16 septembre 2002

[Aletheia n°32] Avertissement du Pape aux théologiens - Une interview de Mgr Fellay - Le cas Rosmini

Yves Chiron - Aletheia n°32 - 16 septembre 2002
Avertissement du Pape aux théologiens
Le jeudi 5 septembre, Jean-Paul II a reçu à Castel Gandolfo un groupe d'évêques brésiliens en visite ad limina. Il leur a recommandé plus de vigilance dans les admissions au séminaire. Il a aussi, longuement, évoqué la situation actuelle de la théologie en exprimant ses préoccupations et en faisant une mise en garde claire et vigoureuse. Le pape a précisé dans son discours que ses préoccupations et sa mise en garde ne concernaient pas seulement les théologiens brésiliens mais ceux d' “autres parties du monde”.
Certains journaux italiens, notamment Il Giornale dans son édition du 6 septembre, ont longuement rendu compte de cette exhortation. Comme aucun journal français, à ma connaissance, n’en a fait autant, je crois utile d’en reproduire des extraits, traduits de l’italien, en attendant - on l’espère - la publication intégrale dans la Documentation catholique.
Jean-Paul II a exprimé sa “profonde tristesse et ses préoccupations” pour le caractère inadéquat de l’enseignement de la théologie dans certains instituts de théologie et séminaires. Cette inadéquation “est due, a dit le pape, à une préparation insuffisante ou à des positions en désaccord avec l’enseignement de l’Eglise”.
Le pape s’inquiète de certaines tendances de la théologie catholique qui se laissent “conditionner par la mentalité et la sensibilité de l’homme moderne”.
“Dans les facultés ou instituts de théologie de diverses parties du monde, et aussi au Brésil, une vision mutilée de l’Eglise se répand, selon une idéologie qui perd de vue le point essentiel : que l’Eglise est une participation au mystère de Dieu incarné.”
“Les évêques, a déclaré aussi le pape, ont le devoir de veiller à ce que la théologie ne se réduise pas une vision purement humaine de l’Eglise et des hommes eux-mêmes.”
“Les efforts, certainement légitimes et nécessaires, d’unir (unire) le message chrétien à la mentalité et à la sensibilité de l’homme moderne, et d’exposer la vérité de la foi avec des instruments connexes à la philosophie moderne, aux sciences positives, ou en partant de l’homme contemporain et de la société, peuvent, s’ils ne sont pas adéquatement contrôlés, menacer la nature-même de la théologie et le contenu de la foi.”
Une interview de Mgr Fellay
Le dernier numéro de la revue Fideliter (B.P. 88, 91152 Etampes Cedex, 7,50 euros le numéro), n° 149, septembre-octobre 2002, contient le compte-rendu d’un long entretien avec Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.
Mgr Fellay passe en revue la situation de la FSSPX (“désormais presque 450 prêtres et plus de 60 frères”), le vieillissement relatif de ses effectifs (“la moyenne d’âge reste juste en dessous des 40 ans”), le développement des études doctrinales réalisées par des prêtres de la FSSPX.
Mgr Fellay évoque aussi longuement l’accord intervenu entre les prêtres de Campos et Rome. Il dit ne pas partager “l’analyse optimiste de l’abbé Aulagnier” (cf. Aletheia n° 29) et redoute, dans les dix ans à venir, de voir des “nuages noirs s’amonceler” sur Campos. Il estime : “On ne peut pas affirmer que la concession faite par Rome vis-à-vis de Campos représente un réel changement, disons une faveur, un regard de bienveillance de Rome sur la Tradition.”
Le Supérieur général de la FSSPX fait le point sur l’état de ses relations avec le Saint-Siège. Il évoque enfin la biographie de Mgr Lefebvre, rédigée par Mgr Tissier de Mallerais, publiée par les éditions Clovis et qui sera mise en vente à partir du 6 octobre prochain.
A son interlocuteur - l’abbé Grégoire Celier, directeur de la revue et des éditions Clovis - qui l’interroge sur la liberté prise par l’auteur de cette biographie, Mgr Fellay assure : “ la Fraternité n’entend pas imposer à ses membres un carcan sur des points historiques librement discutables, comme si on obligeait à voir toutes choses avec des œillères.”
Le cas Rosmini
En juillet 2001, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié une “Note sur la validité des décrets doctrinaux concernant la pensée et les oeuvres du P. Antonio Rosmini Serbati”. Pie IX, en 1849, avait inscrit à l’Index deux des ouvrages de Rosmini (1797-1855). Léon XIII, en 1887, avait condamné 40 propositions, tirées principalement des oeuvres posthumes de Rosmini. La Note de 2001 affirme, après “un examen approfondi”, que “les sujets de préoccupation et les difficultés doctrinales qui ont déterminé la promulgation des Quarante Propositions n’ont plus lieu d’être”.
Cette Note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a scandalisé certains qui voient là un nouveau reniement de la “Rome moderniste”.
Sans juger, ici, du cas Rosmini, on peut renvoyer, pour une information plus complète sur le sujet, à une étude publiée par un religieux membre de l’Institut de Charité, congrégation fondée par Rosmini. Précisons que ce prêtre est très proche des milieux traditionalistes. Le P. Bellwood veut défendre le fondateur de l’Institut auquel il appartient.
Son étude, La “Question rosminienne”, qui compte 40 pages, sera envoyée gracieusement aux lecteurs d’Aletheia, qui en feront la demande en joignant une enveloppe timbrée à 0,69 euros. S’adresser directement à l’auteur :
Rév. Père Robert Bellwood
Notre-Dame du Rafflay
44690 Château-Thebaud

15 septembre 2002

[La Lettre d’Oremus] Ecclesia Dei : bilan 2002 du motu proprio

SOURCE - La Lettre d’Oremus - Bulletin d’information consacré à la liturgie catholique latine traditionnelle - n°13 - septembre 2002

Ecclesia Dei : bilan 2002 du motu proprio

En juillet 1988, le pape Jean-Paul II publiait le motu proprio Ecclesia Dei. Cet acte fort du Saint-Père voulait être un geste généreux de paix après des décennies de déchirements autour des questions liturgiques. A plusieurs reprises, le Saint-Père a réitéré son vœu de voir cette situation se normaliser en appelant les évêques à faire une application large et généreuse de l’autorisation de la liturgie traditionnelle. L’équipe d’Oremus fait le bilan de la situation en France, un des pays où la messe traditionnelle est certainement la plus répandue.
Le motu proprio est-il vraiment appliqué en France ?
Disons tout d’abord que l’existence même du motu proprio est mal connue. Le sondage Ipsos auprès des catholiques français, publié en mai 2001, montrait que seulement un peu plus de 50% des catholiques savait que la liturgie traditionnelle était autorisée en France; près de 50% l’ignorait ou pensait qu’elle était tout simplement interdite. On ne peut donc pas dire que depuis 1988, il y ait eu un effort particulier pour faire connaître cette mesure, voulue «généreuse» par le Saint-Père. Il faut rappeler également que si cette ouverture a été expressément voulue par Jean-Paul II, il a souhaité également que son application soit laissée à l’entière bonne volonté des évêques diocésains. Ils sont seuls responsables dans leur diocèse de l’application ou non du motu proprio.
Certes mais dans la pratique dans combien de diocèses de France peut-on assister à cette liturgie ?
Sur 93 diocèses de France métropolitaine, la messe traditionnelle est célébrée régulièrement (c’est à dire au moins chaque dimanche et fête) dans au moins une chapelle ou église paroissiale accessible aux fidèles ordinaires, dans 49 diocèses c'est-à-dire un peu plus de 50 %. Si on ajoute les diocèses où la messe est célébrée dans un monastère, et bien que la messe destinée à une communauté religieuse ne soit pas le statut normal pour une communauté de fidèles, on passe à 51 diocèses, soit 55% du total des diocèses.
Cela représente-t-il de nombreux lieux de culte ?
Cela représente 82 lieux de messes (73 dans des chapelles et 9 dans des monastères). Il faut noter que cela concerne entre 1 et 4 lieux dans chaque diocèse mais dans la majorité des cas, soit 31 diocèses sur 51, un seul lieu. Or quand on connaît la taille d'un diocèse, on peut imaginer que cette possibilité est évidemment restreinte et que la plupart des fidèles souhaitant assister à la liturgie traditionnelle se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres d'un lieu de célébration. Il est difficilement imaginable pour tous de parcourir une telle distance le dimanche.

1993 2000 2001
Nombre de diocèses où la messe traditionnelle est célébrée de manière hebdomadaire
45 48 51
% du nombre de diocèses où la messe traditionnelle est célébrée de manière hebdomadaire
48% 51% 55%
Nombre de messes traditionnelles hebdomadaires  en France
67
81
82
% de diocèses où la messe traditionnelle n'est même pas célébrée une fois par mois
47%
40%
35%
Certes, mais ces autorisations ont bien été données d’abord dans les grandes villes de chaque diocèse, n’est-ce pas ?
Ce n’est malheureusement pas le cas du tout. Sur les 51 diocèses où la messe traditionnelle est célébrée hebdomadairement, 14 d’entre eux ne prévoient pas la célébration de la messe traditionnelle dans une ville de plus de 5000 habitants; 5 d’entre euxn’en disposent même que dans le cadre de communautés religieuses qui utilisent l’ancien missel et non dans des chapelles de type paroissial. En tout cas, cela signifie qu’un tiers des diocèses qui proposent une célébration hebdomadaire la proposent dans des conditions qui rendent son usage difficile hors des zones les plus peuplées. En Charente ou dans l’Oise par exemple, était-il si difficile de donner cette autorisation ailleurs que dans un village ? On est donc loin d’une application aussi généreuse partout.
Qu'en est-il des autres diocèses?
Dans un certain nombre de diocèses, l’évêque n’a pas souhaité autoriser une célébration hebdomadaire, souvent pour éviter que ne se crée une «habitude trop grande» qui ferait éloigner les fidèles du rite actuellement en vigueur... Une telle attitude n’est pas vraiment reconnaître la sensibilité de ces fidèles qui puisent leur spiritualité dans la liturgie traditionnelle. Sans régularité, une communauté, parfois obligée de changer de lieu chaque semaine, finit vite par se déliter et disparaître. Il est donc facile aux «mauvaises langues» de suggérer que c’est l’effet recherché ! C’est un argument souvent avancé pour affirmer que des relations de confiance sont impossibles. Si vraiment l’autorité est bienveillante et paternelle, ne pas accorder au moins un rythme hebdomadaire, c’est presque pire que de ne rien donner car on décourage même les meilleures volontés. Et pourtant dans certains diocèses, cela fait des années que des messes sont célébrées ici ou là sans qu’une autorisation hebdomadaire dans un lieu fixe soit donnée... Quelle abnégation pour les fidèles.

Si on comptabilise les lieux où elle est célébrée occasionnellement (1 à 2 fois par mois), soit 22 lieux dans 17 diocèses, on peut ajouter 9 autres diocèses qui connaissent au moins cette célébration occasionnelle. La messe traditionnelle est donc célébrée régulièrement dans seulement 55 % des diocèses de France avec l'autorisation de l'évêque, et 35 % des diocèses ne disposent même pas d'une messe occasionnelle.

Là encore, une étude détaillée montrerait que c’est souvent dans des lieux reculés que les autorisations sont données.
sur total diocèses sur total dioc. avec messe traditionnelle hebdomadaire
Nombre de diocèses où la messe traditionnelle est célébrée de manière hebdomadaire 51 55% 100%
Nombre de diocèses où la messe traditionnelle est célébrée de manière hebdomadaire dans une ville de plus de 5 000 hab. 37 40% 72%
Nombre de diocèses où la messe traditionnelle n’est célébrée de manière hebdomadaire que dans une ville de moins de 5 000 hab. 14 (dont 4 communautés religieuses) 15% 28%
Mais cette progression est continue... Avec le temps des évêques ne donnent-ils pas de nouvelles autorisations ?
Il est fort intéressant de comparer la situation actuelle avec celle qui existait en 1993 soit exactement 5 ans après la promulgation du motu proprio. On constate qu'à cette époque 42 diocèses proposaient déjà une messe hebdomadaire accessible aux fidèles en paroisse ou dans une chapelle, soit 7 de moins qu'aujourd'hui ; si on y ajoute les monastères on constate qu'on est passé de 45 diocèses offrant une messe traditionnelle hebdomadaire à 51 diocèses, soit seulement 6 de plus ; cette progression est le résultat de 10 diocèses nouveaux qui ont accueilli une célébration hebdomadaire et de 4 diocèses qui l'ont abandonnée. Il faut noter que pour la seule année 2001, 3 nouveaux diocèses ont accueilli la célébration de la liturgie tridentine alors que ce n'était pas le cas par le passé. C’est un signe encourageant mais assez trompeur. De fait la plupart des autorisations ont été données il y a près de dix ans.
Cependant le nombre global de lieux augmente ...
Certes, le nombre de lieux a augmenté, passant de 67 à 82, ce qui montre que, là où la célébration a été autorisée, la demande a été plus forte, répondant manifestement à une demande légitime mais c’est peu de choses comparé au total des fidèles qui assisteraient volontiers à la liturgie traditionnelle. Ce n’est qu’une indication mais, selon le sondage Ipsos déjà cité, 25% des catholiques assisteraient certainement à la liturgie traditionnelle s’ils avaient l’occasion de le faire. Ce n’est pas un phénomène négligeable.
Si dans certains diocèses cette liturgie n’est pas autorisée, c’est sans doute que la demande est nulle...
En 1990, le père abbé du Barroux remettait au Saint-Père plus de 50 000 signatures de fidèles demandant une plus large application du motu proprio. Suite à cette requête et à la demande de Dom Gérard, Oremus a entrepris l’informatisation de cette supplique : il est clair que même dans le plus petit diocèse de France il y a au minimum une centaine voire plus de familles qui souhaiterait pouvoir suivre cette liturgie et ne parlons pas des grands diocèses où ce sont des centaines, voire des milliers. Et encore ce sont ceux qui expriment une demande claire, par écrit, ce qui est quand même un acte militant... Combien de silencieux cela représente-t-il, quand on sait déjà que la moitié des catholiques ignore l’existence du motu proprio dont il faut dire qu’en France il n’en a jamais été fait publicité.
Quand même dans les grandes villes, cette demande est satisfaite !
Mais non, les trois grands diocèses de région parisienne que sont Nanterre, Saint-Denis et Evry ne bénéficient d’aucune célébration de messe traditionnelle; un recensement effectué par le diocèse de Versailles faisait par exemple état d’un important noyau de fidèles du diocèse de Nanterre contraint de venir dans les Yvelines suivre les offices traditionnels. On pourrait estimer que là, la distance est courte mais en province il est souvent physiquement impossible d’assister à une messe traditionnelle si on le souhaite.
Des demandes sont-elles réellement faites ? Pourquoi accorder quelque chose si personne ne le demande formellement ?
Une fois de plus, l’origine géographique des signataires de la supplique au Saint-Père mais aussi – nous y reviendrons– la présence dans tous les diocèses ou presque de lieux non autorisés montrent que le problème concerne tous les diocèses de France. Il est cependant exact qu’il n’est pas facile pour de simples fidèles d’aller faire cette demande à l’évêque... La crainte d’être éconduit, le fait de se croire seul dans ce cas, conduisent plutôt les fidèles à quitter des célébrations dans lesquelles ils ne se retrouvent plus qu’à faire une démarche formelle auprès de leur évêque.

Il faut dire que la tendance «traditionnelle» n’a pas été spécialement encouragée dans l’Eglise de France ces dernières décennies ... il faut donc avoir un peu de «culot» pour faire cette démarche.

Depuis la publication du motu proprio il n’existe pas un seul évêque qui ait fait lui-même cette démarche en disant à ses fidèles «je suis prêt à appliquer le motu proprio pour les fidèles qui le souhaiteraient».

Dans le diocèse de Nanterre par exemple, en quelques années ce sont trois démarches successives qui ont été faites par des diocésains... qui souvent n’ont pas même réussi à avoir un rendez-vous avec un représentant de l’évêché... Il est donc logique qu’aujourd’hui il n’y ait pas de messe traditionnelle dans ce diocèse mais ce n’est pas faute d’avoir demandé.
Le manque de prêtres alors ?
On peut comprendre que la raréfaction du clergé, qui s’accentue avec les années constitue un obstacle pour un évêque qui ne peut consacrer un prêtre à un tel apostolat alors que son diocèse en manque cruellement. Cependant les communautés traditionnelles ordonnent chaque année une douzaine de prêtres français qui sont prêts à servir l’Eglise dans le cadre diocésain en usant du rite traditionnel. Cela devrait suffire à la tâche. Et c’est sans compter les prêtres qui, si ils en avaient l’autorisation, célébreraient volontiers ce rite même occasionnellement.
Est-ce que ce sont plutôt des évêques dits «conservateurs» qui ont donné ces autorisations ?
Cette notion d’étiquette distinguant entre «conservateurs» ou «progressistes» nous semble tout à fait inadaptée et irrespectueuse de l’autorité diocésaine. L’évêque est le pasteur légitime d’une diocèse, et le fait que telle ou telle de ses positions ne nous plaise pas personnellement n’a pas grande importance. Il est le père et le pasteur des fidèles de son diocèse. Il faut donc le considérer comme tel. On peut peut-être dire que ceux qui ont accordé le plus facilement ces autorisations sont ceux qui avaient le plus grand souci pastoral, réalisant, selon le mot du cardinal CastrillonHoyos, que ces fidèles «ne font aucun mal» et qu’au contraire c’est servir l’unité diocésaine que de les y intégrer généreusement.

Ce n’est sans doute pas facile car il y a de multiples pressions et il faut peut-être un certain courage à un évêque pour prendre cette décision ...mais quand même, le pape et les autorités romaines ont été suffisamment claires pour qu’il ne soit pas infâmant de donner une telle autorisation.
Quel est le statut de ces communautés ?
Les statuts sont assez divers. Il est assez rare que la communauté traditionnelle dispose d’un lieu de culte qui lui soit propre avec les facilités de n’importe quelle paroisse du diocèse. Cette structure existe, a été accordée dans plusieurs diocèses aux Etats-Unis et fait partie des possibilités de l’évêque diocésain comme l’a rappelé le cardinal Medina dans sa lettre à l’évêque de Sienne du 11 juin 1999 : «Si le groupe était nombreux, on pourrait aussi établir pour eux un aumônier (voir Code de droit canonique, canons 564-567 et 571-572), ou même une paroisse personnelle (voir Code de droit canonique, canon 515, § 1), comme cela s'est fait dans quelques diocèses des États-Unis d'Amérique ou au Canada.»

Du coup, il n’est pas évident de développer une véritable vie de communauté avec ses activités (catéchisme, groupes de jeunes, activités diverses) et c’est quand même une contrainte importante : souvent les locaux appartiennent à une autre communauté, souvent les horaires mêmes sont partagés, enfin il arrive fréquemment que seule la célébration de la messe soit autorisée et pas la prédication du catéchisme ou l’aumônerie de groupes scouts ou autres. Là encore et tout en restant dans les limites des activités d’une communauté paroissiale «ordinaire» on pourrait aller plus loin que ce qui est accordé actuellement.
Nous n’avons pas abordé jusqu’ici la question des lieux de célébration de la messe traditionnelle non reconnus par les évêques. Qu’en est-il ?
On comptabilise dans ce cadre les lieux qui offrent la liturgie traditionnelle mais ne sont pas reconnus par l'autorité ecclésiale et qui sont dans leur quasi totalité plus ou moins liés à l'action de la Fraternité sacerdotale St-Pie X fondée par Mgr Lefebvre.
Messes Ecclesia Dei Messes sans accord ecclésial
% de diocèses qui connaissent au moins une messe traditionnelle hebdomadaire 55% 82%
Nombre de lieux de messes traditionnelles hebdomadaires en France 82 164
% de diocèses sans messe traditionnelle même mensuelle 35% 14%
Combien de lieux de ce type existent en France ?
Ces lieux de messes existent dans 79 diocèses soit 85 % des diocèses de France, représentant 193 lieux de culte. 166 d’entre eux sont des lieux où est célébrée la messe de manière hebdomadaire, recouvrant ainsi 76 diocèses soit 82 % du total.

Le nombre de lieux par diocèse varie de 1 à 6, avec une majorité de diocèses, 45 sur 76, où se trouvent plus d'un lieu. Le maillage territorial est donc beaucoup plus important que celui des messes autorisées et il est donc plus facile à des fidèles d'assister à des messes traditionnelles hors du cadre ecclésial que dans des lieux reconnus par les évêques.

Dans le cas des lieux autorisés la norme est plutôt d’un lieu par diocèse avec une minorité de diocèses qui accueillent plusieurs lieux. On voit donc là clairement que la demande pour cette liturgie existe, qu’elle est forte, qu’elle recouvre la quasi-totalité des diocèses et que, là où l’autorité ne met pas de frein (puisque ces communautés n’ont pas de lien avec l’évêque de leur diocèse), le développement de ces communautés est important.
La comparaison laisse apparaître que ces lieux sont majoritaires ...
Bien sûr. La présence des communautés auxquelles justement le motu proprio était adressé afin qu'elles rejoignent le giron de l'Église mais qui, pour des raisons diverses, n'ont pas fait cette démarche est donc près deux fois plus importante que celle des communautés en pleine communion avec l'Église.

Si on étudie les chiffres plus précisément, on constate que dans 29 diocèses la messe traditionnelle n'est pas autorisée de manière hebdomadaire par l'évêque, alors que la fraternité St-Pie X ou ses communautés amies y sont présentes de manière hebdomadaire ; le cas contraire, c’est-à-dire des diocèses où sont célébrées des messes selon le “motu proprio” etd’où est absente la Fraternité Saint Pie X, n'existe que dans 4 diocèses ; de plus, dans les diocèses où des messes hebdomadaires sont dites aussi bien avec l'accord de l'évêque que contre sa volonté soit 47 diocèses, dans près de la moitié d'entre eux (25 diocèses) le nombre de lieux de messes de la fraternité St-Pie X ou des communautés qui lui sont liées est plus grand que le nombre de lieux de messes reconnues par l'autorité. Il n'y a que 8 diocèses où le nombre de lieux reconnus par l'évêque est supérieur aux lieux non autorisés.
Nombre de diocèses ayant une célébration hebdo.
Diocèses avec 1 lieu
Diocèses avec 2 lieux
Diocèses avec 3 lieux
Diocèses avec 4 lieux
Diocèses avec 5 lieux
Diocèses avec 6 lieux
Lieux autorisés 51 31 11 7 2 0 0
Lieux non reconnus 76 31 22 11 6 2 4
Le motu proprio serait-il donc un échec ?
On constate à travers tous ces chiffres que le motu proprio est peu appliqué en France puisque après 13 années, à peine plus de la moitié des diocèses l'ont mis en application ; si on étudie de plus près cette évolution, on constate que dans près de 80% des diocèses où les messes traditionnelles ont été autorisées, elles l'ont été dans les 5 premières années du motu proprio... On considère sans doute depuis que l'application du motu proprio n'est plus nécessaire.

Pourtant, il est très clair le problème subsiste puisque cette mesure, qui était destinée à permettre aux fidèles attachés à l'ancien rite de le faire au sein de l'Église, ne touche semble-t-il pas plus de 30 % d'entre eux. Dans presque tous les diocèses (85 %) des fidèles fréquentent ces lieux en marge de la vie de l'Église, sans lien avec leur évêque ; et ils sont encore deux fois plus nombreux que ceux qui ont estimé que les propositions de l'Église à leur égard étaient généreuses.

Il est donc évident que les mesures décidées par le Saint-Pèrerestent d'actualité, ne serait-ce que pour cette masse de fidèles attachée à l'ancien rite et qu'un effort renouvelé est à effectuer. Il y a clairement un problème de confiance à restaurer qui est loin d’être un objectif atteint.
Quelle conclusion donner à ce bilan ?
Tout d’abord un appel respectueux aux autorités pour leur dire que la question n’est pas réglée. Il y a aujourd’hui en France une proportion importante de fidèles qui souhaite bénéficier de ces trésors liturgiques et qui, si elle ne trouve pas une oreille paternelle attentive, se tournera vers des communautés en marge de la vie ecclésiale. Ensuite c’est un appel aux fidèles: «Si vous êtes attaché à la messe traditionnelle, vous n’êtes pas seul dans votre diocèse, vous pouvez vous réunir et effectuer une demande auprès de l’évêque.» C’est en ce sens qu’Oremus peut apporter une aide en mettant les gens en rapport entre eux et en leur disant que, malgré tout, dans la moitié des diocèses de France, des évêques ont été sensibles à leur appel et ont œuvré pour la paix, donc que quelque chose est possible.

Cependant cette rentrée apporte également son lot de bonnes nouvelles : à Rennes, Bordeaux, Toulouse, Angers, Agen, les évêques diocésains viennent d’autoriser l’installation de prêtres de l’Institut du Christ-Roi et de la Fraternité Saint Pierre. Certes, des célébrations existaient déjà dans ces diocèses mais par des prêtres diocésains détachés à cette tâche, ou des prêtres âgés ; la cohésion des communautés de fidèles se trouvera donc renforcée par l’arrivée d’un prêtre partageant leur spiritualité, appuyé sur une communauté sacerdotale. Ils pourront ainsi développer les activités normales de toute communauté chrétienne et ainsi se considérer comme faisant réellement partie de l’église diocésaine. Cela ne peut que contribuer à l’unité de ces diocèses et il faut en remercier leurs pasteurs. 14 ans après le motu proprio est toujours d’actualité afin qu’unis, les catholiques de France puissent, dans leur diversité, participer à la nouvelle Evangélisation.
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[Abbé Hervé Mercury - Nouvelle Revue Certitudes] Le Concile et la Révélation divine

Abbé Hervé Mercury - Nouvelle Revue Certitudes (n°11) - juillet-août-septembre 2002

La cinquième Commission du Symposium avait pour objet l'étude de la Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine. Ce texte est particulièrement important, car il contient les fondements théologiques sur lesquels reposent les documents conciliaires concernant la liberté religieuse, l'œcuménisme et la collégialité. Les divers travaux, présentés par les membres de la Commission, ont mis en relief la difficulté particulière d'une exposition objective de ces principes fondamentaux.
Quelle méthode fallait-il utiliser pour mener à bien une analyse critique juste ? Trois solutions ont été envisagées : la première consiste à reprendre les questions débattues dans l'aula conciliaire et à adopter les positions présentées dans les schémas préparatoires ; la seconde à se servir essentiellement des commentaires des théologiens « qui ont fait le Concile » ; la troisième à entrer dans la perspective propre du texte pour en saisir pleinement le sens.

La première solution paralyse la réflexion théologique, parce que les schémas préparatoires ne sont pas considérés comme des textes à discuter, mais comme les réponses a priori de la doctrine chrétienne. Dans cette perspective, le Concile devrait être rejeté en bloc sans même être examiné et il faudrait en revenir purement et simplement à des thèses plus anciennes, regardées comme plus sûres. Or une telle conception n'est pas sans poser quelques difficultés.
Importance de la méthode
L'un des intervenants a pris pour exemple le débat sur les sources de la Révélation. Ce débat fut lancé le 13 novembre 1962 par la présentation du schéma préparatoire. Le texte proposé fut critiqué avec véhémence, car il se fondait sur la tradition théologique post-tridentine pour affirmer, comme une donnée de la Foi, qu'il y a deux sources séparées de la Révélation : l'Ecriture et la Tradition. A l'époque, cette conception apparaissait comme opposée à tout rapprochement avec les protestants. II fut décidé de ne pas l'adopter et le schéma préparatoire fut rejeté. Une nouvelle perspective commença à se dessiner avec les caractéristiques suivantes : dépassement des polémiques nées du concile de Trente, abandon de la méthode scolastique et ouverture à l'esprit moderne. Sur la question des sources de la Révélation, il fut finalement déclaré qu'il n'y en a qu'une seule : le Christ.
A la lumière de ces faits, la thèse abandonnée pourrait apparaître comme un jalon sûr de la Tradition et Dei Verbum comme l'expression d'un esprit nouveau et dangereux. Mais cette manière de voir ne tient pas compte de la complexité de ces questions théologiques. Dire que le Christ est la seule source de la Révélation n'est pas en contradiction avec les déclarations du Concile de Trente et permet, au contraire, de présenter la vie chrétienne dans toute sa richesse et ses nuances. C'est l'apport positif de Dei Verbum à la théologie. Si l'on fait les distinctions adéquates qui le rendent plus explicite, le texte conciliaire peut contribuer au développement de la Doctrine catholique.
Le reconnaître n'empêche pas d'en dénoncer les ambiguïtés. Mais comment repérer celles-ci ? Un des membres de la Commission a suggéré, dans l'analyse du premier chapitre de Dei Verbum, de se servir exclusivement des commentaires des experts « qui ont fait le Concile ». Par un choix judicieux de citations, il a montré que la conception de la Révélation, telle qu'elle est exposée dans ce passage, est typiquement moderniste. Bien que le texte n'en parle pas formellement, il serait possible d'y retrouver le thème de l'immanence vitale dénoncée autrefois par saint Pie X. La foi n'est plus définie comme une adhésion intellectuelle à un donné objectif reçu dans un enseignement, mais comme la capacité d'entrer en dialogue avec Dieu. Pourtant, le paragraphe 5 affirme nettement : « Au Dieu qui se révèle est due l'obéissance de la foi, par laquelle l'homme s en remet tout entier et librement à Lui dans un complet hommage d'intelligence et de volonté et dans un assentiment volontaire à la révélation qu'il fait. » Le simple recours au texte manifeste donc les limites de la méthode préconisée.
Il ne paraît pas possible aujourd'hui d'envisager une critique objective en restant à l'extérieur du texte comme si les documents conciliaires étaient écrits dans un langage impossible à déchiffrer par soi-même. En effet, le risque est trop grand de lui appliquer alors une grille de lecture qui déformera nécessairement son sens véritable. C'est pourquoi il faut s'efforcer d'entrer dans le texte lui-même et d'y rechercher la signification précise de chaque passage, de chaque expression, presque de chaque mot. Pour cela, les moyens modernes d'analyse apparaissent particulièrement efficaces.

Trois points de dérapage qui forment la clef d'une interprétation hétérodoxe
Un des intervenants s'est d'ailleurs servi des outils fournis par la linguistique pour rendre compte du discours d'ouverture de Jean XXIII. Il a mis à jour sa structure interne et a montré qu’il ne présente aucune argumentation cohérente prouvant la nécessité d'une ouverture au monde. Il s'agit finalement d'un morceau de dialectique, destiné à amener insensiblement les esprits à adopter sans examen le point de vue de l'orateur.
Faut-il en conclure que le "bon Pape" était un libéral ou un crypto-moderniste ? Un participant a estimé que la réponse devait être nuancée. Pour défendre la mémoire de Jean XXIII, il s'est appuyé sur l'encyclique Veterum sapientia qui traite de la formation du clergé. Dans ce document, le pontife romain présentait en détail le programme des études ecclésiastiques et insistait particulièrement sur l'enseignement en langue latine, comme le plus sûr garant de la préservation de la Foi.
Ces exemples montrent qu'il n'est jamais possible de se dispenser d'une étude sur la lettre même des textes. L'ambiguïté, inhérente aux textes de Vatican II, n'est pas un prétexte suffisant. Au contraire elle suppose plus d'attention, car un texte ambigu ri est pas un texte hétérodoxe. II ne suffit pas de le mettre en regard de la Doctrine pour que l'erreur saute aux yeux. L'ambiguïté ne parait que dans certains passages, susceptibles d'une double interprétation, que ne contredisent pas les autres parties du texte. Ce sont ces expressions ambivalentes qu'il convient de situer avec précision.
Un membre de la Commission a présenté le résultat de ses investigations sur les paragraphes 7 et 8 du chapitre 2 qui regarde la transmission de la Révélation divine. Il a énuméré trois « points de dérapage » qui forment la clef d'une interprétation hétérodoxe.
Malgré un rappel littéral du Concile de Trente, Dei Verbum établit, en effet, une distance entre la Révélation, assimilée au Christ Seigneur en personne, et la Bonne Nouvelle qu'il a proclamée. De ce fait, la Révélation ne nous est pas complètement accessible puisque le Christ est un Mystère insondable qui nous échappe. Nul ne peut donc prétendre posséder en son entier la Vérité révélée. De ce relativisme fondamental se déduit aisément la nécessité d'un oecuménisme qui reconnaisse les valeurs inhérentes aux autres groupes religieux, l'obligation d'une liberté qui assure l'indépendance religieuse à tout homme et l'exigence pour toute autorité religieuse d'admettre le pluralisme.
Une telle perspective permet d'éviter un contresens au sujet de la formule controversée du § 8 : « cette Tradition qui vient des Apôtres se poursuit (proficit, progresse) dans l’Eglise, sous l'assistance du Saint-Esprit ». Malgré les apparences, il n'est pas question ici du développement progressif du dogme, parce que le dogme, en tant que norme de la foi, est considéré comme une donnée relative qui varie en fonction de la tradition propre à chaque groupe humain.
Le point important se trouve plutôt dans la phrase suivante : « l'Eglise, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu. » Ce qui importe dans la marche eschatologique de l'Eglise, c'est que l'interprétation qui est faite du dogme, à chaque moment de l'histoire, ne parviendra jamais à épuiser le Mystère. C'est pourquoi l'Eglise tend vers une plénitude quelle n'atteindra pas ici-bas.
Cette expression n'est pas claire. Elle constitue l'ambiguïté. Evidemment on peut l'entendre en ce sens que l'homme ne peut pas comprendre Dieu parfaitement et cette interprétation est conforme à la Foi. Mais elle peut signifier aussi que notre discours sur Dieu ne nous permet pas de le connaître réellement, de savoir vraiment comment il est, d'exprimer adéquatement ce qu'est l'Etre divin en vérité. Selon cette conception, seule l'expérience mystique qui n'est pas l'apanage des catholiques, nous donne une véritable connaissance de Dieu. Cette théorie met en jeu les principes les plus élémentaires de notre foi. Elle s'apparente à l'agnosticisme dont elle constitue une forme mitigée. Comme tel, nous ne pouvons y adhérer.
Toute analyse critique des textes conciliaires conduit finalement à distinguer, dans un même passage, les interprétations conformes à la Foi de celles qui s y opposent ou qui engendrent le doute. La mise en cause du Concile apparaîtra légitime dans la mesure où nous mettrons en lumière les ambiguïtés objectives qui s'y trouvent et que nous en proposerons une interprétation orthodoxe. Dans le cadre de discussions avec les membres du Clergé ou les autorités romaines, ce devrait être notre but puisque c'est précisément ce qu'entendait Mgr Lefebvre quand il demandait « de lire le Concile à la lumière de la Tradition. »

3 septembre 2002

[Aletheia n°31] Deux livres de Jean Madiran

Yves Chiron - Aletheia n°31 - 3 septembre 2002
Deux livres de Jean Madiran
Lire un livre ou un article de Jean Madiran provoque toujours la sensation d’entrer en relation avec un esprit délié, à l'acribie exceptionnelle. Certains ont lancé, jadis, des mots d'ordre pour que "leurs" fidèles se désabonnent d'Itinéraires, d'autres, ailleurs, plus tard, pour d'autres raisons, ont lancé des mots d'ordre de "ne plus lire Présent". On n'épiloguera pas sur les effets de ces deux campagnes. On constatera, simplement, que de tels mots d'ordre témoignent, par contrepoint, de l'influence, redoutée, de Jean Madiran et de l'acuité de ses analyses.
Un premier livre, Une Civilisation blessée au coeur, a été imprimé en mai 2002 ; le second, La Révolution copernicienne de l'Eglise, en juin suivant. Le premier s'intéresse au temporel, à la lumière de la loi naturelle ; le second s'intéresse, et s'interroge, sur l'Eglise, à la lumière de la Tradition. L'ensemble forme un diptyque, en sept chapitres de part et d'autre, et chaque livre compte exactement le même nombre de pages.
Mais, d'un livre à l'autre, l'argumentation procède différemment.
Dans Une Civilisation blessée au coeur - quel beau titre ! -, chaque "chronique" est suivie d'une "didactique", à la lumière de la loi naturelle qui est devenue si "étrangère au monde contemporain".
Dans La Révolution copernicienne dans l'Eglise, les analyses s'articulent autour d'une question essentielle : "Sous des angles différents, d'une manière plus ou moins superficielle ou approfondie, c'est toujours la même question qui est en question dans l'Eglise : l'”évolution conciliaire” qui a été provoquée par Vatican II est-elle conforme, est-elle contraire à la doctrine antérieure des papes et des conciles ?".
On ne résumera pas ces deux livres.
De La Civilisation blessée au coeur, on retiendra, entre autres choses, le rappel de "la survivance médiatico-culturelle, en Europe, de conditionnements intellectuels issus du marxisme-léninisme" (p. 22). On sera attentif au constat que "l’athéisme tient l’Etat, la justice, l’éducation publique, les spectacles et les médias" (p. 57). Notre civilisation, "blessée au coeur", est à l’agonie, parce que, selon l’expression de Soljenitsyne rappelée par Madiran, elle s’est enfermée dans "la prétention dramatique de vouloir réaliser le bien de l’homme en se passant de Dieu". On relèvera encore le chapitre très subtil sur l’ "aphobie", une inconscience disait Aristote, un péché disait saint Thomas d’Aquin.
La Révolution copernicienne dans l’Eglise ne devrait pas plaire aux esprits manichéens et aux amateurs d’axiomes simplistes. On sera attentif aux recensions qui paraîtront ici et là, ou qui, justement, ne paraîtront pas.
On sera pleinement d’accord avec Jean Madiran quand il fait remarquer : "Le concile Vatican II n’est pas l’origine du désastre spirituel. Il est une cause seconde. Il en a d’abord été le fruit, passant les promesses des fleurs ; et ensuite il a tout aggravé, parce qu’il conférait une autorité officielle - et même le monopole de l’autorité officielle - aux hommes et aux idées de la décomposition" (p. 67), "Les Chenu, les Teilhard, les Congar (etc.) ne sont pas nés de Vatican II, c’est l’inverse : c’est Vatican II qui procède de leurs utopie" (p. 69).
Il faut être attentif, parallèlement, à ce que dit Madiran de ce même concile : Vatican II a été interprété et appliqué par ceux-là même qui en avaient élaboré les textes et les avaient signés. Ce n’est même pas seulement le caractère, disparate, des textes et leur autorité, incertaine, qui posent problème. C’est "l’intention" qui a présidé au concile qui est en cause, "une intention viciée" dit Jean Madiran (p. 62-63), énoncée dans le célèbre discours de Jean XXIII, le jour de l’ouverture du concile, le 11 octobre 1962 (p. 63-66).
On sera d’accord encore avec la conclusion de Jean Madiran : "On n’en sortira pas tant que Vatican II, concile pastoral, ni infaillible ni irréformable, demeurera en attente de son sort définitif. Seule l’Eglise pourra le déterminer. Elle commencera peut-être par essayer de le purger de cette intention mauvaise [...] Elle pourra aussi le rectifier, le réformer ou l’abolir ; ou bien l’oublier ? Ce n’est pas à nous d’en décider. Simple laïc du rang, simple militant de l’Eglise enseignée, notre rôle était de refuser l’inacceptable. Nous l’avons fait de toutes nos forces. Nous ne cesserons pas."
Jean Madiran n’est pas inattentif à un phénomène aussi massif que celui des JMJ (qui témoignent, dit-il, des "aspirations" et des "insuffisances" de la nouvelle génération). Il s’interroge aussi sur la conversion de la Russie, promise à Fatima (p. 96-101). Il l’estime encore à venir mais il prévient en même temps : "Cela ne se produira pas forcément comme le rigoureux enchaînement d’une suite de théorèmes dans la géométrie euclidienne", il n’est pas exclu que la conversion de la Russie soit "longuement laborieuse". Il y a des précédents historiques.
  • Une Civilisation blessée au coeur, Éditions Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux), 109 pages, 13 euros.
  • La Révolution copernicienne dans l’Eglise, Consep (BP 30107, 75327 Paris cedex 07), 109 pages, 18 euros.
- La revue Kephas a changé d'adresse : 8 bis boulevard Bessonneau, 49100 Angers, tél : 02 41 86 48 86. Le n° 2, 155 pages, 15 euros, reproduit l’important discours de Jean-Paul II sur l’Europe chrétienne. On trouve aussi, entre autres, un article de Judith Cabaud sur Eugenio Zolli, rabbin converti, et Pie XII et un article du père de Laubier sur les diocèses catholiques aujourd’hui en Russie.
- Dans le dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, n° 67, le numéro 2,50 euros), on lira avec profit l’intéressant éditorial de l’abbé de Tanoüarn sur la "nouvelle religion" de Vatican II. L’expression est juste si on limite le mot "religion" à son sens étymologique. Citant la fameuse expression de Paul VI “l’Eglise a pris une nouvelle conscience d’elle-même”, l’abbé de Tanoüarn commente : "Cette nouvelle conscience transforme les rapports entre l’Eglise et le monde et donne au chrétien une nouvelle identité, une nouvelle manière d’être lui-même devant Dieu et devant les hommes. C’est en ce sens - et en ce sens seulement, mais ce n’est pas rien -, c’est en s’en tenant à cette perspective qu’on peut soutenir l’idée que Vatican II inaugure une nouvelle religion, une nouvelle manière d’entrer en relation avec Dieu et avec ses semblables." On rejoint là l’"intention" nouvelle discernée par Jean Madiran dans la Révolution copernicienne.