10 avril 2011

[Jean-Louis Fabiani - Mediapart] Pissed off by Piss Christ. Les catholiques intégristes à l'assaut de la fondation Lambert

SOURCE - Jean-Louis Fabiani - Mediapart - 10 Avril 2011

Avignon. Samedi 9 avril, 15h35. Un petit groupe d'une trentaine de personnes suit un jeune abbé en soutane et s'engage dans la rue Violette. Il y a plus de femmes que d'hommes. L'une d'elles est en fin de grossesse. Deux poussettes avec des bébés et deux petits garçons strictement vêtus attestent du caractère familial du rassemblement. Un journaliste de France Bleu Vaucluse équipé d'un magnétophone,  ne quitte pas le prêtre. Deux journalistes femmes de la presse quotidienne régionale prennent des notes. Le groupe s'approche de l'entrée de l'hôtel de Caumont, siège de la fondation Lambert, qui accueille en ce moment l'exposition restrospective  au titre prédestiné «Je crois aux miracles» . La grande bannière qui flottait à l'entrée et qui représentait l'œuvre d'Andres Serrano, Piss Christ, a été retirée. L'affiche représentant l'œuvre accueille également le voyageur à la gare d'Avignon centre aussi bien qu'à celle des TGV. Alors que j'ai passé une heure dans l'espace de l'exposition, notant simplement la fébrilité des gardiens et quelques propos à voix basse, je constate en revenant dans la cour de l'hôtel que la porte d'entrée a été fermée. L'exposition n'accueille plus de visiteurs et n'accorde à ceux qui sont déjà à l'intérieur un timide droit de sortie. Je choisis de sortir, sachant que la fondation a évité la confrontation directe et que je ne verrai pas la manifestation de si je ne sors pas. Je me retrouve par chance aux côtés de l'abbé, Régis de Cacqueray, de la fraternité de Saint Pie X, photogénique et très à l'aise, et qui s'adresse autant, sinon plus, aux journalistes, qu'à ses ouailles. Il sonne une première fois. Pas de réponse. Il se tourne vers les fidèles et dit : « pas de réponse, nous allons réessayer ». Il sonne une deuxième, puis une troisième fois, puis se tourne définitivement vers les fidèles : « le musée Lambert n'a pas eu le courage de nous recevoir pour cette action de réparation et je le regrette. Mais nous allons prier à l'extérieur. Une fidèle dit : « Il faut toujours sonner trois fois ». Deux cyclistes de la police nationale ont rejoint le petit cortège et se tiennent en retrait, à l'ombre, appuyés sur leur vélo. Le prêtre sort d'un plastique transparent quelques feuilles de papier et se met à parler. Il commence par une déclaration d'ordre général, dont le ton est plutôt modéré et ne se réfère que très brièvement à la religion catholique. Il commence par se situer à un niveau qu'il définit comme « simplement artistique ». L'œuvre est d'une très mauvaise qualité et elle n'attire guère le public. Son jaune couleur d'urine est particulièrement stigmatisé par le prêtre. L'urine, couleur et odeur, reviendra d'ailleurs plusieurs fois dans sa déclaration. Il évoque les fortes subventions de l'Etat et de la Région PACA à la fondation Lambert et fait le pari que l'œuvre ne résistera pas au temps. Il mentionne que l'œuvre a été « interdite » aux Etats-Unis et en Australie et se réjouit des 25000 signatures de protestation reçues en quelques jours sur le site Civitas. Il en vient alors au vif su sujet, le blasphème, mais l'expose de manière détournée, en enrôlant dans son argumentation les autres religions monothéistes. Que peuvent dire les musulmans du fait qu'un de leurs prophètes, Jésus, se trouve humilié de cette façon. Il ne faut pas oublier que c'est un juif qui baigne dans l'urine. L'abbé termine brièvement en insistant sur la blessure que l'œuvre de Serrano fait aux catholiques en balayant la justification de l'artiste qui a revendiqué un geste mystique. « Qu'il se la garde sa mystique. Il peut la tremper dans l'urine s'il en a envie ».  Le prêtre demande alors aux fidèles de se mettre à genoux pour entendre l'action de réparation au Sacré-Cœur de Jésus. Tous s'exécutent, y compris les petits enfants, sauf la femme enceinte, les trois journalistes, les deux policiers cyclistes et un adolescent curieux qui a rejoint le groupe. Je reste debout en face de l'abbé qui m'a regardé avec insistance à plusieurs reprises : on peut dire que j'incarne l'instance du badaud, mais aussi que je pourrais être un sympathisant timide qui n'ose pas exprimer sa foi en public. Un grand type athlétique en chemise bleue est venu me flairer au début de la scène. Je comprendrai en fin de parcours qu'il est préposé au maintien de l'ordre, tout en manifestant sa foi avec détermination.

Le prêtre lit d'une voix ferme l'action de réparation du Sacré-Cœur de Jésus. Les fidèles sont concentrés. Au milieu de la lecture, un couple de touristes accompagnés d'un enfant se présente devant l'entrée de la fondation, regrettant de trouver porte close. L'homme dit : « Et les droits des athées, alors ! ». Le costaud en chemise bleue se relève et dit d'une voix très forte : « Et si quelqu'un pissait sur ta mère tu laisserais faire ? ». Le touriste tente de répondre mais les deux flics cyclistes s'approchent et lui intiment l'ordre de circuler, ce qu'il fait à contre-cœur, encouragé par sa compagne. Son action de protestation a été confortée par un clochard torse-nu qui vient de rejoindre la scène par hasard. Il est ivre et cesse rapidement de tenir tête aux policiers. Tout se calme et l'abbé peut réciter, accompagné de tous les fidèles, un fervent Je vous salue   Marie.

Merci à Emmanuel Ethis. Je pars en Roumanie et ne pourrai pas rendre compte du chemin de croix cet après-midi à la chapelle des Pénitents Noirs. Regardez-bien et racontez nous.