30 janvier 2010

[Abbé de Tanouarn - IBP Roma] Servir et non pas se servir

SOURCE - abbé Guillaume de Tanoüarn - 30 janvier 2010

C’est l’écrivain juif André Suarès, qui dans une de ces mémorables envolées dont il avait le secret, s’était écrié, non sans clairvoyance : « Le service est le méridien de l’Occident ». Alors qu’à Rome les séminaristes vaquent à leurs révisions et subissent les examens de rigueur en ce milieu d’année, alors que l’abbé René Sébastien Fournié, absorbé par son double cursus en droit et en théologie, m’a demandé de le remplacer pour cet éditorial, je crois que parler du service, c’est donner le sens de ce travail, auquel les uns et les autres sont assujettis en ce moment, travail qui n’est pas un travail stérile, comme si pour chaque séminariste, il s’agissait seulement de se servir, de prendre le meilleur pour lui, de se perdre dans l’érudition ou dans le calcul de carrière, en oubliant que très bientôt l’Eglise l’enverra dans le monde… En réalité, ce travail universitaire d’aujourd’hui, il doit servir à l’Eglise.

Etudier pour construire le Royaume de Dieu

Comme disait saint Bernard dans le De consideratione – je le cite en latin parce que la brièveté impérieuse de son style est intraduisible : alii sciunt ut sciant et est curiositas (les uns savent pour savoir et c’est de la curiosité), alii sciunt ut sciantur et est vanitas (d’autres savent pour être reconnus et c’est de la vanité), alii sciunt ut aedificent et est caritas (d’autres savent pour construire et c’est de la charité).
Construire ! Dans l’esprit de saint Bernard, il ne s’agit pas seulement d’édifier le prochain par quelques phrases bien tournées, mais de construire le Royaume de Dieu sur la terre, parce que ce Royaume signifie toujours l’avènement d’une science nouvelle dans les cœurs. Si l’on réfléchit à ce qu’est le Royaume de Dieu dans l’histoire, ainsi que nous y invite le concile Vatican II, on est obligé de constater que toujours il signifie la découverte d’une vérité sur Dieu qui implique un certain nombre de vérités auxquelles l’homme doit se plier. Saint Paul avait compris cela puisque c’est très souvent le plan de ses épîtres : la doctrine d’abord, la contemplation du mystère du Christ, Dieu et homme, la méditation sur le mystère de l’Eglise corps mystique du Christ et ensuite – ce que nous appelons dans notre jargon la parénèse : qu’est-ce que ces vérités spirituelles changent dans la vie des hommes ? Quelle anthropologie on peut tirer de cette théologie christique ?
Ces séminaristes qui travaillent, au point de ne plus trouver le temps d’alimenter ce site, ils ne perdent pas leur temps en contemplant les mystères divins tels qu’ils nous sont livrés dans l’Ecriture, ils ne cèdent ni à la curiosité ni à la vanité, selon la vigoureuse mise en garde de saint Bernard, ils ne se dispersent pas (curiosité) et ils ne perdent pas leur temps à se regarder le nombril (vanité), ils cherchent à maîtriser ce savoir de la vérité sans lequel il n’y a pas de révolution chrétienne, sans lequel le christianisme, simple affaire de bons sentiments, devient une sorte de farce que l’on joue parfois pour se donner bonne conscience.
Ils cherchent à servir l’Eglise, et donc – toujours saint Bernard – à la construire, à la reconstruire.

Nova et vetera : Des réponses nouvelles à trouver dans la Tradition

La Tradition catholique n’est pas un ensemble de réflexes conditionnés que l’on pourrait cultiver dans un ordre purement extérieur, comme celui que subit le chien de Pavlov – ordre qu’il suffirait de répéter à l’identique pour que se reproduisent sans cesse les mêmes effets. Mais qu’est-ce que la Tradition alors ? Notre trésor ? Oui, elle est le trésor du scribe dont parle l’Evangile (Matth. 13, 52). Ce trésor, notez-le, contient à la fois les « vetera », les vieilles choses, les recettes éprouvées, les formules liturgiques, les dogmes théologiques qui donnent une forme à notre croyance, une colonne vertébrale à notre vie intérieure. Mais ce trésor, qui nous aide à construire ou à reconstruire, contient aussi « nova », les choses nouvelles, le dynamisme et l’élan qui jamais ne contredisent un attachement vrai. Dans le trésor de la tradition, on trouve aussi les réponses nouvelles aux questions nouvelles qui se posent aujourd’hui et ne se posaient pas hier. Voilà le travail du scribe instruit dans le Royaume des cieux, voilà le labeur et le discernement du séminariste. En s’y livrant de toute son âme, pleinement présent à l’instant dans lequel il se trouve, totalement dans le moment de sa vie qu’il traverse, il contribue silencieusement à construire l’Eglise, c’est-à-dire à la servir.

Ne pas passer à côté des âmes à cause d’un savoir théologique trop superficiel

Le Père Labourdette, savant thomiste du Couvent de Toulouse disait paraît-il : « A 70 ans, je prêche ma première année de noviciat ». Dans leur travail d’aujourd’hui, nos séminaristes préparent leur prédication de demain. Un savoir théologique trop superficiel ? C’est l’assurance de passer à côté de beaucoup d’âmes, qui ont besoin d’être édifiées, au sens le plus littéral de ce terme, d’être reconstruites par la Parole de Dieu, mais qui n’accepteront ce savoir qui édifie que s’il s’agit d’un vrai savoir.

Pas question, dans cette perspective, de céder à la tentation du psittacisme, la fameuse maladie du perroquet, qui répète toutes sortes de choses sans les comprendre. Moi qui vient de temps en temps donner des cours à la Casa de la Via Giorgio Bolognetti, je suis impressionné par l’exigence des séminaristes vis-à-vis de l’enseignement qu’ils reçoivent, par leur manière sérieuse de poser des questions et même de pousser (respectueusement) le professeur dans ses retranchements. Je sens que ces questions ne proviennent ni de la curiosité ni de la vanité et que quand elles se posent vraiment, c’est au nom des âmes dont on leur confiera la charge qu’elles se posent à eux.

Abbé Guillaume de Tanoüarn
Assistant de l’Institut du Bon Pasteur