4 juin 2006

[Aletheia n°93] Benoît XVI et Medjugorje


Aletheia n°93 - 4 juin 2006
BENOIT XVI ET MEDJUGORJE

1. Une mise au point
Durant le précédent pontificat, la rumeur courait que Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger étaient favorables aux supposées apparitions de la Vierge à Medjugorje, apparitions qui ont commencé il y a exactement vingt-cinq ans, en juin 1981, et qui se poursuivent encore à ce jour.
Le 26 mars 1984, Jean-Paul II aurait declaré:
– Medjugorje, c’est la continuation de Fatima.
Le 1er août 1989, recevant plusieurs des voyants de Medjugorje, le Pape aurait dit à l’une d’elles, Mirjana Dragicevic :
– Si je n’étais pas le Pape, je serais déjà à Medjugorje[1].
Je ne cite que deux des nombreuses paroles attribuées  à Jean-Paul II. Elles ont été répétées et diffusées par les partisans de l’authenticité des apparitions de la Vierge à Medjugorje. Ces supposées paroles du Pape leur servaient d’argument  pour dire que l’Eglise ne s’était pas prononcée de manière definitive sur les faits de Medjugorje.
Quelle valeur faut-il attribuer à ces supposées paroles de Jean-Paul II ?  Celui qui était encore Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Ratzinger, l’a écrit à un correspondant allemand, dans une letter en date du 22 juillet 1998 :
Ich kann dazu nur sagen, dass die dem Heiligen Vater und mir zugeschrieben Äusseruungen über Medjugorje frei erfunden sind.
“Je peux seulement dire que les déclarations sur Medjugorje attribuées au Saint Père et à moi-même sont de pures inventions.[2]

2. Un démenti
Une autre rumeur a couru dès le début du pontificat de Benoît XVI et elle court encore : alors qu’il n’était encore que cardinal, Joseph Ratzinger se serait rendu, incognito, à Medjugorje et devenu Pape il aurait décidé de réouvrir le dossier des supposées apparitions en vue de reconnaître Medjugorje comme sanctuaire marial et lieu de pèlerinage.
Que penser de cette rumeur ?
On rapportera ici la récente declaration de Mgr Peric. En février dernier, il s’est rendu à Rome, pour la traditionnelle visite Ad Limina. Reçu en audience privée par Benoît XVI, entre autres dossiers, la question de Medjugorje a été évoquée. Mgr Peric a interrogé le Pape sur la rumeur citée ci-dessus. Voici ce que Benoît XVI lui a répondu, d’après un entretien avec Mgr Peric publié dans le bulletin de son diocèse[3] :
Cnak: Some newspapers have written that this Pope visited Medjugorje incognito while he was a Cardinal and that he is preparing to recognize Medjugorje as a shrine, etc. Did you touch upon this topic?
We did and I wrote to and spoke with the Holy Father on it. He only laughed surprisingly. Regarding the events of Medjugorje our position is well known: not a single proof exists that these events concern supernatural apparitions and revelations. Therefore from the Church’s perspective no pilgrimages are allowed which would attribute any authenticity to these alleged apparitions. The Holy Father told me: we at the Congregation always asked ourselves how can any believer accept as authentic, apparitions that occur every day and for so many years? Are they still occurring every day? I responded: Every day, Holy Father, to one of them in Boston, to another near Milano and still another in Krehin Gradac (Herzegovina), and everything is done under the protocol of “apparitions of Medjugorje”. Up till now there have been about 35,000 “apparitions” and there is no end in sight!
The Pope then continued: the previous Bishops’ Conference of the former Yugoslavia issued a statement of “non constat de supernaturalitate” (though the BCY did not use this specific formula, still the phrase “According to investigations made thus far, it cannot be affirmed that these events concern supernatural apparitions or revelations”, corresponds to the traditional formula in these matters). Has the current Bishops’ Conference of Bosnia-Herzegovina or the Croatian Bishops’ Conference reconfirmed the previous declaration?
I replied: There has been no joint reconfirmation, but each individual bishop when speaking on this issue refers to the Declaration. I added that I was sent to Mostar in 1992 and that I have been following the events from the beginning and that from the last declaration of the Bishops in 1991 up till now, nothing significant has changed, nothing new has happened, nor have any new elements occurred which would change the meaning of the events. In my opinion, from the numerous local facts, it is evident that these events can be defined not only by “non constat de supernaturalitate” i.e. : it is not certain that these events concern supernatural apparitions, but also by “constat de non supernaturalitate” i.e. : it is certain that these events do not concern supernatural apparitions. The numerous absurd messages, insincerities, falsehoods and disobedience associated with the events and “apparitions” of Medjugorje from the very outset, all disprove any claims of authenticity. Much pressure through appeals has been made to force the recognition of the authenticity of private revelations, yet not through convincing arguments based upon the truth, but through the self-praise of personal conversions and by statements such as one “feels good”. How can this ever be taken as proof of the authenticity of apparitions?
Finally the Holy Father said: we at the Congregation felt that priests should be of service to those faithful who seek Confession and Holy Communion, “leaving out the question of the authenticity of the apparitions”.
At the Congregation for the Doctrine of the Faith, they are particularly concerned about the schism in our local Church. A local group of ex-Franciscans are presenting themselves as true Franciscans, misleading the faithful, instructing them in an un-ecclesiastical spirit, invalidly offering them the sacraments, and destroying the unity of teaching, sacraments and governance. And all of this serves towards a struggle for their own rights against the generally acclaimed rights of the Church. It was suggested at the Congregation that the local bishop follow the events in Medjugorje and send in reports on occasion as has been done thus far. From my encounter, I had the impression that these “private apparitions” are considered a truly private matter and private business to merit greater consideration on the part of the Holy See, as desired by the persistent petitioners and sensational journalists.
Benoît XVI a donc « ri » des rumeurs concernant sa prochaine approbation de Medjugorje comme sanctuaire reconnu et lieu de pèlerinage. Il a aussi fait part de ses interrogations sur le nombre infini des supposées apparitions. On relèvera encore que Mgr Peric a renouvelé, devant le Pape, sa position sur les faits :  « Constat de non supernaturalitate ».

3. Quel est le jugement de l’Eglise ?
Quelques jours après la parution de mon recueil documentaire sur Medjugorje[4], l’évêque d’un diocèse français, bienveillant, s’est inquiété auprès de moi de l’expression qui figure dans le titre : « Constat de non supernaturalitate ». Ce n’est pas le jugement de l’Eglise, m’a-t-il dit en substance, c’est l’opinion de l’évêque du diocèse de Mostar. Il faudrait ne tenir pour jugement de l’Eglise que la déclaration de la Conférence des Evêques de Yougoslavie qui a exprimé,  en 1991, un Non constat de supernaturalitate.
La distinction me semble, en l’occurrence, inopérante. Les deux formules ne sont certes pas équivalentes, tout au contraire. Mais il me semble que la position de Mgr Peric, exprimée publiquement à partir de 1997, a une autorité dernière par rapport à la déclaration de la Conférence épiscopale de 1991.
Après le travail effectué par plusieurs commissions canoniques, la Conférence des évêques de Yougoslavie avait publié le 10 avril 1991 une « Déclaration » dans laquelle il est affirmé : « Sur la base des études faites jusqu’à maintenant, on ne peut affirmer que ces événements concernant des apparitions ou des révélations surnaturelles ». Ce qui équivalait à la formule canonique traditionnelle : Non constat de supernaturalitate.
Le 2 octobre 1997, alors que les présumées apparitions continuaient encore, et fort de son « expérience épiscopale de cinq ans dans le diocèse », Mgr Peric rendait publique une « Position » plus catégorique : « Ma conviction et ma position n’est pas seulement Non constat de supernaturalitate, mais bien Constat de non supernaturalitate des apparitions ou révélations à Medjugorje. »
La « Position » de l’évêque du diocèse où se déroulent les supposées apparitions ne serait-elle pas un jugement de l’Eglise ? Aurait-elle moins d’autorité qu’une « Déclaration » collégiale antérieure de six années ?
En matière d’apparitions, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut intervenir, soit à la demande de l’évêque du diocèse où se déroulent les faits, soit à la demande d’ « un groupe qualifié de fidèles »[5]. A ce jour, à ma connaissance, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’étudie pas les faits de Medjugorje et ne prépare pas de déclaration sur le sujet. Les fidèles peuvent donc raisonnablement considérer que le jugement de l’Eglise a bien été exprimé par l’évêque du diocèse où se déroulent les faits.
Yves CHIRON
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Publication d'un ouvrage inédit de soeur Lucie de Fatima
Soeur Lucie de Jésus dos Santos a été avec François et Jacinthe Marto, témoin des apparitions de la Vierge à Fatima à partir du 13 mai 1917. Le Saint Siège a attendu 45 ans avant de révéler le contenu de ce que l'on a appelé le « troisième secret de Fatima ».
L'ouvrage intitulé « Il messaggio di Fatima » (Le message de Fatima) sortira en italien le 10 juin, et en français (aux Editions Parole et Silence), dans les semaines à venir. Il est édité avec l’imprimatur de Mgr Serafim de Sousa Ferriera e Silva, évêque émérite de Leira-Fatima.
Cet ouvrage inédit présente le message de Fatima en relation avec le temps qui s'est écoulé et les événements qui se sont produits. Dans l'introduction, le père Geremia Carlo Vechina, confesseur de soeur Lucie, raconte que la voyante avait déjà travaillé à la rédaction d'un texte à la demande du Père général de l'époque, qui deviendra le cardinal Anastasio Alberto Ballestrero, à l'occasion de son passage à Coimbra au cours de l'année 1955.
Cette oeuvre fut envoyée à Rome, à la demande du pape Paul VI, mais - écrit le Père Vechina - « fut oubliée dans les Archives vaticanes ». Dans l'ouvrage, soeur Lucie raconte que le 15 mai 1982 elle reçut de la part du Père Geremia Carlo Vechina, alors provincial de l'ordre des Carmes déchaux, l'invitation de « transcrire tout les détails concernant le Message de Fatima, depuis le début ». La voyante affirma être restée un peu sceptique, craignant de ne pas avoir l'autorisation du Saint-Siège d'écrire sur ce sujet.Ses doutes s'évanouirent lorsqu’elle eut l'occasion de parler avec le cardinal Eduardo Pironio, en visite à la communauté, le 9 septembre 1983.
Dans la première partie du livre soeur Lucie s'interroge sur la raison pour laquelle le Seigneur a choisi «  des enfants aussi pauvres et ignorants » pour la réalisation de ses projets. Et elle explique que le Seigneur « veut des coeurs purs pour agir en eux selon son bon plaisir » comme il est écrit dans l'Evangile « Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu ». Sœur Lucie aborde par conséquent tous les passages de la rencontre avec la Vierge, les demandes de prier le chapelet, le respect des commandements, les mystères de la Très Sainte Trinité, la pratique de l’Eucharistie et surtout le sens chrétien de la souffrance. « La Dame » (c’est ainsi que sœur Lucie appelle la Vierge) demanda aux pastoureaux d’offrir leurs personnes à Dieu et « de supporter toutes les souffrances qu’Il voudra vous envoyer, comme acte de réparation pour les péchés qui l’offensent, et de supplication pour la conversion des pécheurs ». Sœur Lucie raconte que les pastoureaux, « sans se préoccuper des souffrances que le Seigneur leur aurait envoyées, s’abandonnèrent totalement à la volonté de Dieu et, sans le savoir, car ils ne connaissaient pas les Ecritures, ils répondirent en suivant le Christ lorsqu’il dit ‘Me voici O Père, pour faire ta volonté’ ». Selon sœur Lucie, c’est dans ce passage que l’on comprend l’Eucharistie.
   Sœur Lucie raconte également des événements inédits, comme lorsque la Vierge, en référence à la guerre 1914-1918 aurait dit : « La guerre est sur le point de se terminer, mais si l’on ne cesse pas d’offenser Dieu sous le pontificat de Pie XI, une autre, pire encore, commencera ». La voyante explique que l’histoire a vu « l’éclatement d’une guerre athée, contre la foi, contre Dieu, contre le peuple de Dieu. Une guerre qui voulait exterminer le judaïsme d’où provenait Jésus-Christ, la Vierge et les Apôtres qui nous ont transmis la parole de Dieu et le don de la foi, de l’espérance et de la charité, peuple élu de Dieu, choisi depuis le commencement : ‘le salut vient des Juifs’ ».
Sœur Lucie évoque ensuite la Russie communiste et les guerres provoquées dans le monde. Elle rappelle que la Vierge a demandé la « consécration de la Russie à son Cœur immaculé ». « S’ils écoutent mes demandes – aurait dit la Vierge à sœur Lucie – la Russie se convertira et la paix règnera. Sinon, elle diffusera ses erreurs dans le monde, suscitant des guerres et des persécutions contre l’Eglise. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père devra souffrir beaucoup, diverses nations seront détruites ». Après tout cela, cependant, la Vierge aurait confié aux pastoureaux : « Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira et un temps de paix sera accordé au monde. Mon Cœur Immaculé triomphera enfin ». Sœur Lucie explique cette partie du message de la Vierge par la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie que le pape Jean-Paul II fit à Rome le 25 mars 1984, devant la statue de la Vierge vénérée dans la petite chapelle des Apparitions à Cova d’Iria, à Fatima. Cet acte, aux côtés de tant d’autres, aurait, selon sœur Lucie, converti également les dirigeants de la Russie communiste. (Zenit.org, 2 juin 2006)
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[1] Ces deux propos attribués à Jean-Paul II, et d’autres, sont cités dans la brochure de Sœur Emmanuel et Denis Nolan, Medjugorje : que dit l’Eglise, Ephèse Diffusion, 1995. La brochure a connu plusieurs rééditions augmentées et a été traduite en anglais, allemand, italien, espagnol, polonais, coréen et croate.
[2] La lettre, signée, a été reproduite à plusieurs reprises et elle a été citée par Mgr Ratko Peric, évêque de Mostar (diocèse où se trouve Medjugorje) dans sa très importante conférence Medjugorje. Secrets, messages, vocations, prières, confessions, commissions (17 février 2004).
[3] Entretien paru dans le bulletin diocésain mensuel de Mostar-Duvno, Crkva na kamenu,  n° 4/2006, pp. 22-24. 
[4] Medjugorje (1981-2006). « Constat de non supernaturalitate ». Journal de Medjugorje. Conférence de Mgr Peric (2004). Déclarations et communications épiscopales, Editions Nivoit (5 rue du Berry, F - 36250 Niherne), 90 pages, 10 € franco.
[5] Normes relatives au discernement des révélations privées, 24 février 1978.