17 avril 2003

[Aletheia n°41] Ecclesia de Eucharistia

Aletheia n°41 - 17 avril 2003
Ecclesia de Eucharistia
Il y a un peu plus de deux ans, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X publiait une "étude théologique et liturgique" intitulée Le Problème de la réforme liturgique. Précédée d'une "Adresse au Saint-Père", signée par Mgr Fellay, Supérieur général de la FSSPX, cette étude était aussi une prise de position solennelle, en forme de manifeste (cf. Alétheia, n° 11, 15.3.2001). Les auteurs de cette étude estimaient que la "théologie du mystère pascal" est "l'âme" de la réforme liturgique menée après le concile Vatican II. Ils estimaient aussi : "Parce qu'elle est réductrice du mystère de la Rédemption ; parce qu'elle considère le sacrement uniquement dans son rapport au "mystère" ; parce que la conception qu’elle se fait du “mémorial” altère la dimension sacrificielle de la messe, cette “théologie du mystère pascal” éloigne dangereusement la liturgie postconciliaire de la doctrine catholique...”
Jean-Paul II, par l’encyclique Ecclesia de Eucharistia (“L’Eglise vit de l’Eucharistie”) parue ce Jeudi saint, apporte, me semble-t-il, des réponses au livre-manifeste de la FSSPX. Sans être au fait de tous les arcanes du Vatican, différents indices laissent penser que l’interpellation doctrinale de la FSSPX n’a pas été étrangère à la décision prise par Jean-Paul II de consacrer une encyclique au “saint Sacrifice de la Messe”.
Je laisse aux théologiens compétents le soin d’analyser et de commenter cette quatorzième encyclique de Jean-Paul II. Je voudrais simplement relever certains points immédiatement perceptibles au lecteur de bonne foi.
. On note, tout d’abord, l’insistance avec laquelle Jean-Paul II rappelle le caractère sacrificiel de la messe. C’est des dizaines de fois qu’on pourrait relever le mot dans l’encyclique, sous des formes diverses : “Sacrifice eucharistique”, “saint Sacrifice de la Messe”, la “valeur sacrificielle” du Mystère eucharistique, “la nature sacrificielle du Mystère eucharistique”, “l’Eucharistie est un sacrifice au sens propre, et non seulement au sens générique”, et bien d’autres emplois du terme.
. On remarque aussi  les références explicites aux définitions dogmatiques du concile de Trente sur la messe et surtout le rappel de leur valeur normative. Le p. Bruno Chenu, assomptionniste, un des collaborateurs éminents de la Croix, n’avait pas voulu laisser passer l’étude de la FSSPX sans “riposter” — c’était son expression — et, le 2 avril 2001, il avait publié un article, imprudemment et impudemment intitulé : “Pourquoi Vatican II a “corrigé” Trente” (cf. Alétheia, n° 13, 24.4.2001). Il expliquait que la doctrine de la messe comme sacrifice propitiatoire est l’héritière du concile de Trente, lequel “ne peut être compris que dans son contexte”. Le révérend père théologien expliquait aussi qu’avant Luther et le concile de Trente “l’expression le sacrifice de la messe était presque inconnue en Occident”.
Jean-Paul II, bien évidemment, ne partage pas ce relativisme doctrinal. Dès l’introduction de son encyclique, il insiste sur la “référence dogmatique” que constitue l’enseignement du concile de Trente sur la messe :
“Comment  ne pas admirer les exposés doctrinaux des décrets sur la sainte Eucharistie et sur le saint Sacrifice de la Messe promulgués par le Concile de Trente ? Au cours des siècles qui ont suivi, ces pages ont guidé la théologie aussi bien que la catéchèse, et elles sont encore une référence dogmatique pour le renouveau continuel et pour la croissance du peuple de Dieu dans la foi et dans l’amour envers l’Eucharistie.”
Plus loin, dans le premier chapitre consacré au “Mystère de la Foi”, Jean-Paul II rappelle “la doctrine toujours valable du concile de Trente” sur la transsubstantiation.
. Concernant la doctrine du “Mystère pascal”, nouvelle théologie dangereuse selon l’étude de la FSSPX, le Pape développe un enseignement qui ne se contente pas de répéter ce qui a déjà été écrit sur le sujet. Dès le deuxième paragraphe de l’introduction de l’encyclique, Jean-Paul II décrit l’Eglise comme naissant du “mystère pascal”. L’unité du mysterium paschale est, dit le Pape, l’unité du mysterium eucharisticum. Citant les paroles de l’Institution, Jean-Paul II illustre le lien entre les jours saints du Triduum pascal, même s’il ajoute : “Les Apôtres qui ont pris part à la dernière Cène ont-ils compris le sens des paroles sorties de la bouche du Christ ? Peut-être pas. Ces paroles ne devaient se clarifier pleinement qu’à la fin du triduum pascal, c’est-à-dire de la période qui va du Jeudi soir au dimanche matin.”
. Enfin, sans prétendre, encore une fois, faire une analyse exhaustive de cette très importante encyclique de Jean-Paul II, on relèvera encore le cinquième chapitre, consacré à “la dignité de la célébration eucharistique”. Le Pape, comme l’avait fait avant lui Paul VI déjà, et comme l’ont fait ensuite d’éminentes autorités de l’Eglise, à commencer par le cardinal Ratzinger, le Pape déplore que “surtout à partir des années de la réforme liturgique post-conciliaire, en raison d’un sens mal compris de la créativité et de l’adaptation, les abus n’ont pas manqué, et ils ont été des motifs de souffrance pour beaucoup. Une certaine réaction au “formalisme” a poussé quelques-uns, en particulier dans telle ou telle région, à estimer que les “formes choisies” par la grande tradition liturgique de l’Eglise et par son Magistère ne s’imposaient pas, et à introduire des innovations non autorisées et souvent de mauvais goût”.
Quiconque a un peu voyagé en Europe et dans le monde, et a assisté à l’étranger à des messes selon le nouveau rite, peut deviner quels pays sont particulièrement visés par le Pape. La France est au premier rang. Jean-Paul II annonce, dans l’encyclique, qu’un “document plus spécifique”, sur les normes liturgiques, est en préparation par les Dicastères compétents de la Curie.
On lira avec intérêt les réactions des uns et des autres à cette grande encyclique de Jean-Paul II et on sera attentif à l’esprit  ecclésial et spirituel dans lequel cet enseignement du Magistère sera reçu.