12 septembre 2011

[Abbé de Tanoüarn, ibp - Metablog] Assise III : ceux qui crient avant d'avoir mal

SOURCE - Abbé Guillaume de Tanoüarn, ibp - Metablog - 12 septembre 2011

C'est une importante étude théologique que l'abbé de Cacqueray, supérieur du district de France de la Fraternité Saint Pie X a souhaité rendre publique, en indiquant qu'elle avait reçu approbation de Mgr Fellay, supérieur général de la même Fraternité. Sa publication, aujourd'hui, 12 septembre, en la fête du Saint Nom de Marie, instituée pour commémorer la victoire d ela Montagne Blanche qui sauva le catholicisme dans l'Empire, me paraît hautement significative. Certains, anticipant sur l'anticipation, semblent ici se prendre pour des sauveurs de l'Eglise. De quoi s'agit-il ?

Tout le monde attend avec impatience la réunion annoncée pour le 14 septembre à la Commission Ecclesia Dei. On connaît la résolution de Benoît XVI : recréer l'union avec la Fraternité Saint Pie X, en offrant à ses supérieurs un Pont d'or, non pas en devises ni en métal précieux, mais un pont d'or institutionnel, quelque chose comme un Ordinariat des traditionalistes dans le monde.

Certes les communautés Ecclesia dei sont, dit-on avec quelque complaisance, très opposées à cet accord qui donnerait au fils prodigue davantage qu'au fils aîné, comme dans l'Evangile. Il me semble qu'en l'état actuel des choses le calcul du fils aîné - avec son éventuelle colère rentrée ou revendiquée - est un mauvais calcul, car nous avons tous à retirer quelque chose, pour le bien de la cause, du séisme qu'engendrerait un tel accord.

Mais l'hostilité la plus grande à cette signature historique, on la trouve certainement au sein même de la FSSPX, comme le montre la publication de ce texte sur Assise III, juste deux jours avant la réunion du 14 et alors que, la réunion d'Assise étant fixée au 27 octobre, en soi rien ne pressait pour une telle mise au point.

La publication de cette étude théologique est indéniablement un geste politique, qui montre l'inquiétude des supérieurs locaux (en particulier français) devant un possible bouleversement de la situation canonique de la FSSPX. Que peut-on en tirer sur les résolutions de Mgr Fellay lui-même ? Pas grand chose. Le Supérieur n'a pas pu ne pas donner son accord à un article qui reprend des textes de sa propre plume. Mais que pense-t-il de cette publication ? Compte-t-il l'utiliser à Rome pour gagner du temps et essayer encore de ne pas signer, sans pour autant rompre les contacts et en s'inscrivant, comme il le répète désormais, dans la feuille de route qui, à moyen terme, doit voir le rapprochement tant attendu ? Simple supputation. Mais il me semble que cette perspective est plausible.

D'autant que la seule structure canonique acceptable pour la FSSPX, étant donné l'attitude de l'épiscopat un peu partout dans le monde, est ce que l'on appelle un Ordinariat traditionaliste (comme il y a un ordinariat aux armées ou désormais un ordinariat pour les anglicans convertis au catholicisme). Créer un ordinariat (et non une simple administration apostolique) c'est conférer au supérieur de la FSSPX une juridiction immédiate sur tous les fidèles qui se réclament de lui. On est au-delà d'un bricolage juridique. Cela signifierait que le supérieur de cette structure aurait par lui-même une légitimité pastorale sur ses ouailles, sans relever des Conférences épiscopales puisqu'elles sont nationales et que la Fraternité est Internationale. On conçoit que Mgr Fellay ne puisse pas refuser si beau cadeau ! Un cadeau qui peut changer énormément de choses dans l'Eglise en créant une autorité traditionaliste, ne relevant d'aucune conférence épiscopale mais du pape seul (et sans doute de la Commission Eclesia Dei ?)

Arrivera-t-on à un tel résultat dès le 14 septembre ? Sans doute pas. Mais c'est bien là que mène la feuille de route, revendiquée des deux côtés. N'ayons pas la prétention de gêner ou d'empêcher cette feuille de route, à laquelle je le répète, Mgr Fellay tient autant que le pape.

Dans ce contexte, l'étude publiée par l'abbé de Cacqueray, si précise et apparemment rigoureuse soit-elle, laisse l'observateur un peu perplexe. Pourquoi crier avant d'avoir mal ?

Et ce d'autant que les textes cités scrupuleusement en notes montrent bien que la démonstration (qui consiste à dire que Assise III = Assise I et que Mgr Fellay doit répondre au nouvel Assise comme y répondit naguère Mgr Lefebvre : par la désobéissance et la dénonciation du scandale) est une démonstration qui "patine".

Elle m'évoque ce que l'on trouvait cet été sur la Porte Latine, site de la FSSPX en France, à propos des JMJ de Denver (1993). Ces textes étaient publiés pour contrer les JMJ de Madrid (2011). Ici Assise I (1986) est utilisé contre Assise III (2011).

Qu'y avait-il de contestable dans le sommet interreligieux organisé par Jean-Paul II à Assise en 1986 ? Il me semble que toute la critique que l'on peut en faire tient dans cette phrase de Jean Paul II, qui explique tous les écarts et les débordements, Bouddhas sur des autels chrétiens etc. : "Les diverses religions sont des limitations de l'unique dessein divin de salut". Pour le dire d'un mot : on s'exposait dans la pratique, avec une telle formule, à confondre dans un même élan la religion qui est bonne parce qu'elle est naturelle au coeur de l'homme (cf. Somme théologique IaIIae Q81 sur la vertu de religion) et la religion surnaturelle qui seule sauve, en donnant la vie éternelle, c'est à dire en faisant participer les hommes sauvés à la vie que Dieu veut leur donner. Mgr Lefebvre a eu raison de tirer la sonnette d'alarme et de dénoncer une telle ambiguïté entre nature et surnaturel, une telle manière de surnaturaliser le naturel ou l'humain. le cardinal Ratzinger l'avait fait d'ailleurs lui-même à sa façon à l'époque. Il avait écrit sur ce sujet des textes de critique théologique qui sont recueillis dans Foi, vérité, tolérance (2002), dans lesquelles il réclame la plus grande prudence dans l'organisation de tels sommets.

Le pape va-t-il manquer à cette prudence ? Il est trop tôt pour en être sûr. Mais les phrases de Benoît XVI citées par l'auteur de l'étude montrent bien que des précautions sont prises pour éviter l'indifférentisme religieux qu'engendre fatalement de telles confusions entre nature et surnaturel.

Que constate-t-on dans l'organisation d'Assise III ?

Voici une liste non limitative des précautions prises par Benoît XVI :
1- Les responsables religieux sont réunis pour "prier ou réfléchir" en silence. Prier ou réfléchir : les deux mots sont utilisés. Ce n'est pas pour rien. il ne s'agit pas de donner une valeur surnaturelle ni même une valeur de prière à toutes les méditations de toutes les religions (Communiqué du 2 avril).

2- Les responsable religieux doivent comprendre que "leur foi religieuse" est "un service de la paix dans le monde" (Message pour la paix 1er janvier 2011). Il n'est pas écrit que toutes les fois religieuses participent à l'unique dessein divin de salut : là on surnaturaliserait des religions qui n'ont aucune valeur de salut et qui, par elles-mêmes, expriment seulement la nature (bonne et mauvaise : ambigüe) du coeur de l'homme.
Ces religions expriment la nature bonne de l'homme comme le souligne saint Thomas, en rendant l'hommage de la créature au créateur dans l'action de grâce, ce que tout homme peut faire.
Mais elles peuvent aussi, ces religions, exprimer la nature mauvaise de l'homme. Il existe, à travers la canonisation de la violence et de la guerre sainte par exemple, à travers des rites barbares de transe de meurtres et de cannibalisme, des vices de religions.
Lorsque le pape demande aux religions de se concevoir elles mêmes comme un service de la paix (et non une caution de la violence, dix ans après le 11 septembre la précision est importante), il accomplit un geste important et légitime. Il demande aux religions de se conformer à la vertu naturelle de religion, sans tomber dans les excès qu'engendre trop souvent l'instinct religieux dans l'homme.

3- Ce faisant, loin de mettre le catholicisme à égalité avec les autres religions, il manifeste son leadership naturel d'homme en blanc sur toutes les autorités religieuses du monde. Cette autorité morale qu'il donne, à travers sa personne, au catholicisme est une expression de la royauté sociale du Christ, mais non de sa royauté divine, de sa royauté surnaturelle et salutaire. Pour reprendre une formule de Maurras, à Assise III le pape agira au nom de l'Eglise de l'ordre, dans son rôle social universel, et pas au nom de l'Eglise du Christ dans son rôle salutaire et surnaturel. Peut-on distinguer ainsi l'ordre naturel et l'ordre surnaturel ? Toute la tradition thomiste l'accepte.

4- Dans le communiqué du mois d'avril, le pape parle aussi d'un pèlerinage silencieux, symbolisant la recherche de la vérité. Le concept de recherche d ela vérité est difficile à manier, certes. mais il est absolment orthodoxe. Imaginez que vous partiez faire un goum avec un de vos amis bouddhiste ou musulman : où serait le pb ? Dans le caractère éventuellement publique de cette initiative ? Même pas. Quel mal y a-t-il à figurer la quête de la vérité dans une marche silencieuse ? Certes la quête chrétienne est lourde de ce qu'elle a trouvé ou de ce qu'elle sait devoir trouver. Eh bien ! Il faudra le préciser. Le pape le précise d'ailleurs un peu déjà lorsqu'il demande aux responsables religieux de "s'unir à son chemin" à lui...

5- Fait doctrinal important, il n'est pas question de la tristement célèbre "unité spirituelle du genre humain" à laquelle se référait, en une sorte d'incantation, le premier paragraphe de Lumen gentium. Cette unité spirituelle du genre humain, c'est un concept maçonnique, imaginant l'impossible fusion de toutes les traditions humaine, pas un concept catholique. Nous savons que spirituellement l'humanité ne s'unira que dans le jugement du Christ qui constitue d'ailleurs l'ultime phase da sa glorification, comme on peut le lire au chapitre 17 de saint Jean. Et par son jugement le Christ unit, mais aussi il sépare les brebis des boucs... Eh bien ! De manière opportune, cette unité du genre humain, lorsque Benoît XVI en parle, elle se réduit à la paix qui doit régner entre les nations, à un idéal humain de prospérité et non à une sorte d'apocatastase de toutes les religions en une. C'est "le chemin du dialogue et de la fraternité dans un monde en mutation". Ce n'est pas la babélisation appelée et attendue comme une sorte de salut monstrueux.

Ces cinq points peuvent apparaître comme... des points de détails. Je crois au contraire qu'il suffise à lever les ambiguïtés théologiques qui pesaient sur Assise I.

On peut penser que le geste sera plus fort que le message dans un tel événement auquel on souhaite d'emblée une répercussion de masse. Mais pour être sûr de cela, il aurait fallu attendre l'événement lui-même. Pas crier avant d'avoir mal. Et pas instrumentaliser la perspective d'Assise III de cette façon catégorique et insuffisamment respectueuse de la lettre des textes pontificaux, comme si l'objectif était de justifier d'avance une non-signature, ce qui ne paraît pas conforme à la fameuse "feuille de route".

Que peut-on dire en défense de Benît XVI ? Le pape avait le choix entre deux attitudes : soit il se détournait d'Assise (et il laissait un de ses successeurs reprendre en pire la théologie potentiellement indifférentiste de Assise I) ; soit il corrigeait Assise, pour éviter que l'on puisse faire de Assise I une tradition... bien assise.

C'est de cette dernière manière, et donc pour le bien, qu'il faut pour lors interpréter l'attitude de Benoît XVI, étant donné les réticences qu'il a produites dans le passé et les corrections "benoîtes" qu'il introduit dans le présent (texte du 1er janvier et Communiqué du mois d'avril) sur ce sujet. Je peux me tromper. J'ai fait partie de ceux qui ont signé l'année dernière une demande respectueuse de précisions théologiques au pape. Il me semble que ces précisions sont données petit à petit, j'allais dire justement : "benoîtement".

Elles ne sont pas assez claires ? Peut-être mais elles vont toutes dans le même sens et laissent bien augurer d'une manifestation qui sera très observée par les experts, à défaut d'être suivie par les masses.