11 décembre 2008

[Abbé G. de Tanoüarn, ibp] Pilpoul sur la légitimité de la messe

SOURCE - abbé Guillaume de Tanoüarn, ibp - 10 décembre 2008

Austremoine me fait l'honneur de revenir sur une vieille polémique, qu'avait accueillie le Forum Catholique il y a un an et demi : la messe dite de Paul VI est-elle un rite catholique légitime ? Il me reproche de le penser et de l'écrire.

Beaucoup de polémiques autour de cette légitimité ! Lorsqu'on aborde des questions brûlantes, en changeant un mot dans la tradition orale de la mouvance traditionnelle, on est immédiatement accusé de trahison. comme s'il y avait une sorte d'infaillibilité verbatim des analyses faites depuis 40 ans. Le recul du temps permet je l'espère de revenir sur ce sujet, sans soupçonner personne de se mettre trente deniers dans la poche.

Austremoine a choisi le site Christus imperat, et non as LPL, pour proposer une définition de la légitimité, qui lui permet de prouver sans coup férir que le NOM ne saurait être légitime. S'appuyant sur la définition d'un Dictionnaire des noms communs qu'il comprend mal, il veut nous imposer l'idée que légitime signifie juste : "On inclut donc ici une condition morale se rapportant à la vertu de justice. C'est cette notion qui définit principalement le concept de légitimité".

Cette équivalence entre la légitimité et la justice morale (ou encore, Maître T, entre la légitimité et le bien) n'a strictement aucun sens.

Je ne vais pas faire la chasse au dictionnaire ; l'usage en matière de langue me semble la règle suprême. Que dit l'usage ?

Voici deux exemples : il est évident qu'un mariage légitime (selon le droit humain ou ce droit de Dieu qu'est le droit sacramentel) n'est pas forcément un mariage juste (au sein duquel les deux époux trouvent leur juste place). Innombrable production littéraire sur la question. Deuxième exemple : il est évident qu'un régime légitime, c'est-à-dire conforme au droit fondamental, n'est pas forcément pour autant un bon régime ou un régime juste. Tout dépend des conditions dans lesquelles s'exerce ce pouvoir légitime.

Je voudrais prendre un troisième exemple où le mot "légitime" est pris en dehors de son registre (qui est celui du droit), dans un sens qui, ne lui étant pas propre, est indéniablement un sens figuré : "Après une matinée d'efforts, une bonne sieste est bien légitime". Pas l'ombre d'un droit, d'une loi ou d'une justice engagés dans cette expression. On veut simplement dire que dans de telles conditions une méridienne n'est pas reprochable.

Il est évident que dans un domaine aussi pointu que celui de la liturgie, je n'ai pas seulement songé à employer le mot "légitime" dans un sens figuré. J'étais au contraire en quête d'un terme propre qui désigne une dimension que la simple légalité formelle ne suffise pas à décrire.
J'ai beaucoup écrit sur ce sujet. Je ne me suis pas contenté de l'exemple de la loi sur l'avortement que cite mon contradicteur. Austremoine, dont les archives sont bien tenues, semble oublier l'essentiel de mon raisonnement.

Je disais que le droit positif ne suffit pas à embrasser le domaine des règlements liturgiques fondamentaux. Le pape ayant droit sur la liturgie (Justin Petipeu m'avait contesté ce point. Il semble être revenu aux positions de tout le monde sur cette question), il peut, comme souverain pontife, légitimement la modifier sans avoir, en droit, à consulter quelque corps électoral que ce soit. Ce droit n'est pas un droit humain mais un droit divin, lié au Munus sanctificandi et à la plenitudo potestatis qui est celle du pape en ce domaine. La promulgation d'une liturgie nouvelle relève de ce droit, qui introduit non une simple légalité moralement critiquable, mais une légitimité du rite, devenu de plein droit, malgré ses défauts, l'expression de la lex orandi dans l'Eglise catholique.

On me dit : vous ne pourrez plus critiquer ce rite. Vous serez obligé de le célébrer.

Non. La légitimité ne signifie pas la bonté. la légitimité d'un acte signifie sa conformité intrinsèque à un droit fondamental (et en ce sens, en ce sens seulement) à la Justice en tant qu'elle est la mise en oeuvre de ce droit.

Je vais prendre un autre exemple : il est légitime que des parents ne baptisent pas leurs enfants et personne n'a le droit de les y obliger. Cela ne signifie pas que cette abstention soit une bonne chose ou qu'elle puisse être exemptée de toutes critiques, évidemment.

Je crois que la légitimité, dans les trois exemples propres que j'ai donnés, n'implique aucune forme d'approbation. En revanche, elle exige, de celui qui doit la reconnaître, le respect. Un roi légitime, même mauvais, est respectable en tant que légitime etc. Ce que j'ai voulu montrer, c'est que la messe nouvelle, malgré ses défauts, en tant qu'elle est légitime, exige de notre part le respect (pas un respect approbateur, pas un respect affectueux, mais simplement un juste respect), parce que nous sommes catholiques et dans la mesure où nous le sommes.

Quelle est la différence entre légitimité et légalité ? La légalité concerne la loi humaine. Elle représente donc toujours au mieux un compromis entre le droit et le fait. Ce compromis peut susciter le plus parfait mépris, comme dans le cas de la loi autorisant l'avortement avant douze semaines (je ne parle pas d'un mépris pour les personnes en détresse mais d'un mépris pour les législateurs en quête de voix).

La légitimité concerne une loi ou un droit qui dépassent l'individu. Elle nous fait sortir, au moins momentanément, de toute appréciation subjective comme de tout jugement personnel pour requérir de notre part le respect d'un principe (en l'occurrence la plenitudo potestatis papae). Et peu importe que la loi ait été brutalement promulguée, n'en déplaise à notre cher abbé Aulagnier, si cette promulgation est légitime. Il ne faut pas confondre la portée d'une loi avec les conditions concrètes de son élaboration ou de sa mise en application !

Ce qui compte, lorsque se multiplient les observations les plus contradictoires et les plus déroutantes sur un sujet donné, c'est d'être capable de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, de ne pas abandonner le principe parce que son application est difficile. C'est la situation de Job, qui maintient contre vents et marées, la légitimité de l'ordre divin qu'il ne comprend pas lui-même, malgré les leçons moralisatrices de ses amis...

Austremoine, permettez-moi enfin un message personnel, au-delà de ces distinctions sémantiques. Je crois que vous prenez un peu vos désirs pour des réalités, en m'imputant je ne sais quelle trahison qui n'existe que dans ce que vous voyez comme votre intérêt actuel. A moins que vous ne soyez déjà en train de justifier la non-réception d'un papier qui vaut un million.
Disons les choses de la manière la plus haute et la plus claire : l'accord que l'Institut du Bon Pasteur a signé avec Rome (et que vous voulez vous donner le droit de refuser de signer) ne nous empêche pas de penser et d'écrire que le rite de Paul VI transmet mal aux fidèles le Mysterium fidei dont il est chargé et que l'Eglise souffre chaque jour dans ses chairs exsangues, des équivoques de ce rite qui avait été pensé pour être le rite de tous les chrétiens, quelle que soit leur conception du sacrement et du sacrifice.

Je suis convaincu que tant que l'Eglise ne redira pas clairement le caractère propitiatoire (ou simplement : réel) de son sacrifice, dans le monde a-religieux qui est le nôtre, la crise de la pratique religieuse continuera et le désert spirituel s'étendra.