7 décembre 2009

[Paix Liturgique] Gros plan sur la Forme extraordinaire en Pologne

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°207 - 7 décembre 2009

Cette semaine, Paix Liturgique fait le point sur l'application du Motu Proprio Summorum Pontificum en Pologne. Ce rapport sur le (lent) développement de la forme extraordinaire au pays de Jean-Paul II est basé sur les informations que nous a communiquées notamment Jan Filipe Libicki, Président d'Una Voce Pologne et député au Parlement polonais et sur les témoignages de plusieurs prêtres polonais.


I - Le bilan de deux ans de Motu Proprio

Avec un nombre de fidèles situés entre 5000 et 10 000, ce qui est bien faible dans un pays de 40 millions d'habitants où plus de 90% de la population se déclare catholique, on pourrait dire de prime abord que la forme extraordinaire ne fait pas recette en Pologne. Cependant, entre septembre 2008 et août 2009, la possibilité de participer à la Sainte Messe selon la forme extraordinaire du rite romain a augmenté de façon significative : le nombre de lieux dans lesquels le rite ancien est célébré s'est accru de 15 chapelles ou églises. On compte ainsi aujourd'hui une cinquantaine de lieux de messe pour une cinquantaine de prêtres la célébrant. Le nombre de messes dominicales régulières semble toutefois ne pas excéder la trentaine.

La plupart des messes célébrées en Pologne se déroulent dans des églises conventuelles ou des églises non paroissiales, c'est pourquoi les fidèles qui assistent ordinairement à la messe dans leur paroisse ont peu de chances de découvrir l'ancien rite. Quand c'est le cas, ce sont généralement des personnes motivées, ayant pris la peine de s'informer à l'avance. Toutefois, quand l'ancienne messe est célébrée dans une paroisse, la réaction des fidèles est très favorable. Notons que les groupes de fidèles qui s’emploient à obtenir la banalisation de la forme extraordinaire sont dynamiques et sont issus de tous les groupes sociaux avec une forme minorité appartenant aux milieux universitaires, tant étudiants que professeurs.

En ce qui concerne les prêtres, on observe la réticence et le désintérêt manifestés par les plus âgés d'entre eux, formés dans les années 1960 ; tandis que les jeunes prêtres et les séminaristes ont, en revanche, accueilli le Motu Proprio avec grand intérêt comme l'avait fait "leur pape" Jean-Paul II en son temps.

Du côté de la hiérarchie épiscopale, on ne relève pas d'opposition ouverte même si, en octobre 2007, la Conférence des évêques a publié des dispositions pour le moins restrictives concernant la célébration de la forme extraordinaire. Si l'on a d'ailleurs craint un instant que ces mesures - inspirées de celles prises en Allemagne – n'empêchent toute célébration selon le missel traditionnel de Jean XXIII (*), il est vite apparu qu'elles relevaient plus d'une méfiance envers une expression liturgique inconnue que d'un refus idéologique.

Pour beaucoup d'évêques polonais, le texte pontifical ne concerne en effet qu'un groupe, actif mais limité, de fidèles et est donc sans influence sur la vie paroissiale quotidienne. En conséquence de quoi, les prêtres intéressés par la forme extraordinaire doivent faire preuve d'une grande détermination lorsqu'il s'agit de la célébrer librement. Cependant, s'ils sont suffisamment volontaires et entreprenants, les évêques finissent par laisser faire. Seuls, peut-être, les évêques de Łomża (Mgr Stefanek) et Pelplin (Mgr Szlaga) témoignent d'une hostilité feutrée aux dispositions voulues par le Pape dans son Motu Proprio.

Il faut dire qu'en général les évêques polonais pensent que la Pologne est un pays où la réforme liturgique a été correctement menée - conviction fondée bien que teintée d'un certain orgueil lié au fait d'avoir eu un Pape polonais pendant plus de 20 ans. Du coup, considérant, à tort, que les dispositions du Motu Proprio s'adressent de préférence aux pays où les abus liturgiques sont flagrants, l'épiscopat polonais ne se sent guère concerné. Ce désintérêt explique pourquoi, pour l'instant, les instituts Ecclesia Dei ne bénéficient d'aucune reconnaissance officielle bien que la Fraternité Saint-Pierre soit présente à Cracovie et le Bon Pasteur à Wroclaw. Du coup, il convient de s'arrêter un instant sur le poids de la Fraternité Saint Pie X.

Arrivée en 1993 en Pologne, la FSSPX dessert aujourd'hui dix centres de messe dominicale. Elle s'appuie sur une équipe de six prêtres, dont un jésuite polonais l'ayant rejointe, preuve de l'intérêt que lui porte une part du clergé officiel. Comme, jusqu'au Motu Proprio Summorum Pontificum, il n'y avait pas plus de dix messes traditionnelles officielles en pleine communion avec Rome, célébrées dans toute la Pologne, on peut affirmer sans parti pris que l'essor de la tradition au pays de Jean-Paul II a été pendant 15 ans porté essentiellement par les héritiers directs de Mgr Lefebvre.

Reste, signe de la lente ouverture de l'Église de Pologne au renouveau liturgique voulu par Benoît XVI, que l'an dernier quatre évêques ont célébré la Sainte Messe dans la forme extraordinaire du rite romain: Waclaw Depo, évêque de Zamosc-Lubaczów, Tadeusz Pieronek, évêque de Cracovie, Grzegorz Balcerek - évêque auxiliaire de Poznań - et Artur Miziński, évêque auxiliaire de Lublin.

(*) Ainsi la messe célébrée à l'époque à Lodz s'est-elle arrêtée du jour au lendemain.

II - Les commentaires de Paix Liturgique

1) Pays de grande tradition catholique, la Pologne a connu pendant 45 ans l'hiver du communisme. L'élection du Cardinal Wojtyla comme successeur de Pierre en 1978 a marqué le début d'un printemps qui aboutira en 1989 à la chute du régime. La figure de Jean-Paul II est donc pour les Polonais plus qu'une figure spirituelle, c'est celle d'un héros, voire d'un saint. Les partisans de Summorum Pontificum mettent volontiers en avant la continuité entre Jean-Paul II et Benoît XVI. Pour beaucoup de Polonais, le Pape c'est encore Jean-Paul II. Du coup, la réforme de la réforme entreprise par Benoît XVI n'a pas encore trouvé au pays de Saint Stanislas tout l'écho qu'elle rencontre ailleurs et notamment le Motu Proprio Summorum Pontificum, aucunement publicisé par le clergé et donc grandement ignoré des fidèles.

2) Si, sur une quarantaine de diocèses, seulement quatre évêques polonais se sont ouverts à la forme extraordinaire, il faut noter qu'en dehors de Mgr Pieronek, il s'agit de jeunes évêques, âgés de moins de 60 ans. Monseigneur Balcerek, par ailleurs membre de la commission liturgique polonaise, a prononcé en juin 2009 à Poznan, devant les séminaristes polonais de la FSSP et de l'IBP, des paroles on ne peut plus claires : "Il n'est pas bon de diviser l'Église en pré- et post-conciliaire, je veux dire, de rejeter l'ancien et de glorifier seulement le nouveau." Bref, en Pologne comme partout, la forme extraordinaire séduit les générations montantes et la jeune intelligentsia catholique.

Informations complémentaires :

Le site de la FSSP : www.fssp.pl
Le site de l'IBP : www.pastorbonus.pl/
Les lieux de messe en Pologne : http://msza.net