23 juillet 2010

[Paix Liturgique] un autre regard sur le bilan du Motu proprio: 2 - l'Italie, une application qui avec le temps pourrait devenir exemplaire

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 240 - 23 juillet 2010

Dans notre lettre 237 du 2 juillet dernier, nous avons publié le premier volet de notre enquête sur la mise en application de la forme extraordinaire du rite romain introduite par le Motu Proprio Summorum Pontificum.

En préambule de cette première lettre, consacrée à l'Allemagne, nous présentions les raisons de notre enquête dont voici une synthèse :

Trop de nos pasteurs ne voulant pas admettre qu’il existe bien de nombreux groupes de demandeurs de célébrations extraordinaires dans leurs paroisses, nous voulons simplement démontrer qu’indépendamment des demandeurs mis à l’écart, il existe aujourd’hui, et ce partout à travers le monde, des centaines de cas où la simple application partielle du Motu Proprio permet de constater l’existence de demandes à satisfaire avec bonté et charité (et, s’agissant d’un droit, en justice).
Notre attention se portera en particulier sur les fidèles qui tout en bénéficiant d’une application partielle du Motu Proprio sont néanmoins privés de messe dominicale hebdomadaire ou de messe dominicale tout court.

Ceux qui le désirent peuvent se reporter à notre lettre 237 pour l'explication de notre méthodologie.

Cette semaine, notre regard se porte sur l'Italie, pays qui a vu, entre 2007 et 2010, le nombre de messes célébrées selon le missel du Bienheureux Jean XXIII multiplié par 4 (d'une trentaine en 2007 à 120 aujourd’hui, sans compter toutes les messes célébrées par la FSSPX).

Un grand nombre de ces nouvelles célébrations, il est bon de le signaler, car cela distingue l'Italie de la France, sont le fait non pas d'un groupe de laïcs mais de la propre initiative du curé du lieu. 

I – LE BILAN ITALIEN

En octobre 2009, en partenariat avec l'institut Doxa, Paix Liturgique publiait le premier de ses sondages internationaux (voir lettre de Paix Liturgique n°200). Réalisé en Italie, celui-ci révélait que 1 catholique transalpin sur 3 assisterait volontiers, au moins une fois par mois, à la forme extraordinaire de la messe si celle-ci était célébrée dans sa paroisse sans se substituer à la forme ordinaire. Un chiffre qui s'accroissait jusqu'à 63% chez les pratiquants réguliers.

Pourtant, jusqu'au Motu Proprio Summorum Pontificum, la célébration de la liturgie traditionnelle était plus que marginale au pays de Dante : une trentaine de messes (pour plus de 200 diocèses). Ce qui démontrait que dans un pays sociologiquement encore très catholique, les fidèles préféraient garder le silence et subir la situation plutôt que de montrer leur insatisfaction, par « légitimisme » vis-à-vis du clergé, ce que la faible implantation de la FSSPX dans le pays confirme d'ailleurs.

Les sites messainlatino.it et unavox.it constituent les sources principales de nos informations italiennes.

A – Nombre de lieux où la forme extraordinaire n'est proposée qu'en semaine et pas le dimanche :
39 sur un total de 120 célébrations, soit 32,5%.

B – Nombre de lieux où le Motu Proprio n'est offert qu'un dimanche de temps à autre et pas tous les dimanches :
17 sur un total de 120 célébrations, soit 14,1%.

C – Nombre de lieux où la messe est dominicale et hebdomadaire mais à un horaire non familial (avant 9h30 et après 12h le matin, avant 18h et après 18h45 le soir) :22 sur un total de 120 célébrations, soit 18,3%.

D – Nombre de lieux où la messe est dominicale, hebdomadaire et à un horaire familial, donc où le Motu Proprio est appliqué avec Amour et Charité :42 sur un total de 120 célébrations, soit 35%.

E - Nombre de lieux où la messe est célébrée par la FSSPX :25 mais 8 seulement où la messe est dominicale, hebdomadaire et à un horaire familial. 

II – LES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Avec 42 messes dominicales hebdomadaires célébrées à des horaires familiaux (soit 35%), l'Italie fait mieux que l'Allemagne (30 pour 22,5%).
Le fait que l’application du Motu Proprio soit souvent de l’initiative du curé y est sans doute pour quelque chose. On touche là à l’une des difficultés du Motu Proprio, lequel demande l’existence et la « prise de parole » d’un groupe stable pour qu’une célébration soit organisée. C’était de la part du Saint-Père une manière très pragmatique de légitimer et d’encourager ce qui avait lieu précédemment, spécialement en France. Mais en soi, dans une situation redevenue normale, c’est le curé qui devrait prendre l’initiative pastorale et faire en sorte que le groupe se déclare, car sans cela souvent il n'ose entamer une démarche qui trop souvent apparaitrait comme "revendicative".
Quand le curé ne se contente pas de répondre positivement à la demande des fidèles (ce qui est déjà beaucoup) mais souhaite de lui-même célébrer la forme extraordinaire, on peut imaginer qu'il se mette dans les conditions les meilleures pour que l’application soit une réussite (information des fidèles sur l’existence de cette célébration, horaire familial, formation à cette forme liturgique…).
Toutefois ce chiffre reste encore faible. Seule 1 messe traditionnelle sur 3 est célébrée chaque dimanche à un horaire familial. Or, c’est bien ce type de célébrations qu’il faut prendre en compte pour mesurer la réelle application du Motu proprio dans les diocèses…

2) Le fait qu'il n'y ait qu'une messe FSSPX pour 5 messes "forme extraordinaire" montre que le désir de liturgie traditionnelle dépasse largement le cercle des « suiveurs » de Mgr Lefebvre, comme on dit en Italie, et même des fidèles des messes célébrées par des prêtres Ecclesia Dei. Plus encore qu’en France, le « légitimisme » des catholiques italiens fait qu’ils pratiquent beaucoup moins que les catholiques français la « pratique élective » et qu’ils attendent la célébration traditionnelle dans leur paroisse propre. C'est d'ailleurs cet attachement que le sondage Doxa pour Paix Liturgique avait mesuré l'an dernier.

3) 78 messes sur 120 ne sont pas encore des messes dominicales hebdomadaires à un horaire commode pour les familles. La marge de progression existe donc puisqu'il s'agit de 2 messes sur 3 (65% précisément). Et comme un bon nombre de ces messes sont le fait de curés introduisant prudemment la liturgie ancienne dans leur paroisse, on ne peut qu'être confiant dans le fait qu'elles seront d'ici peu transformées en célébrations dominicales régulières.

4) Ces 78 célébrations démontrent bien l'existence de groupes de fidèles, et de prêtres pour célébrer, dans quasiment tous les diocèses du pays.
L'on touche ici à ce qui devrait être au cœur des rapports adressés à Rome par les évêques : la non-satisfaction de demandes réelles et stables puisque les fidèles répondent présents, que la messe soit dite en semaine ou un dimanche de temps à autre. Un moyen simple de "porter remède" - comme le souhaitait le Saint-Père dans sa lettre aux évêques du 7 juillet 2007 - aux difficultés rencontrées par les fidèles concernés par ces messes serait tout simplement de leur octroyer la messe dominicale hebdomadaire.
À la différence des sondages – pourtant réalisés par des organismes professionnels et indépendants – les demandes insatisfaites mises en lumière par ce type de célébrations est incontestable : il y a bien un prêtre qui sait, qui peut et qui accepte de célébrer cette messe de semaine ou cette messe dominicale occasionnelle ; il y a des fidèles qui y assistent (fidèles qui seraient naturellement plus nombreux si la messe était célébrée le dimanche plutôt qu’en semaine et chaque dimanche plutôt que de temps en temps…). Toutes les conditions sont donc réunies pour appliquer dans ces endroits le Motu proprio honnêtement et charitablement.
À moins que le fait de mettre en place des célébrations de messes en semaine constitue une manœuvre visant à gonfler les statistiques et dire que l'on applique le Motu Proprio tout en le neutralisant ? Rappelons en effet que 99 % des fidèles pratiquants ne vont à la messe que le dimanche et pas en semaine.

5) La résolution de la difficulté énoncée précédemment marquerait une étape décisive dans la longue marche vers l'établissement d'une paix liturgique durable dans les diocèses en ne faisant plus des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle des fidèles de seconde zone. Ce serait un signe fort de vraie charité chrétienne de la part des curés et des prélats concernés que de transformer les nombreuses célébrations "ad experimentum" ou non hebdomadaires en célébrations dominicales de plein droit. Aucune tension n'est à craindre puisqu'il s'agit de paroisses où la cohabitation des deux formes liturgiques est en place depuis des mois et où leur "enrichissement mutuel" s'est manifesté peu à peu le plus souvent dans la paix et la charité.

6) Si la situation italienne est, de par l'accroissement des célébrations, fortement encourageante, il faut néanmoins tenir compte, pour bien analyser cette photographie, de la situation à l'été 2010, du fait que dans un pays qui compte 26 000 paroisses, moins de 42 d'entre elles appliquent sereinement le Motu Proprio Summorum Pontificum, soit 0,16% alors que les sites italiens démontrent que des demandes sérieuses se sont faites connaître dans plus de 100 autres paroisses urbaines. La route vers l'enrichissement mutuel des deux formes de l'unique rite romain, comme souhaité par le Saint-Père, est encore longue... Nous continuerons à nous en faire l’écho.