17 septembre 2009

[Guillaume de Tanoüarn - Valeurs Actuelles] La main tendue sans malentendu

SOURCE - Guillaume de Tanoüarn - Valeurs Actuelles - 17 septembre 2009


La main tendue sans malentendu
Un essai de Gérard Leclerc sur Rome et les lefebvristes.

Guillaume de Tanoüarn, prêtre, directeur du Centre culturel Saint-Paul

Il est peu commun ce petit bouquin. En moins de cent pages,Gérard Leclerc non seulement nous brosse un tableau de la vie de l’Église durant les quarante dernières années, mais nous offre, mine de rien, un véritable mode d’emploi de sortie de crise pour l’institution vénérable qui a bâti l’Occident et qui, aujourd’hui, semble littéralement ne plus trop savoir… à quel saint se vouer!

Son angle d’attaque? Rome et les lefebvristes. Gérard Leclerc n’est pas traditionaliste et, à tel ou tel moment, s’excuse de ce qu’il appelle sa “sévérité” à l’égard de ce mouvement qui, petit à petit, est en train de retrouver droit de cité dans l’Église. Gérard Leclerc n’est pas, comme tout le monde, revenu des vieilles lunes du progressisme, parce que, sur ces lunes-là, le chroniqueur de France Catholique n’est jamais parti. Il n’a jamais cru à ce que Jacques Maritain appelait, dans son Paysan de la Garonne, « la temporalisation du royaume de Dieu ». Son objectif dans ce livre? Saisir, dans le psychodrame qui a opposé Rome et Écône (deux entités tellement disproportionnées, dissemblables, incomparables), ce qui résiste à l’analyse, ce qui constitue un vrai symptôme, ce qui trahit la réalité de la crise, derrière les démonstrations rhétoriques plus ou moins heureuses. Il y a en effet une première urgence à laquelle Gérard Leclerc sacrifie d’emblée. Évoquant la crise traditionaliste, il faut d’abord se débarrasser des clichés. En particulier, il faut mettre de côté les pièges politiques dans lesquels Mgr Lefebvre est tombé parfois, exemplifications malencontreuses de son discours sur la Royauté sociale du Christ. Il est bien évident pourtant que l’évêque de fer n’a jamais joué la moindre partition pour le compte de je ne sais quel orchestre noir. Gérard Leclerc démine le sujet avec beaucoup d’élégance et de franchise, avant de nous mener droit à l’essentiel.

L’essentiel ? En religion, c’est toujours le dogme, car c’est toujours autour du dogme que se nouent les hérésies fatales et les disputes schismatiques. Comme l’écrit Gérard Leclerc, « c’est tout VaticanII, ainsi que le magistère ultérieur de l’Église, qui est frappé d’étrangeté, si l’on ne se décide pas à rouvrir complètement le dossier doctrinal ». La formule est percutante. Étranger, VaticanII? Ce concile, qui a voulu ouvrir l’Église à la modernité, nous serait étranger si nous refusions d’en reposer aujourd’hui les composantes essentielles en termes de doctrine ? C’est vrai qu’aux chapitres “politique” ou “société”, Gaudium et Spes, l’un des textes phare de VaticanII, paraît très daté. Peut-on dire que cet optimisme qu’y manifestent les pères conciliaires a vraiment pris la mesure des drames du XXe siècle, parmi lesquels, au premier rang, Auschwitz mais aussi le goulag? Si l’on réduit le concile à sa dimension événementielle, on peut et on doit être critique à son endroit.

Mais Gérard Leclerc insiste à juste titre sur Dei Verbum, parce que cette constitution recentre l’attention des théologiens sur les sources de la foi. Sans condamner la scolastique médiévale ni la néoscolastique des années 1930, Vatican II insiste sur le travail des exégètes et sur les études patristiques, que le concile utilise d’ailleurs abondamment, en particulier dans Lumen Gentium. Pour Gérard Leclerc, c’est cette relative marginalisation de la scolastique et cet appel à une nouvelle théologie, imprégnée des Pères de l’Église, que Mgr Lefebvre, marqué par sa formation romaine dans les années 1930, imprégné de la scolastique de ce que l’on a appelé l’école romaine, a rejeté ; c’est cette ouverture du concile à d’autres sources que le néothomisme florissant in illo tempore que les traditionalistes n’ont pas compris. Incompréhensions théologiques, querelles de langage, qui ne recouvriraient pas toujours des désaccords dogmatiques.

Dans ce petit essai décapant, Gérard Leclerc invite chacun à ne pas se contenter de sa petite théologie à soi, pour se recentrer sur l’essentiel de la foi. Certes, « la résolution des différences les plus substantielles nécessitera énormément d’efforts, de reprises, de persévérance ». Mais, pour l’Église tout entière, faire l’effort d’écouter les traditionalistes, c’est peut-être entamer une sorte d’autocritique salubre. Va-t-on réentendre ce prophète qu’était Maurice Clavel s’écriant à l’attention des pères du concile : « Vous n’êtes pas allés au monde, vous vous êtes rendus au monde »? Pour l’Église, il n’est plus question de se rendre, elle ne saurait aujourd’hui se payer ce luxe.Mais il est encore temps d’aller vers les plus proches pour comprendre en vérité les plus lointains.

Rome et les Lefebvristes, de Gérard Leclerc, Salvator, 96 pages, 9,90€.