations anciens qui attirent des vocations : province dominicaine de Toulouse, Oratoire de Nancy, province d’Avignon-Aquitaine des Carmes Déchaux, Religieux français de Saint-Vincent-de-Paul, au moins jusqu’à ce jour [La province française de ces Religieux de Saint-Vincent-de-Paul, héritiers du catholicisme social intransigeant, est en passe d’être pulvérisée par la province progressiste canadienne], etc.), sont restés comprimés, voire marginalisés. Mais les changements sont notables.

Ce critère de la reconnaissance et de l’accueil des « nouveaux prêtres » n’est évidemment pas absolu (certains évêques « progressistes » leur laissent un espace notable). Il est cependant significatif d’évolutions favorables : alors que le défunt cardinal Eyt, archevêque de Bordeaux, au demeurant très irritable, réagissait vivement contre toute manifestation d’ « intolérance » dont il suspectait les clercs en col romain, le cardinal Ricard leur a confié la direction de son séminaire. Cependant que Mgr Pican – l’homme fort imprévisible et peut-être stylé par Mgr Gilson, alors archevêque de Sens, qui ne se cachait pas de vouloir barrer la route au clergé de nouveau style -, rentrant naguère d’une visite ad limina à Rome, déclarait à ses prêtres qu’il n’était pas question de demander les services des Communautés Saint-Jean ou Saint-Martin, ou que feu Mgr Moutel, archevêque de Tours, retirait à la Communauté Saint-Martin la charge de la paroisse de la cathédrale que lui avait accordée Mgr Honoré [parmi les reproches adressés à la Communauté Saint-Martin : la célébration sans permission d’une messe en latin hebdomadaire… selon le rite de Paul VI] ,inversement, Mgr de Germigny, évêque de Blois, laissait une place toujours plus large dans son diocèse à des prêtres ou des communautés de ce type. Ou bien encore, alors que l’archevêque de Bourges (Mgr Barbier, remplacé par Mgr Maillard, dans la même ligne) isolait ses « nouveaux prêtres » et commençait à organiser son vaste territoire sur le mode de paroisses sans prêtres, Mgr Rey ouvrait la pastorale du diocèse de Toulon à toutes les sensibilités « nouvelles » et voyait conséquemment les effectifs de son séminaire atteindre le dixième de l’ensemble des séminaires français.

Mais sauf dans ce cas, encore exceptionnel, du diocèse de Toulon, une telle évolution ne va pas jusqu’à donner un rôle pastoral officiel au clergé traditionaliste (qui, selon les projections, représentera pourtant dans 10 ans 10 à 20% du clergé français en activité). Car en fait, plus que l’hostilité frontale de Mgr Gilson, qui exposait à ses confrères, en 2003, rue de Babylone, à Paris, les dangers d’une réconciliation avec le lefebvrisme, l’action d’une « troisième voie », dont le cardinal Lustiger a été le plus efficace représentant, notamment dans le domaine de la nomination des évêques, a largement contribué à empêcher la montée traditionalisante qui aurait pu et qui pourrait se manifester dans l’Eglise de France. Et c’est ce qu’il faut maintenant examiner.

La suite de cette étude de Claude Barthe , dans nos deux prochaines lettres....