5 août 2011

[Don Stefano Carusi, ibp - Disputationes Theologicae] Novus Ordo Missae : la légitimité d’exprimer avec franchise une pensée théologique propre.

SOURCE - Don Stefano Carusi, ibp - Disputationes Theologicae - 5 août 2011

Notre site a reçu la question suivante, qui dévoile certaines préoccupations non dénuées d’intérêt théologique :
« Selon l’article 19 de l’instruction « Universae Ecclesiae » tout ceux qui disent ou vont à la messe traditionnelle ne doivent pas être contre la validité et la légitimité de la Nouvelle Messe, donc ils ne peuvent pas mettre en doute le rite de Paul VI. Cela veut-il dire que, selon le document, il n’y a plus aucune possibilité de la critiquer ? Qu’en est-il de la liberté de débat théologique ? Ensuite, concernant les problèmes du nouvel Offertoire, ceux-ci semblent plutôt être sérieux. Ne peut-on plus en parler ? Si j’ai des objections sur la Nouvelle Messe devrais-je donc, selon l’instruction et pour être plus cohérent, me rapprocher de groupes qui sont en rupture avec Rome ? Je me demande ce que sont les positions de l’IBP … Et ce qu’en dit Disputationes?» -- Giacomo Santini
Réponse de Disputationes Theologicae (nous reviendrons plus tard de manière approfondie sur certains des points évoqués ici)

L’instruction « Universae Ecclesiae » dans son contexte :  
Premièrement, selon les normes les plus élémentaires du réalisme thomiste, un document disciplinaire prend place dans un contexte historique et dans une situation particulière de l’Eglise. Avec un retard significatif – sans doute dû en partie aux oppositions que rencontre le Saint Père, à l’intérieur même de la Curie Romaine, et qui tendent à retarder ses projets – la Commission Ecclesia Dei a produit un texte qui, dans le contexte actuel, a été très courageux. Il est clair que le Pape, qui a approuvé le texte, et avec lui la Commission, veulent sortir de cette mentalité qui réduit l’usage de la Messe grégorienne à un indult pour esthètes nostalgiques – mentalité qui n’a certes pas servi l’Eglise. Il ne doit plus en être ainsi et même Rome l’affirme aujourd’hui. La Messe grégorienne, comme l’a appelé le card. Castrillon Hoyos, est présentée dans le document comme un rite vénérable, auquel on doit le plus grand respect ; il s’agit, comme l’a même appelé le journal Avvenire, d’un trésor précieux : une référence essentielle en liturgie, mais aussi une « médecine » qui doit être abondamment diffusée pour soigner un « malade », à savoir les célébrations « désacralisées » – mais cela  n’est évidemment qu’implicite dans le texte. Il s’agit cependant là d’une position tenue par le Saint Père depuis les années 70, au moment où il constata avec douleur l’effondrement liturgique et doctrinal de l’après-Concile. Le texte va dans ce sens, spécialement pour qui sait lire entre les lignes, mais, étant donnée la délicate situation au Vatican – dont il faut tenir compte, au nom même du réalisme thomiste –, le pape est contraint d’agir avec une très grande prudence, afin de ne pas heurter ceux qui, même parmi les prélats, sont très hostiles à son œuvre. Ces jours-ci, on a d’ailleurs pris connaissance de la révolte de certains épiscopats contre le Saint-Siège, du clergé autrichien et de nombreux théologiens allemands. Ces signes historique sont connectés entre eux et, de manière réaliste, sont déjà un fait conditionnant.
L’instruction, il va sans dire, possède un grand mérite : elle donne finalement à la Commission des pouvoirs effectifs contre les récalcitrants. Il est difficile de savoir, en pratique, quel sera le mode d’exercice de ces pouvoirs, mais, dans l’attente d’une structure canonique plus solide, le principe en est affirmé. Après cette esquisse rapide des raisons de l’instruction (qui est, peut-être, le premier d’une série de documents explicatifs) venons-en à l’article 19, objet de tant de polémiques, lequel doit être lu dans le texte latin, étant donné les erreurs syntaxiques et grammaticales de certaines traductions. Regardons donc le texte avec attention, sans se laisser détourner par les présentations tendancieuses qui en ont déjà été proposées, voyons ce qu’il affirme, puis donnons à son sujet quelques réflexions.
L’article 19.
Le texte de l’article s’adresse aux fidèles qui demandent la célébration de la Messe grégorienne (« Christifideles (…) postulantes auxilium ne ferant neque nomen dent »),  les invitant à ne pas soutenir des sociétés qui combattent de manière hostile et féroce les textes officiels sortis de la réforme liturgique (“inpugnent formam ordinariam” - “sint infensae”) et/ou qui sont hostiles au Souverain Pontife. Ce que l’article affirme est donc qu’une chose bien précise ne peut pas se faire : attaquer la validité ou la légitimité de tels textes. Il est évident que le texte vise précisément la Fraternité saint Pie X. La Commission, en plus de recevoir avec une délicatesse toute diplomatique les préoccupations exprimées par certains secteurs du monde catholique, a voulu en même temps admonester sévèrement ceux qui, dans les milieux dits « traditionalistes », attaquent le Pape et le missel de 1970 de façon extrême, méconnaissant le rôle passé et présent, en matière liturgique, de Pierre. Il arrive en effet d’entendre, même de la bouche d’ecclésiastiques « traditionalistes » de haut rang, des accusations catégoriques contre toute sorte de légitimité, et parfois même contre la validité de la messe promulguée par Paul VI. Il y a aussi des fidèles, totalement ignorants en théologie, qui ont la prétention de prononcer des sentences définitives et péremptoires à propos de toute messe célébrée selon un Missel promulgué par un Pape. Il y enfin des prêtres, dont certains ne sont pas totalement novices en théologie, qui en sont venus à soutenir, toujours avec une certitude infaillible, que le Novus Ordo n’a jamais été promulgué, ni jamais ne pourra l’être, en raison de son objet « mauvais en soi ». Il est en effet connu en théologie que ne peut avoir valeur de « loi » un acte prescrit dont l’objet est contraire à la loi naturelle ou à la loi divine. Après avoir ainsi comparé le Novus Ordo à un acte moral toujours mauvais – comme l’est par exemple l’adultère– il est clair que le Novus Ordo n’est pas une loi, comme ne pourrait l’être un décret prescrivant l’adultère. Cette thèse, parfois exprimée en syllogismes rigoureux par des prêtres qui sont par ailleurs dignes d’estime, n’est pas l’apanage des seuls sédévacantistes… mais aussi de ceux qui nient être eux-mêmes sédévacantistes sans se rendre compte que c’est là leur théologie et leur mentalité.
Dans certaines revues traditionalistes célèbres, à côté de justes observations critiques, ont parfois été ajoutées certaines affirmations qui, si elles ne nient pas directement la validité du rite, ont du moins équiparé l’assistance aux Messes du Nouvel Ordo à l’assistance à un rite protestant, auquel on ne peut jamais assister activement sans péché. Certains en sont même arrivés à parler – montrant par là quelques lacunes métaphysiques – de « présence réelle mauvaise » aux messes célébrées selon le Novus Ordo ; ou à éviter de mélanger les hosties consacrées dans les deux rites ; ou encore à déconseiller l’assistance aux Messes de tous les prêtres reconnus canoniquement par le Pape. En bref, on a atteint – et même parfois dépassé – le délire théologique, au moyen de doctrines eucharistiques douteuses, si ce n’est totalement hérétiques. Contre de telles positions « criées », irrespectueuses et en tout cas téméraires d’un certain monde traditionaliste, le Saint-Siège est intervenu et, en particulier avec l’article 19, a manifesté aux fidèles « traditionalistes » qui veulent demeurer à la fois avec ceux qui défendent ces thèses sédévacantistes et avec ceux qui sont liés au Pape que face au Motu Proprio il n’est désormais plus possible de rester assis entre deux chaises. Quant à ceux qui sont ouvertement sédévacantistes, leur cas est évidemment plus simple.
Le respect d’un texte liturgique approuvé par l’autorité n’est pas incompatible avec le droit de proposer des observations théologiques (cf. CIC, can. 212 et 215)
La question comporte deux aspects. D’une part, le Novus Ordo missae se présente comme une loi liturgique promulguée pour l’Eglise universelle, de sorte qu’il faille reconnaître l’assistance prudentielle que le Christ a promis à son Eglise jusqu’à la fin des temps. Certains, il est vrai, objecteront que les théologiens ne s’accordent pas sur la définition de l’infaillibilité des « faits dogmatiques » comme la liturgie – transeat. Il s’agit là effectivement de questions complexes et délicates, mais quoiqu’il en soit cela ne justifie pas qu’on « attaque avec hostilité » (« impugnent », « infensae ») le Missel en question et l’autorité qui l’a promulguée. Un tel respect envers l’autorité ne signifie pas, cependant, qu’il faille nier obstinément – comme celui qui se ferme les yeux volontairement, alors que le problème lui saute aux yeux – la gravité de l’actuelle situation liturgique. Car elle ne se limite pas, c’est évident, aux abus liturgiques ; elle réclame au moins une « réforme de la réforme », réclamée désormais par divers prélats. La liturgie réformée a besoin urgemment d’être révisée. On pourrait par exemple: 1) rétablir la célébration versus crucem – ce que le Pape fait déjà, dans une certaine mesure ; 2) revoir l’Offertoire – c’est ce que proposait le professeur Mons. Nicola Bux sur ce site il y a plus d’un an ; 3) donner la communion exclusivement sur la langue et à genoux – ce qui est l’opinion du card. Canizares lui-même, préfet de la Congrégation du Culte Divin ; 4) Réexaminer certaines traductions  et formulations – dans le sillage des dispositions prises par le Pontife régnant en faveur de la réintroduction du « pro multis » traditionnel dans la formule consécratoire du nouveau rite.
Le Saint-Père, il y a déjà longtemps, a lui-même dénoncé par écrit les problèmes posés par la réforme liturgique ; et l’article 19 n’impose pas de nier ces problèmes : il affirme que seule l’Autorité Suprême peut porter un jugement définitif sur une matière et une situation aussi délicate que celle de la question liturgique. Dans les milieux traditionalistes qui se veulent les plus « durs », il va donc falloir revoir les mentalités, et aussi les paroles, parfois plus dures encore, contre ceux qui célèbrent la nouvelle Messe ou qui y prennent part, comme si elle ne jouissait d’aucune approbation et qu’elle n’était ni plus ni moins qu’un rite acatholique. La question est bien plus complexe, et c’est ce qui est désormais reconnu. Il ne suffit pas d’être « traditionaliste » ; il faut aussi se forcer à faire quelques distinctions. Et avant tout, il faut apprendre à respecter l’autorité de Pierre et à agir avec un esprit de charité ecclésiale.
La fidélité à ces principes fondamentaux d’appartenance catholique n’avait toutefois pas empêché les cardinaux Ottaviani et Bacci de signer le « Bref examen critique du Novus Ordo Missae » ; ni empêché le cardinal Castrillon Hoyos d’écrire (de la part du Saint-Siège) que si on met en évidence certaines incohérences, la critique constructive devient un précieux service pour l’Eglise. Quel serait alors, si on ne souligne pas cet aspect, la spécificité de l’Institut du Bon Pasteur ? Quelle serait, autrement, la raison d’être de cette revue ? Cela veut dire que l’acceptation des principes de base mentionnés ici n’est rien d’autre qu’un simple signe de cohérence théologique et ecclésiale pour qui ne veut pas tomber dans le sédévacantisme pratique, même s’il est parfois inconscient. Et ce n’est pas pour autant que toutes les réserves tombent, ni que l’on doive agir ou parler contre sa propre conscience, ni encore que l’on se trouve ainsi obligé au servilisme ou empêché d’exprimer avec franchise ses critiques, même par rapport à la réforme liturgique. Telle avait été l’attitude du cardinal Alfredo Ottaviani. Nous faisons nôtres les observations sur le Novus Ordo du courageux préfet émérite du S. Office, que jamais personne ne pourra accuser d’avoir commis des actes illicites ou de désobéissance envers le Vicaire du Christ. 

Don Stefano Carusi