23 mars 2009

[Paix Liturgique] Paul Claudel serait-il le père de l'expression "liturgie traditionnelle" et le grand-père de "Paix Liturgique"?

SOURCE - Lettre de Paix Liturgique n°170 - 23 mars 2009

Quelques semaines avant sa mort, l’écrivain Paul Claudel signait un article intitulé « La messe à l’envers » dans le Figaro littéraire. Plus de cinquante ans après, ce texte prophétique de l’académicien n’a pas pris une ride.

La messe à l’envers

Je voudrais protester de toutes mes forces contre l’usage qui se répand en France de plus en plus de dire la messe face au public.

Le principe même de la religion est que Dieu est premier et que le bien de l’homme n’est qu’une conséquence de la reconnaissance et de l’application dans la vie pratique de ce dogme primordial.

La messe est l’hommage par excellence que nous rendons à Dieu dans le sacrifice que le prêtre Lui fait en notre nom sur l’autel de Son Fils. C’est nous derrière le prêtre et ne faisant qu’un avec lui qui allons vers Dieu pour lui offrir hostias et preces. Ce n’est pas Dieu qui vient se proposer à nous comme à un public indifférent pour nous rendre témoins à notre plus grande commodité du mystère qui va s’accomplir.

La liturgie nouvelle dépouille le peuple chrétien de sa dignité et de son droit. Ce n’est plus lui qui dit la messe avec le prêtre, qui la « suit », comme on dit très justement, et vers qui le prêtre se retourne de temps à autre pour s’assurer de sa présence, de sa participation et de sa coopération, dans l’œuvre dont il s’est chargé en notre nom. Il n’y a plus là qu’une assistance curieuse qui le regarde travailler de son métier. Les impies ont beau jeu de la comparer à un prestidigitateur qui exécute son numéro au milieu d’un cercle poliment émerveillé.

Il est bien certain qu’avec la liturgie traditionnelle une grande partie touchante, émouvante, du Saint Sacrifice échappe au regard des fidèles. Elle n’échappe pas à leur cœur et à leur foi. Cela est si vrai que pendant tout l’Offertoire, au cours des grand-messes solennelles, le sous-diacre au pied de l’autel se voile le visage de la main gauche. Nous aussi, nous sommes invités alors à prier, à rentrer en nous-mêmes, et non pas à la curiosité, mais au recueillement.

Dans tous les rites orientaux le miracle de la transsubstantiation s’accomplit hors de la vue des fidèles, derrière l’iconostase. Ce n’est qu’ensuite que l’Officiant apparaît sur le seuil de la Porte sacrée, le corps et le sang du Christ entre les mains.

Un reste de cette idée s’est perpétué longtemps en France, où les vieux eucologes ne traduisaient pas les prières du canon. Dom Guéranger a protesté avec énergie contre les téméraires qui enfreignaient cette réserve.
Le déplorable usage actuel a complètement bouleversé l’antique cérémonial au plus grand trouble des fidèles. Il n’y a plus d’autel. Où est-il, ce bloc consacré auquel l’Apocalypse compare le corps même du Christ ? Il n’y a plus qu’un vague tréteau recouvert d’une nappe qui rappelle douloureusement l’établi calviniste.

Naturellement, la commodité des fidèles étant posée en principe, il a fallu débarrasser autant que possible ladite table des « accessoires » qui l’encombraient : rien de moins, non seulement que les flambeaux et les vases de fleurs, mais le tabernacle ! Mais le crucifix lui-même ! Le prêtre dit sa messe dans le vide ! Quand il invite le peuple à élever son cœur et ses yeux … vers quoi ? il n’y a plus rien au-dessus de nous pour servir de frontispice au soleil levant !

Si on maintient les flambeaux et le crucifix, le peuple est encore plus exclu que dans l’ancienne liturgie, car alors non seulement la cérémonie, mais le prêtre lui est tout entier dissimulé.

Je me résignerais, avec un immense chagrin, puisque, parait-il, on ne peut plus demander à la foule aucun effort spirituel et qu’il est indispensable de lui fourrer dans la figure les mystères les plus augustes, à voir la messe réduite à la Cène primitive, mais alors c’est tout le rituel qu’il faut changer. Que veulent dire ces : Dominus vobiscum, ces Orate frates, d’un prêtre séparé de son peuple et qui n’a rien à lui demander ? Que signifient ces vêtements somptueux des ambassadeurs que nous déléguons, la croix sur les épaules, du côté de la Divinité ?

Et nos églises mêmes, est-ce qu’il y a à les laisser telles quelles ?

23 janvier 1955
Paul Claudel
De l’Académie française.

LES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1/ Ce texte de Paul Claudel, poète élu à l’Académie Française en 1946, n’est pas l’œuvre de n’importe qui. Ce n’est pas le délire d’un « marginal », ni le cri d’un « nostalgique obscur » ni encore la lamentation d’un « ignorant aigri ».
Ce n’est pas nouveau, l’attachement à la grande tradition de l'Église n’est pas le fait d’une minorité ignare à laquelle trop d’ennemis de la paix aimeraient voir réduits les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l'Église.

2/ Ces mots que le grand Claudel prononçait plus de 10 ans avant même la réforme liturgique issue de Vatican II sont en quelque sorte prophétiques. En effet, en s’élevant ainsi contre la perte du sens du sacré, en faveur de la liturgie traditionnelle, contre la vulgarisation des rites, Claudel portait un diagnostic juste sur les dérives dont il était témoin déjà avant le Concile. Plus de cinquante ans après l’analyse de Claudel, force est de reconnaître que les faits lui ont donné plus que raison.

3/ Il est de bon ton dans l'Église de France de répéter de manière incantatoire « qu’il n’y a pas de problème liturgique ». La provocation de Monseigneur Le Gall (archevêque de Toulouse) dans les colonnes de La Croix en date du 13 octobre 2006, « En France, nous avons fait un grand travail de formation en matière de liturgie. Et même s’il reste encore beaucoup à faire, nous n’en sommes plus aux errements des années 1970 ! Je pense que notre pays, plus que d’autres, a trouvé un équilibre en la matière », aussi énorme soit-elle, est pourtant encore révélatrice de l’aveuglement et de l’idéologie qui continuent de sévir dans les plus hautes sphères de l'Église de France. Ceci, contre toutes évidences depuis plus de cinquante ans…