8 octobre 2009

[Abbé Aulagnier / regards sur le Monde] La messe de Paul VI et celle «dite de saint Pie V sont-elles « eux mises en œuvre de l’unique rite romain»?

SOURCE - Abbé Aulagnier - Regards sur le Monde - 8 octobre 2009


Un jugement du Motu Proprio Summorum Pontificum (7 juillet 2007) de Benoît XVI m’a toujours étonné. C’est lorsqu’il affirme que la nouvelle messe serait la forme ordinaire du rite romain, le rite de saint Pie V en étant la forme extraordinaire. C’est à la fin du paragraphe 1 du texte :

« Art. 1. Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le B. Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église ; ce sont en effet deux mises en oeuvre de l’unique rite romain ».

Je n’oserais me dresser contre l’affirmation du pape. Mais je pourrais, me semble-t-il, exposer la doctrine de Mgr Gamber, liturgiste allemand de renom, qui, dans son livre : « La Réforme liturgique en question », publié par l’abbaye Sainte Madeleine le 25 janvier 1992 en la fête de la conversion de Paul, exprime, me semble-t-il, un autre jugement.

Mgr Gamber, liturgiste estimé de Benoît XVI

Ce liturgiste fut particulièrement apprécié du cardinal Ratzinger qui, avec le cardinal Stickler, préfaça cet ouvrage. Il nous le présente en des termes très élogieux. Il voit en lui un maître sur et compétent. « Gamber, avec la vigilance d’un authentique voyant et avec l’intrépidité d’un vrai témoin…nous a enseigné inlassablement la vivante plénitude d’une liturgie véritable, grâce à sa connaissance incroyablement riche des sources. En homme qui connaissait et aimait l’histoire, il nous a montré les formes multiples du devenir et du chemin de la liturgie » Son œuvre, conclut-il, devrait nous « stimuler » et nous « aider », à prendre, en matière liturgique, « un nouvel élan ».

Je pense que cette appréciation du cardinal Ratzinger nous permet d’aller de l’avant dans l’étude du livre.

Sa thèse.

Or qu’affirme l’auteur ?

Il distingue clairement le rite ancien du rite nouveau. Il parle du « ritus romanus » et du « ritus modernus » qui doivent être « nettement distingués l’un de l’autre comme deux rites indépendants, et cela de telle manière que le missel romain utilisé jusqu’ici, ainsi que les autres livres liturgiques (rituel et pontifical) soient à nouveau imprimés et autorisés sous leur forme préconciliaire » – Nous étions en 1992 -. « Les modifications du rite de l’après Concile ne devraient être valables que pour le ritus modernus. En font partie, entre autres, le changement dans les paroles de la consécration qui a scandalisé de nombreux prêtres, les nouvelles prières eucharistiques, ainsi que la nouvelle distribution des lectures, qui, de toute façon, étant donné ses insuffisances, devra être remplacée par une autre, meilleure ». (p 75)

Voilà qui est clairement dit.

Il poursuit sa conclusion, il la précise : « La forme de la messe actuellement en vigueur ( le rite modernus » ne pourrait plus passer pour le rite romain au sens strict, mais pour un rite particulier ad experimentum. Seul l’avenir montrera si ce nouveau rite pourra un jour s’imposer de façon générale et pour une longue période » (p75)

Il va justifier son jugement tout au long des chapitres du livre en expliquant les modifications apportées par la réforme liturgique. Elles ont entraîné, dit-il, une modification « substantielle » (p.53) du rite romain. A la page 44, il écrit : « Nous montrerons dans ce qui suit que la réorganisation de l’ordo de la messe de 1969 a été beaucoup plus loin qu’il n’était nécessaire aux yeux du Concile et que ne l’aurait exigé une pastorale adaptée à l’époque actuelle et, en outre, que les demandes du Concile dans le domaine liturgique aurait pu être satisfaites sans modification essentielle du rite existant de la messe » (p.44)
Mais parler de « modification essentielle » d’un rite à l’autre, c’est équivalemment dire que l’un n’est pas l’autre. Entre les deux rites, il y aurait, aux dires de Mgr Gamber, une différence « abyssale». Non point que Mgr Gamber s’oppose à la moindre modification, bien au contraire « mais faut-il que cela se fasse avec bon sens et prudence, et, en tout cas, sans occasionner de rupture avec la tradition » (p14). C’était, du reste, la sagesse demandée par le Concile Vatican II en son article 23 : « On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Eglise les exige vraiment et certainement » (p14). Or ce n’est pas ce qui s’est fait avec la réforme liturgique de 1969. Là, il est très sévère. Il dit que « la rupture avec la tradition est désormais consommée : par l’introduction de la nouvelle forme de célébration de la messe et des nouveaux livres liturgiques, encore davantage par la liberté concédée tacitement par les autorités d’organiser librement la célébration de la messe, sans que l’on puisse déceler en tout cela un avantage substantiel du point de vue pastoral » (p14) Plus loin, il écrira : « d’année en année la réforme liturgique, saluée avec beaucoup d’idéalisme et de grands espoirs par de nombreux prêtres et laïcs s’avère être une désolation liturgique de proportions effroyables » (p15) .Ou encore : « Nous assistons à un démantèlement des valeurs de la foi et de la piété qui nous avaient été transmises et, en lieu et place d’un renouvellement fécond de la liturgie, à une destruction des formes de la messe qui s’étaient organiquement développées au cours des siècles » (p 15). Il va même jusqu’à dire qu’avec la réforme, nous assistons à « un effrayant rapprochement avec les conceptions du protestantisme et, de ce fait, un éloignement considérable des vieilles églises d’Orient » (p. 15)

L’œuvre liturgiste de saint Pie V après le Concile de Trente

Ce n’est point, du tout, ce qui s’est passé lors du Concile de Trente avec la messe dite de saint Pie V. Là, nous n’avons pas assisté à une rupture de la tradition comme avec la réforme issue du Concile Vatican II. Mgr Gamber dit que le rite romain a subi quelques modifications au fil du temps, surtout avec le pape saint Damas en 366-384 et plus tard avec surtout saint Grégoire le Grand en 590 604, mais, dit-il « les modifications apportées au missel romain durant près de 1400 n’ont en rien touché au rite proprement dit , contrairement à ce que nous vivons aujourd’hui dans des proportions effrayantes ; il s’est seulement agi d’enrichissements en fêtes nouvelles, en formulaires de messe et en certaines prières » (p 16). « La réforme de saint Pie V – il faut y insister puisqu’on veut identifier le travail liturgique de saint Pie V dans la ligne du Concile de Trente avec celui de Paul VI dans la continuité du Concile du Vatican II – n’a rien créé de nouveau. On s’est alors contenté d’établir une version uniforme du missel en en éliminant les innovations qui y avaient été introduites au cours des siècles. Mais en même temps, on fut assez tolérant pour laisser intacts les rites particuliers anciens, dans la mesure où ils remontaient à au moins deux cents ans » (p 20).

La réforme de la liturgie de la messe en 1965

Il en fut de même pour la réforme liturgique de 1965. Mgr Gamber écrit : « l’ordo missae publié peu après le Concile en 1965 montre clairement qu’on n’avait pas du tout songé, au début, à une reforme fondamentale de l’ordo missae. Comme il est expressément noté dans son introduction, on y a tenu compte des demandes faites par la Constitution liturgique, si bien que l’ancien rite y est resté intact, mis à part quelques changements et suppressions secondaires (ainsi la suppression du Ps 42 dans les prières au bas de l’autel et celle du dernier évangile). On accordera certes que dans l’Instruction (instructio ad exsequendam Constitutionem de liturgia) du 26 septembre 1964, il était question d’une restauration des livres liturgiques » (librorum liturgicorum instauratio) (n°3). Le théologien sans prévention qui connaît les habitudes romaines songera ici à une révision modérée, en particulier à un enrichissement des livres liturgiques existants, mais pas à une nouvelle modification du rite de la messe. Sinon, pourquoi le décret introductif de l’ordo missae de 1965 aurait-il ordonné que cet ordo « soit pris en compte par les nouvelles éditions du Missale Romanum (in novis Missalis romani editionibus assumeretur) ? On ne fait tout de même pas imprimer des missels destinés à n’avoir que quatre ans de validité. Par conséquent le nouvel ordo missae de 1965 était déjà, à l’évidence, prévu pour les nouveaux missels révisés selon l’Instructio….Il n’y aurait rien à redire à ces changements, le rite existant n’en étant pas détruit mais vivifié et, comme au cours des siècles précédents, développé de façon organique » (p 44-45)

Le rite nouveau de la messe de Paul VI

Il n’en est pas ainsi pour le rite nouveau de Paul VI

Là, on assiste à un véritable « démantèlement » du rite tridentin. Le mot est de Mgr Gamber. Il parle même des « ruines » de l’ancien rite romain qui s’était développé au cours de cette longue période jusqu’à atteindre sa maturité (p 30)

Or il semblerait – c’est l’affirmation de l’article 1 du Motu Proprio de Benoît XVI – que l’on veuille présenter le nouveau missel comme étant issu du développement naturel et légitime de la liturgie d’Occident, Paul VI n’ ayant fait finalement que ce qu’ont fait tous ses prédécesseurs. Il a voulu, pas plus pas moins, reformer le Missale romanum de sorte que son nouveau missel ne serait rien d’autre que le Missale romanum.

Mgr Gamber s’élève contre cette affirmation, vous dis-je, d’une part par des arguments ad extra et des arguments ad intra.

Les arguments ad extra.

Il rappelle, en note, l’allocution du pape Paul VI à l’audience générale du 26 novembre 1969, les mots en gras sont soulignés par nous : « Chers fils et chères filles, Nous voulons encore une fois vous inviter à réfléchir sur cette nouveauté que constitue le nouveau rite de la messe qui sera utilisé dans la célébration du saint sacrifice à partir de dimanche prochain 30 novembre, premier dimanche de l’Avent. Nouveau rite de la messe ! C’est là un changement qui affecte une véritable tradition multiséculaire (….) Ce changement porte sur le déroulement des cérémonies de la messe. Nous constaterons, peut-être avec un certain regret, qu’à l’autel les paroles et les gestes ne sont plus identiques à ceux auxquels nous étions tellement habitués que nous faisions presque plus attention (…) Nous devons nous préparer à ces multiples dérangements ; ils sont inhérents à toutes les nouveautés qui changent nos habitudes… »

A la fin de cette même audience, Paul VI donne quelques indications émanant de la S. Congrégation du Culte divin : « …les prêtres qui célèbrent en latin en privé (…) peuvent jusqu’au 28 novembre 1971, utiliser soit le Missel Romain, soit le nouveau rite. S’ils prennent le Missel Romain, ils peuvent etc ». Ne semble-t-il pas que ces lignes, distinguant Missel Romain et nouveau rite, viennent confirmer le propos de Mgr Gamber qui, lui aussi, parle, en cet instant de son livre, « de ritus romanus s’opposant au nouveau rite, le rite modernus ». (p. 28)

Les arguments ad intra.

Mgr Gamber commence a exposer les arguments que j’appelle « ad intra » du chapitre 4 au chapitre 6.

Le chapitre 4 est intitulé : « A propos de la réforme de l’ordo Missae ».

Dans ce chapitre, il nous donne son premier argument, celui de la théologie qui est sous jacente à cette réforme de Paul VI. Il écrit : « Il est en tout cas certain que c’est bien la nouvelle théologie (libéral, dit-il) qui a parrainé la réforme… Il ne faut cependant pas aller jusqu’à affirmer, comme il arrive parfois, que la messe selon le nouvel ordo serait en soi invalide. Mais le nombre de messes véritablement invalides pourrait bien avoir considérablement augmenté depuis la réforme liturgique » (p 43) Et il cite les « pressantes objurgations de cardinaux de mérite, qui avaient émis des objections dogmatiques quant au nouveau rite de la messe ». Et c’est ainsi qu’il parle en note des cardinaux Ottaviani et Bacci ainsi que du « le Bref examen critique ». Or ce « bref examen critique » permet à lui seul de démontrer que le rite de Paul VI n’est plus le ritus romanus que possédait depuis des millénaires la cour romain.

Cet argument général donné, Mgr Gamber veut étudier les « nouveautés de l’ordo missae de 1969 » (p. 45)

Nouveaux sont, à l’évidence, les rites d’ouverture du début de la messe nouvelle. « Ils constituent en grande partie une création nouvelle » Et de plus ils ouvrent, dit-il, une « porte toute grande à l’arbitraire du prêtre célébrant. Quels bavardages les fidèles ne doivent pas subir par endroits des le début de la messe ! On se rapproche ainsi beaucoup des communautés protestantes. Mgr Gamber ne reproche nullement l’ajout d’une lecture tiré de l’Ancien Testament. Sur le sujet de liturgie de la parole du nouvel ordo de la messe, « on peut simplement observer qu’il n’y a aucune objection à la possibilité d’une lecture supplémentaire(tirée de l’Ancien Testament), encore moins à la proclamation des péricopes dans la langue du pays comme le prévoit l’article 36, 2 de la Constitution liturgique ». (p 47) « L’utilisation pour les lectures de la langue du pays n’était pas étrangère à la liturgie romaine des premiers temps ». (p47) Et il cite l’exemple de saint Cyrille et de saint Méthode dès le IX siècle traduisant, avec l’autorisation de Rome, en slave les lectures liturgiques. Il ne reproche pas, non plus, que le « célébrant reste assis à sa place, au siège, pendant que le lecteur proclame les lectures – C’est du reste encore ce qui se passent pour les messes pontificales – (NB C’était un argument soutenu par Mgr Lefebvre) - ni non plus à la prière universelle qui prend place, conformément à l’article 55 de la Constitution liturgique, à la fin de la liturgie de la parole » et qui était présente dans tous les rites. (p47) Par contre « ce qui est nouveau et contraire à la tradition liturgique, c’est de prononcer la prière universelle non pas à l’autel, mais au siège. Pour dire une prière d’une certaine longueur, comme par exemple, les grandes oraisons du Vendredi Saint, le célébrant, autrefois montait toujours à l’autel afin d’être, comme les fidèles, tourné vers l’Orient pour la prière » (p48)

Vient ensuite, dans le nouveau rite, la partie appelée « liturgie eucharistique ». Là, il remarque « qu’il manque à cette dénomination toute allusion au fait que la messe est un sacrifice » Ce qui est grave.

Quant à la première partie de la « liturgie eucharistique » qui est appelé « préparation des dons », il dit que les nouvelles prières sont peu « satisfaisantes ». C’est le moins que l’on puisse dire. Il reconnaît que c’est dans la deuxième partie de la liturgie eucharistique, appelée « prière eucharistique » « que se trouvent par contre les modifications les plus importantes par rapport au rite précédent » (p49). Les trois nouveaux canons constituent « une rupture complète avec la tradition. Ils représentent, dit-il, au moins quant à leur style, un corps étranger dans le rite romain » (p 49). « La modification, ordonnée par Paul VI, des paroles de la consécration et de la phrase qui suit, utilisées dans la liturgie romaine depuis plus de 1500 ans, n’avait pas été prévu par le Concile et n’était d’aucune utilité pour la pastorale. La traduction de « pro multis » par « pour tous » qui se réfère à des conceptions théologiques modernes et qu’on ne trouve dans aucun texte liturgique ancien, est douteuse et a même scandalisé ». On sait aujourd’hui que la Congrégation pour le Culte divin a donné des ordres aux conférences épiscopales pour que les nouveaux livres liturgiques corrigent ces traductions erronées. Elle leur laisse deux ans, je crois, pour accomplir cette incroyable modification.

Le retrait de la formule de consécration du « mysterium fedei » est parfaitement chose nouvelle. Il écrit : « Du point de vue du rite, on est frappé de voir qu’on ait pu retirer sans raison les mots « mysterium fidei » (cf 1 Tim 3 9) insérés dans les paroles de la consécration depuis environ le VI siècle pour (en plus) leur conférer une utilisation nouvelle : ils deviennent un appel du prêtre après la consécration. Un appel de cette sorte : mysterium fidei n’a certainement jamais été en usage. L’acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort… » ne se trouve que dans quelques anaphores égyptiennes. Elle est en revanche étrangère aux autres rites orientaux et à toutes les prières eucharistiques occidentales, et ne cadre pas non plus avec le style du canon romain. En outre elle représente une rupture abrupte dans le discours : alors qu’on s’adressait à Dieu le Père, voici qu’on s’adresse brusquement au Fils » (p50)

Le cardinal Stickler, lui aussi, s’étonna beaucoup de cette suppression et dans sa conférence d’août 1997 en Autriche démontra que cette suppression était absolument contraire à toute la tradition liturgique. (Cf Témoignage d’un expert au Concile. Ed du CIEL p.50-51)

Il en arrive ensuite à la troisième partie de la célébration eucharistie : la communion qui commence par le « Pater » suivi de la prière du « Libera nos ». Quant au Pater, il est dans le nouveau rite chanté par le peuple. Des raisons peuvent le justifier mais, dit-il « il n’en reste pas moins que cette manière de faire représente un changement important du rite antérieur, ce qu’on remarque spécialement dans la messe chantée » (p 51)

Quant à la prière du « Libera » qui suit, elle a été aussi modifiée. Non seulement on a omis d’y mentionner la Mère de Dieu et d’autres saints, mais on l’a dotée d’une fin nouvelle. Elle est suivie de la proclamation par le peuple de la doxologie : « Car c’est à Toi qu’appartiennent le règne… ». Il reconnaît que cette doxologie est présente dans les rites orientaux, mais « dans le nouvel ordo, cette doxologie, parce qu’elle est dite par le peuple, mais aussi de par son contexte, est un net emprunt au culte protestant » (p.51)
Il reconnaît enfin « que les prières et les rites de la communion ont également dû subir de profondes modifications » (p51). C’est évident. La prière « Seigneur, je ne suis pas digne » est dite par le prêtre tourné vers le peuple, en même temps que le peuple comme pour identifier le prêtre au peuple. Il n’est que le président, un du peuple, sa communion ayant ainsi le même sens que celle du peuple. Ce qui n’est pas juste.

Il arrive à une conclusion. Il faut la lire in extenso : « Somme toute, la question est la suivante : qu’a-t-on voulu obtenir à l’aide de ces modification dont certaines sont importantes d’autres minimes ? Peut-être a-t-on simplement voulu réaliser les idées favorites de quelques spécialistes en liturgie – mais alors au prix d’un rite vieux de 1500 ans ! – ou bien ces innovations représentent-elles la destruction voulue de l’ordo existant jusqu’ici, puisque les nouveaux accents qu’on a voulu introduire sont en contradiction avec l’univers de foi à partir duquel s’est développé l’ancien rite ? » (p 52) Quelle que soit la réponse à laquelle on s’arrête toutes ces modifications, pour Mgr Gamber, ont touché le « rite romanus » dans son essence. Le rite de Paul VI n’est plus le rite romain, mais un autre rite. Nous savons qu’il l’appelle « rite modernus ». Il dit lui-même expressément après son exposé « ces modification constituent une destruction non nécessaire de l’ancienne liturgie » (p52)

Cette destruction est d’autant plus évidente encore si l’on tient compte des « mille choix possibles » laissés à l’initiative du prêtre célébrant. Cette « liberté » a « contribué à introduire l’arbitraire dans l’organisation de la messe » (p53) si bien que des messes s’éloignent encore substantiellement de l’édition typique de l’ordo missae de 1969. Cette liberté « ouvre la porte toute grande à l’organisation de la messe par le célébrant. C’est ainsi que dans presque chaque paroisse se sont constituées des formes d’ordo missae différentes, dont certaines s’éloignent même considérablement de ce que le missel officiel présente comme norme, et sans que les autorités de l’Eglise interviennent » (p. 53)
C’est ainsi que l’on s’est éloigné des prescriptions demandées par le Concile en l’article 23 de la Constitution liturgique qui demandait de faire des innovations que si l’utilité de l’Eglise les exigeait « vraiment et certainement ». On a voulu davantage, dit Mgr Gamber : on a voulu se montrer ouvert à la nouvelle théologie si équivoque, ouvert au monde d’aujourd’hui » (p. 54)

C’est une grave critique !

Le chapitre 5 : autres remarques critiques

Dans le chapitre 5, Mgr Gamber poursuit ses critiques en insistant plutôt, cette fois, sur l’aspect dogmatique. Il remarquera que le « novus ordo » met plutôt « l’accent sur le caractère de repas de la messe alors que son caractère sacrificiel est fortement repoussé au second plan, ce qui est protestant. L’emploi du mot « sacrifice » est tout à fait volontairement évité dans le texte de « l’Institutio generalis Missalis romani ». Il n’y apparaît que vraiment accessoirement, par exemple au n° 2 (sacrificium eucharisticum). En revanche, la Constitution sur la sainte liturgie parle toujours clairement de « sacrificium missae » (ainsi au n°49, de même au n° 55, alors que dans « l’Institutio generalis » il n’est plus question que de « eucharistia » ( aux n° 282 et 285 ou de « célebratio eucharistica » (n° 5 et 284) ce qui correspond exactement au terme « célébration eucharistique »(p. 58). Il poursuit : « Visiblement la définition de la messe qui avait été donné dans la première version du nouvel ordo missae venait de la théologie protestant… Que cette définition se trouve dans un document qui porte la signature de Paul VI et qu’il ait fallu ensuite corriger cette définition a montré brutalement combien il y a aujourd’hui de confusion dans l’Eglise » (p. 58)

En plus de ces critiques dogmatiques de la plus haute importance, Mgr Gamber insiste quelques instants « sur le nouveaux choix des lectures pour la messe dans le novus ordo qui, là encore, « a pris la place des lectures remontant à plus de mille ans et l’a ainsi éliminée » (p. 60) Et « c’est ainsi que la nouvelle organisation des lectures a totalement évincé celle qui avait cours jusqu’ici et qu’une tradition immémoriale a ainsi été soudainement interrompue ». Sous ce rapport, le missel de Paul VI n’est plus le Missale romanum, celui qui remonte à l’age apostolique. Il conclut sur ce point en disant : « Comme pour les autres réformes liturgiques survenues après la Concile, on a, en établissant de nouvelles péricopes, interrompu une tradition immémoriale remontant en partie à 1500 ans, sans l’avoir remplacée par quelque chose de mieux. Il aurait certes été plus avisé, même du point de vue pastoral, de conserver l’ancienne distribution du Missale romanum et, dans la foulée de la réforme, d’autoriser des lectures complémentaires ad libitum » (p.62) C’est ainsi qu’on a abandonné toute une tradition de l’Eglise.

Le chapitre 6 : la célébration « face au peuple »

Le chapitre 6 est consacré à une belle étude très intéressante sur la célébration « face au peuple ». Cette façon de faire s’est imposée dans l’Eglise. Et c’est très dommageable. On a cru « faire revivre une tradition de l’Eglise primitive » (p. 66). Ce ne l’a jamais été. On s’est toujours tourné vers l’Orient pour prier, même et surtout dans l’Eglise primitive. Il fonde ce jugement de mille manières. Je me limiterai à cette citation de saint Augustin : « Lorsque nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient, là où le soleil se lève. Non pas comme si Dieu était là et avait abandonné les autres régions de l’univers… mais afin que l’esprit soit exhorté à se convertir à une nature supérieur, à savoir Dieu ». Et Mgr Gamber fait ce commentaire : « Ces paroles de l’Africain montrent qu’après le sermon, les chrétiens se levaient pour la prière qui suivait et se tournaient vers l’Orient. Saint Augustin ne cesse de mentionner à la fin de ses allocutions cet usage de se tourner vers l’Orient pour prier, utilisant toujours en guise de formule l’expression « conversi ad Dominum », « tourné vers le Seigneur » (p. 67) Et c’est ainsi que le nouvel ordo missae tel que pratiqué s’éloigne de la tradition de l’Eglise. « Ce principe « ad orientem » avait été jusqu’ici constamment observé, mais surtout pour des raisons théologiques, un changement est survenu dans l’Eglise romaine. L’avenir montrera combien ce changement est lourd de conséquences » (p. 73). Quoi qu’il en soit ce n’était pas l’usage dans le missel romain. Ce n’est pas le moindre des changements d’un missel à l’autre. Le missel nouveau est bien le missel de Paul VI. Il n’est pas le missel romain où le prêtre et les fidèles, pour prier, se tournent ad Orientem.

Conclusion

Pour toutes ces raisons ici résumées, il faut distinguer, comme le fait Mgr Gamber, entre le rite romain et le rite de Paul VI :l’un n’est pas l’autre. Il les appelle le « ritus romanus » et le ritus modernus ».

L’ultime chapitre : Tentative de solution.

Il y a un ultime chapitre qu’il intitule : « Tentative de solution ». C’est le chapitre 7. Je vais en donner les principaux passages. Il est manifeste que Benoît XVI dans son Motu Proprio « Summorum Pontificum » s’en est abondamment inspiré. Je fais au passage quelques appréciations.

« Ceci dit, il faut essaye de trouver une solution au problème liturgique. Au moment où nous écrivons, voici celle qui se présente.

Le ritus romanus et le ritus modernus devraient être tous deux considérés comme légitimes. (NB Le rite romanus vient, de fait, d’être reconnu dans sa légitimité et son droit par le Motu Proprio de Benôit XVI « Summorum Pontificum ». Quant au ritus modernus, affirmer sa légitimité – en ce sens que le pape a le pouvoir de donner un rite à l’Eglise – ce n’est pas dire qu’il ne soit pas réformable. C’est du reste la pensée du Pape Benoît XV. Il l’exprimait déjà alors qu’il était encore le cardinal Ratzinger, spécialement dans une conférence conclusive « Bilan etperspectives »lors de la réunion de Fontgombault, les 22 et 24 juillet 2001. Nous donnons le texte de cette conférence importante dans LNDC du 8 octobre 2009). Ils devront cependant être nettement distingués l’un de l’autre comme deux rites indépendants, et cela de telle manière que le missel romain utilisé jusqu’ici, ainsi que les autres livres liturgiques (rituel et pontifical) soient de nouveau imprimés et autorisés sous leur forme préconciliaire. (NB c’est fait depuis le Motu Proprio de Benoît XVI). Les modifications du rite de l’après concile ne devraient être valables que pour le ritus modernus. En font partie, entre autres, le changement dans les paroles de la consécration, qui a scandalisé de nombreux prêtres, les nouvelles prières eucharistiques, ainsi que la nouvelle distribution des lectures, qui, de toute façon, étant donné ses insuffisances, devra être remplacée par une autre, meilleure. ( NB Tout cela est encore ordonné par Benoît XVI dans son Motu Proprio, puisque le pape autorise de nouveau le missel ancien, celui de 1962, avant donc toutes les modifications post conciliaires) »

« La forme de la messe actuellement en vigueur (le nouveau rite) ne pourrait plus passer pour le rite romain au sens strict, mais pour un rite particulier ad experimentum. (NB Voilà ce que le pape aurait pu faire. Malheureusement la pression de certains épiscopats a du l’en empêcher…) Seul l’avenir montrera si ce nouveau rite pourra un jour s’imposer de façon générale et pour une longue période…..La célébration « versus populum », injustifiable du point de vue tant historique que théologique et sociologique, devrait être peu à peu à nouveau éliminée. (NB C’est le désir clairement exprimé du pape Benoît XVI. Et à défaut de cette suppression, il désire revoir sur les autels, crucifix et chandeliers, le Crucifix tenant lieu de l’Orient d’où nous vient la lumière) »

« Quant au ritus romanus, on songera à un enrichissement de la messe selon l’esprit du Concile Vatican II, par l’adoption d’un plus grand nombre de préfaces propres empruntés au trésor des anciens sacramentaires romains et par une proposition de péricopes supplémentaires. Cependant l’adoption de ces suppléments devra rester provisoirement « ad libitum », c’est-à-dire soumise à la libre décision du prêtre célébrant. (NB C’est une très juste remarque. La liturgie est une vie et nullement un carcan qui peut tuer la vie. Cet enrichissement, le même, est souhaité par Benoît XVI) Afin de mettre plus en relief les temps liturgiques, toutes les « petites » fêtes de saints pourraient n’être célébrées que sous forme de mémoire (NB C’est ce qui se fait déjà). Mais on doit considérer comme allant de soi de nos jours que les lectures, y compris celles du ritus romanus, soient en général proclamées dans la langue du pays. (NB Mgr Lefebvre défendait cette solution. Il parlait même de la lecture des oraisons en français) ».

« Il est sans intérêt de faire subir au « ritus romanus » traditionnel, comme on l’a malheureusement fait jusqu’ici, les expériences actuelles. Sinon on perdrait un élément important, cette continuité des formes de la messe… (NB c’est une raison très importante du maintien de l’ancien rite dans l’Eglise, le rite ancien devenant ainsi la « forme » liturgique, le rite « réformant », c’est la pensée de Benoît XVI exprimée dans la lettre aux évêques accompagnant le Motu Proprio)… (De plus) si on laisse inchangé l’ancien rite et si l’on continue à l’utiliser à côté du nouveau – comme quelque chose de vivant et non comme une pièce de musée ! – on aura gardé à toute l’Eglise, telle qu’elle se manifeste à travers les différents peuples, un élément important pour l’avenir : l’unité du culte ».(NB C’est dire l’importance du latin, comme facteur d’unité !) » …

« Bien des problèmes pourraient être résolus dans l’Eglise par la stricte séparation entre le rite romain et la nouvelle liturgie en langue vulgaire du « ritus modernus » et par la possibilité ainsi offerte aux fidèles d’utiliser les deux formes de messe. (NB Oui, dans la mesure où le ritus modernus est « réformé ». C’est ce que souhaite faire le Pontife régnant lorsqu’il parle de la « réforme de la réforme. Voir sa pensée exprimée dans sa conférence : Bilan et perspectives dans LNDC du 8 octobre 2009.). Mais surtout cela diminuerait le risque d’un schisme important, les légitimes réclamations d’innombrables catholiques, en faveur de la célébration traditionnelle de la liturgie étant satisfaites, sans que soit pour autant négligé le désir des autres d’avoir une messe « actuelle » ( NB Dans la mesure des modifications. La messe actuelle est de fait réformable. Il est clair que Benoît XVI a pris en compte ces raisons pour redonner à l’Eglise et aux fidèles le libre choix du » ritus romanus » de la messe.)

…On pourrait objecter que la solution proposée ici de deux rites utilisés parallèlement pourraient troubler l’unité ecclésiale dans les paroisses. On répondra à cela que, dans l’ensemble de l’Eglise, et surtout en Orient, il y a eu de tous temps plusieurs rites reconnus par Rome (NB pourvu qu’ils soient catholiques). Cela ne saurait donc être vraiment graves si, dans l’Eglise romaine également, deux formes de messe coexistaient côte à côte – au moins pour un certain temps. Mais si seulement il n’y en avait actuellement que deux ! Pour l’instant il y a, comme on sait, d’innombrables rites, nombres de prêtres « arrangeant » la messe entièrement à leur guise. Il ne peut être vraiment question d’unité de rite. ( NB cet argument est sans cesse utilisé par Benoît XVI, même lorsqu’il était seulement le cardinal Ratzinger. Voyez, par exemple sa conférence à Rome en 1998 lors du pèlerinage d’action de grâces des communautés « Ecclesia Dei ») (p. 75-78)

Voilà, me semble-t-il, des précisions utiles à connaître.