16 août 2002

[Aletheia n°30] Une biographie du père André

Yves Chiron - Aletheia n°30 - 16 août 2002
Une biographie du père André
Le traditionalisme - ou la résistance à certaines évolutions de l'Eglise confrontée à la modernité - a commencé bien avant le concile Vatican II, même si ce dernier événement lui a donné de nouvelles raisons de résister. Ce traditionalisme fait l'objet d'études historiques de plus en plus nombreuses. Il y a eu plusieurs travaux universitaires et thèses consacrés à la Pensée Catholique, à Itinéraires, à la Cité Catholique, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (même si certaines de ces études n'ont pas été pas à la hauteur de leurs ambitions). Il y a eu des biographies ou des tentatives de biographie consacrées à des personnalités du mouvement traditionaliste : Mgr Lefebvre (de nombreux ouvrages, en attendant la grande biographie annoncée par Mgr Tissier de Mallerais aux éditions Clovis), Mgr de Castro Mayer (David Allen White, The Mouth ou the lion, Kansas City, Angelus Press, 1997), Dom Gérard (Marc Dem, Dom Gérard et l'aventure monastique, Plon, 1988), le RP Eugène de Villeurbanne, etc.
Peu de temps après sa mort, le père Michel André (1915-2000) trouve son premier biographe. Claude Mouton-Raimbault, qui a publié de nombreux ouvrages consacrés à Claire Ferchaud et à son message, consacre au père André un ouvrage abondant, fervent, utile même s'il laisse insatisfait sur certains points.
Un premier reproche que l'on pourrait faire à l'auteur, qui s'appuie sur une documentation d'archives abondantes, est de très rarement citer ses sources et de ne pas en avoir établi une nomenclature à la fin de son ouvrage. A un tel ouvrage, il manque aussi un index des noms.
On sera d'accord également avec le père Thomas-M. de Bazelaire qui, dans une recension de l'ouvrage, écrit : "un lecteur exigeant pourra regretter que l'auteur n'ait utilisé presque exclusivement que les carnets et la correspondance de son héros. Aussi cette biographie se résume trop en un portrait du Père André par le Père André. De ce fait, elle manque nécessairement de recul et donc d'objectivité. Pourquoi, par exemple, Claude Mouton-Raimbault n'a-t-il pas pris le soin d'interroger Edmond Samson, un des principaux collaborateurs du missionnaire en Argentine, maintenant prêtre dans le diocèse du Mans ?" (Sedes Sapientiae, n° 79, p. 57-58).
Auraient pu être interrogées d'autres personnes qui ont connu le père André à différents moments de son existence. Auraient pu être consultées aussi les archives des Pères du Saint-Esprit, congrégation à laquelle le père André appartenait, et interrogés les diocèses dans lesquels il a oeuvré tant d'années, notamment celui de San Rafaël en Argentine.
Dans les relations qu'eut le père André avec le Saint-Siège, l'utilisation des sources est unilatérale et donc elle fausse la perspective historique. Le père André a adressé des lettres et suppliques à Paul VI et à Jean-Paul II à propos de la crise de la foi et de la réforme liturgique. Elles sont publiées intégralement par Claude Mouton-Raimbault, et c'est heureux, mais il n'en est pas de même pour les réponses reçues.
Dans d'autres cas encore, l'auteur est trop allusif. On aurait aimé lire, ou du moins connaître, le contenu des deux lettres "encourageantes" reçues de Mgr Pintonello que l'auteur nous dit être un "ami de Paul VI" (p. 464). On n'en saura guère plus.
Si on voit assez bien quelles furent les relations entretenues avec Mgr Lefebvre depuis 1960 (les deux religieux appartenant à la même congrégation), si l'on voit, assez clairement, comment, par ses suppliques et ses rencontres avec le cardinal Oddi, le père André a été à l'origine, avec d'autres, de l'indult sur la messe traditionnelle accordé par Jean-Paul II en 1984, sa participation à d'autres épisodes de l'histoire du traditionalisme dans les dernières décennies reste encore mal éclairée. Par exemple, les circonstances de la rédaction du célèbre Bref examen critique du NOM, présenté à Paul VI par les cardinaux Bacci et Ottaviani en 1969, attendent encore leur historien.
Il est étonnant encore que les sacres effectués en 1988 par Mgr Lefebvre ne soient pas évoqués comme tels par Claude Mouton-Raimbault. A plusieurs reprises, l'auteur signale, en passant, que le père André a approuvé ces sacres. Mais il ne consacre aucune page à l'événement lui-même et à ses circonstances : l'évolution de Mgr Lefebvre lui-même sur la nécessité de sacres épiscopaux pour faire "survivre" la Tradition, le protocole d'accord avec le Saint-Siège le 5 mai 1988, la réunion décisive des groupes et communautés traditionalistes au Pointet le 30 mai, puis les sacres en juin. Quelle part le père André a-t-il pris à ces différents épisodes d'un acte désormais historique ? Le lecteur n'en saura rien.
Enfin, l'auteur rapporte, sans vérification, des affirmations du père André. En 1986 (p. 472), le père André reproche au Saint-Siège d'avoir adhéré, le 24 février, au "Conseil des Églises protestantes" (le père André voulait sans doute parler du "Conseil Œcuménique des Églises) et à Jean-Paul II d'avoir qualifié, le 5 octobre à Paray-le-Monial, de "désuet" le culte au Sacré-Coeur. L'Eglise catholique n'a jamais été membre du C.OE.E., tout au plus existe-t-il un "Groupe mixte de travail". Et si l'on se reporte aux allocutions prononcées par Jean-Paul II lors de son voyage à Paray-le-Monial en 1986, on observe que, bien sûr, il encourage le culte au Sacré-Coeur. Les erreurs répétées passent pour des vérités établies. Il revient aux historiens et aux biographes de les corriger.
En revanche - et les remarques précédentes ne doivent pas dévaloriser ce beau livre - on apprendra beaucoup de choses dans ce volume, en particulier sur l'Association Noël Pinot (qui a regroupé jusqu'à 750 prêtres fidèles à la messe traditionnelle) et sur le bulletin Introïbo, qui existent toujours aujourd'hui. Et surtout on découvrira une belle figure de prêtre traditionaliste, d'un grand courage physique et moral. Claude Mouton-Raimbault n'a pas craint d'évoquer - et il a eu raison - les tentations et les découragements qu'a connus le père André, notamment les difficiles mois de fin 67-début 68 où il était tenté d'abandonner le sacerdoce.
En complément du livre, on pourra se reporter au long entretien avec Claude Mouton-Raimbault qui est paru dans le n° 299 de Lecture et Tradition. Claude Mouton-Raimbault y expose en détail quelle était la pensée du père André sur la réforme liturgique - car ce traditionaliste qui conserva toute sa vie une âme de missionnaire croyait nécessaires et utiles certaines réformes de la liturgie.
. Claude Mouton-Raimbault, Un prêtre vrai. Le Père André, Éditions de Chiré (BP 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), 525 pages, 28,50 euros + port.
. Lecture et Tradition (B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), n° 299, 3 euros

15 août 2002

[Père Stephen Somerville, stl - Communicantes (FSSPX)] Pourquoi je mets un terme à mes services auprès de l'I.C.E.L.

SOURCE - Père Stephen Somerville, stl - Communicantes – Revue de la FSSPX au Canada - Août 2002

Chers amis catholiques du rite romain,

1 – Etant un prêtre, j’ai collaboré pendant plus de dix ans à un travail qui a causé un mal notable à la foi catholique. Je désire maintenant demander pardon à Dieu et à l’Église et renoncer résolument à ma collaboration à ce projet nuisible. Je veux parler de mon travail officiel de traduction en langue anglaise de la nouvelle liturgie latine d’après Vatican II, alors que j’étais un membre du comité consultatif auprès de la Commission Internationale sur la Liturgie en Langue Anglaise (I.C.E.L.).

2 – J’ai été ordonné prêtre en 1956, et j’appartiens à l’archidiocèse de Toronto, au Canada. Depuis ma première jeunesse j’étais fasciné par la liturgie. En 1964 je fus choisi pour représenter le Canada auprès de l’I.C.E.L., nouvellement créé, comme membre du bureau consultatif. A 33 ans j’étais son plus jeune membre, et ressentais une certaine gêne du fait de mes déficiences en la science de la liturgie et les disciplines reliées. Mais bientôt je devins perplexe du fait des grossières erreurs de traduction qui nous étaient proposées d’un air assuré et que l’élément progressiste toujours plus fort dans notre groupe nous pressait d’accepter. Je ressentais la fausseté, le mal de tant de productions de notre comité, mais je ne pouvais pas l’articuler.

3 – Laissez-moi illustrer ceci brièvement par quelques exemples. A la salutation, fréquente, par le prêtre, Le Seigneur soit avec vous, le peuple répondait traditionnellement : Et avec votre esprit, en latin Et cum spiritu tuo. Mais l’I.C.E.L. a récrit la réponse : Et aussi avec vous. Ceci, outre de sonner de façon très banale, comporte une redondance par le mot « aussi ». Pire, le mot « esprit » a été supprimé, qui nous rappelait que nous avons une âme spirituelle. De plus, nous perdons l’écho de quatre phrases (inspirées) dans les épitres où saint Paul utilise l’expression « et avec votre esprit ».

4 – Dans le Je confesse à Dieu, du rite pénitentiel, I.C.E.L. a éliminé le triple « c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute » pour y substituer un faible « par ma faute ». C’est encore un clou dans le cercueil du sens du péché.

5 – Avant la communion, nous prions « Seigneur je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit... » I.C.E.L a changé cela pour « ...je ne suis pas digne de te recevoir ». Nous perdons la métaphore du toit, clair écho de l’Évangile (Matth. 8 :8), et une image vive et concrète pour les enfants.

6 – Les déviations de l’I.C.E.L. acquièrent un aspect dévastateur spécialement dans les oraisons de la messe. La collecte, ou « prière d’ouverture » pour le 21ème dimanche ordinaire illustre bien cela. La prière latine, strictement traduite, donnerait ceci : « O Dieu, qui faites que les âmes des fidèles aient une volonté une, accordez leur (la grâce) d’aimer ce que vous commandez et de désirer ce que vous promettez pour que, parmi les vicissitudes de ce monde, nos coeurs soient fixés là où on trouve les vraies joies ».

7 – Voici la version de l’I.C.E.L., en usage depuis 1973 : « Père, aidez-nous à rechercher les valeurs qui nous apporteront une joie durable dans ce monde changeant. Dans notre désir de ce que vous promettez, faites que nous soyions d’un seul esprit et d’un seul coeur ».

8 – Quelques commentaires. S’adresser à Dieu en l’appelant Père n’est pas usité dans la liturgie, sauf dans la prière du Seigneur, le Notre Père (juste avant la communion). Aidez-nous à rechercher, implique que nous pourrions le faire seuls (hérésie de Pélage), mais que nous aimerions quelque aide de Dieu. Jésus enseigne : sans Moi vous ne pouvez rien faire. Le latin nous fait prier : accordez-nous, non pas simplement aidez-nous. L’emploi par l’I.C.E.L. du mot « valeurs », mot à la mode dans le monde, suggère tout ce qui est aujourd’hui populaire, ou politiquement correct, ou changeant d’une personne à l’autre, d’un lieu à l’autre. La « joie durable dans ce monde changeant », est une chose impossible. « Dans notre désir » suppose que nous avons déjà ce désir, mais le latin nous fait prier pour obtenir ce désir. « Ce que vous promettez » omet ce que Vous (Dieu) « commandez » , affaiblissant ainsi notre sens du devoir. « Faites que nous soyions d’un seul esprit (et coeur) » est un ajout, et paraît comme la demande principale, et cependant n’apparaît pas comme découlant de ce qui précède. (En latin, la demande principale est : faites que nos coeurs soient fixés là où sont les vraies joies. La version latine enseigne que l’unité de nos esprits est due à l’action constante de Dieu, et doit s’obtenir par notre sérieuse acceptation de ses commandements et de ses promesses). Il est clair que l’I.C.E.L. a écrit une nouvelle prière. Cela a-t-il une importance? Profondément! La liturgie est notre loi de la prière (lex orandi), et elle forme la loi de notre foi (lex credendi). Si l’I.C.E.L. a changé notre liturgie, cela changera notre foi. Nous voyons tout autour de nous des signes de cette corruption et perte de la foi.

9 – Les exemples précédents de l’affaiblissement des prières de la liturgie catholique latine devraient suffire. Il y a sûrement des milliers de mauvaises traductions dans le travail de l’I.C.E.L. Au fil des travaux, je devenais de plus en plus critique. Mon rôle auprès du comité consultatif prit fin volontairement vers 1973, et je fus nommé membre émérite, et conseiller. Par cette lettre d’aujourd’hui, je renonce à tout lien restant.

10 – Les labeurs de l’I.C.E.L étaient loin d’être entièrement négatifs. J’ai apprécié la riche vie fraternelle, un accroissement toujours plus étendu de connaissances écclésiastiques, la présence catholique à Rome, à Londres et ailleurs, l’assistance à une session du concile Vatican II, les rencontres avec des personnalités distinguées de l’Église, et d’autres choses. J’exprime ma reconnaissance à deux confrères de l’I.C.E.L. qui avaient vu, avec tellement plus de clarté que moi, la voie droite à suivre dans les traductions : il s’agit de feu le professeur Herbert Finberg, et le père James Quinn S.J. d’Edinburgh. Si je renonce à mon passé à l’I.C.E.L., ce n’est pas à cause de ces personnes et de ces aspects positifs, mais à cause de la corruption de la foi et du respect catholiques auxquels le travail de l’I.C.E.L. a contribué. Je demande pardon humblement et sincèrement à Dieu et à la Sainte Église pour la part, quelque petite qu’elle fut, que j’ai eue dans cette corruption.

11 – Ayant mentionné le second Concile du Vatican (1962 – 1965), j’en viens maintenant à l’autre raison pour laquelle j’ai renoncé à mon travail de traducteur auprès de l’I.C.E.L. C’est un sujet encore plus grave et délicat. L’an dernier (depuis le milieu de 2001), j’ai appris à connaître avec respect et admiration beaucoup de catholiques traditionnels. Ces personnes, qui ont décidé de revenir à la messe et à la liturgie d’avant Vatican II, et qu’il ne faut pas confondre avec les catholiques « conservateurs » (ceux qui essayent de retoucher et de corriger la nouvelle messe et les sacrements d’après Vatican II), ces catholiques traditionnels, dis-je, m’ont donné une grave leçon. Ils m’ont montré un grand nombre de livres et d’études, d’un caractère universitaire et rigoureux aussi bien que populaire, qui démontrent de façon cumulative, que le Concile Vatican II a été dès le début investi, manipulé et infecté par des personnes et des idées modernistes, libérales et protestantisantes. Ces études montrent que la nouvelle liturgie concoctée par la commission d’après Vatican II « Concilium » sous la direction de feu Mgr Annibal Bugnini, était infectée pareillement. La nouvelle messe fait spécialement problème. Elle édulcore la doctrine de l’Eucharistie comme vrai sacrifice, et non seulement mémorial. Elle affaiblit la vérité de la présence réelle du Corps et du Sang du Christ victime en reléguant le tabernacle dans un coin, en réduisant les signes d’adoration autour de la consécration, en donnant la communion dans la main, souvent par des femmes, en utilisant des vases sacrés en matériau vulgaire, en invitant six experts protestants(qui ne croient pas en la présence réelle) à contribuer à la préparation du nouveau rite, en encourageant l’usage de musique pop avec des guitares à la place du chant grégorien, et d’autres nouveautés.

12 – Une telle liste de défauts porte à penser que beaucoup de messes modernes sont sacrilèges, et même que plusieurs pourraient être invalides. Elles sont sûrement moins catholiques, et moins aptes à soutenir la foi catholique.

13 – Qui sont les auteurs de ces critiques publiques de l’église conciliaire? Parmi beaucoup, voici quelques noms d’auteurs ayant formulé des évaluations articulées et sérieuses du concile : Attila Sinka Guimaeres (In the murky Waters of Vatican II), le professeur Romano Amerio(Iota Unum : étude des changements dans l’église catholique au 20ème siècle), Michael Davies (plusieurs livres et fascicules, pubiés surtout par Tan Books), et Monseigneur Marcel Lefebvre, l’un des pères du Concile, qui a participé aux schémas préparatoires du concile et a écrit beaucoup d’études abordables sur le concile et la nouvelle messe (cf. Angelus Press en anglais).

14 – Parmi les catholiques de Tradition, le regretté Monseigneur Lefebvre ressort spécialement parce qu’il a fondé la Fraternité Saint Pie X (FSSPX), une solide société de prêtres (qui possède à ce jour six séminaires pour la formation des futurs prêtres) pour la célébration de la liturgie catholique traditionnelle. Beaucoup de catholiques qui ont entendu parler de ceci peuvent penser que Monseigneur Lefebvre a été excommunié et que ses fidèles sont en schisme. Mais des solides autorités (y compris le cardinal Ratzinger, le plus haut théologien au Vatican) pensent que cela n’est pas vrai. La Fraternité Saint Pie X se déclare entièrement catholique romaine, reconnaissant le pape Jean Paul II tout en exprimant respectueusement des réserves sérieuses.

15 – Je remercie le lecteur bienveillant pour m’avoir suivi jusqu’ici. Qu’il soit bien clair que c’est POUR LA FOI que je renonce à ma collaboration avec l’I.C.E.L. et à cause des changements dans la liturgie. C’est POUR LA FOI qu’il faut retouner à la tradition liturgique catholique. Ce n’est pas une question de seule nostalgie du passé ou de refus du mauvais goût.

16 – Cher lecteur catholique non traditionnel, n’écartez pas cette lettre avec légèreté. Elle vous est adressée, à vous qui devez savoir que seule la vraie foi peut vous sauver, que le salut éternel dépend de sacrements qui puissent sanctifier et pourvoir la grâce, tels qu’ils ont été transmis depuis le Christ par son église fidèle. Approfondissez ces graves questions par la prière et par de sérieuses lectures, tout spécialement dans les publications de la Fraternité Saint Pie X.

17 – Que la paix soit avec vous. Que Jésus, Marie nous accordent à tous un bienheureux retour et une persévé-rance fidèle dans notre véritable patrie catholique.

Père Stephen Somerville, STL
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Août 2002 - In Communicantes – Revue de la FSSPX au Canada